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Retour sur l’ordonnance « délais » du 25 mars 2020 et les modifications apportées par l’ordonnance du 15 avril 2020

L’épidémie de covid-19 et les mesures prises pour lutter contre sa propagation placent chacun, particulier comme entreprise, dans une situation extraordinaire : confinement pour presque tous, perturbation du courrier postal et des significations pour beaucoup, maladie pour certains, etc.1

par Antoine Gouëzelle 16 avril 2020

Une telle situation est susceptible de constituer un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil, lequel permet d’échapper aux sanctions de l’inexécution, un changement de circonstances ouvrant le jeu de la révision pour imprévision (art. 1195) ou encore une impossibilité d’agir au sens de l’article 2234, laquelle a pour effet de suspendre le délai de prescription. Toutefois, la vérification de la réunion des conditions d’application de ces textes ne peut se faire qu’au cas par cas, en fonction de chaque situation, de chaque obligation2.

L’ordonnance n° 2020-306, et plus précisément son titre I qui sera seul évoqué ici3, vise à apporter de la sécurité juridique en organisant la prorogation de certains délais et la paralysie de certaines clauses ou mesures. Elle évite la discussion et pose une solution générale pour les situations qu’elle régit.

Il peut naturellement en résulter un effet d’aubaine pour certains. Par exemple, le paiement tardif de son loyer par un salarié en bonne santé, connecté à internet, qui poursuit son activité en télétravail et continue à percevoir l’intégralité de son salaire, n’a rien à voir avec l’épidémie de covid-19 ; pourtant, en vertu de l’article 4 de l’ordonnance, il pourra échapper à certaines sanctions contractuelles. Mais précisément, tout le monde n’est pas dans cette situation. Cet effet d’aubaine éventuel pour certains est le prix de la sécurité de tous.

L’ordonnance est, par définition, un texte d’exception, qui déroge aux règles habituelles en raison des circonstances. Elle n’a pas vocation à appréhender l’ensemble des difficultés suscitées par la crise sanitaire ; les règles de droit commun précédemment mentionnées conservent donc pleine vocation à s’appliquer, au cas par cas, à ces difficultés.

Si l’ordonnance entend donc être source de prévisibilité et de sécurité, force est de reconnaître qu’elle a également suscité certaines difficultés d’interprétation et d’application. De plus, elle a pu apparaître comme insuffisante face à certaines problématiques4. Le gouvernement a donc remis l’ouvrage sur le métier et a adopté le 15 avril 2020 un nouveau texte modifiant l’ordonnance « délais », notamment son titre I. Il semble donc utile de revenir à la fois sur les difficultés suscitées par l’ordonnance « délais » et par les modifications réalisées par le nouveau texte.

Délimitation temporelle des délais et actes concernés

Rappelons tout d’abord que, au titre de l’article 1er de l’ordonnance, sont seuls concernés les délais échus ou les actes devant être accomplis « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », soit en l’état actuel des choses le 24 juin ; c’est, pour reprendre les termes de la circulaire, la « période juridiquement protégée ».

L’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a en effet déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois ; en vertu de son article 22, la loi est entrée en vigueur immédiatement, c’est-à-dire dès sa publication au Journal officiel, soit le 24 mars. L’état d’urgence sanitaire a donc vocation à prendre fin le 24 mai. Il est toutefois possible que cette date soit modifiée, dans un sens ou dans l’autre, selon l’évolution de l’épidémie, ce qui par répercussion affectera la fin de la période juridiquement protégée5. Si la situation s’améliore, un décret en conseil des ministres peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire avant l’expiration du délai fixé par la loi ; si la situation ne s’améliore pas, la loi peut proroger l’état d’urgence sanitaire.

Ne sont donc concernés par l’ordonnance ni les délais échus avant le 12 mars, ni pour le moment ceux échus après le 24 juin. Cette dernière limite peut sembler rigoureuse pour celui dont le délai pour agir expire peu après cette date, par exemple le 25 juin, car il a été privé en raison de l’épidémie d’une partie de son délai. La critique, indiscutable, peut toutefois être doublement relativisée. D’une part, le droit commun ne reprend son empire qu’un mois après la fin de l’état d’urgence ; ce mois supplémentaire pourra donc être utilement mis à profit par chacun pour accomplir les actes requis. D’autre part, il aurait fallu pour remédier à cette critique prévoir une suspension générale de l’ensemble des délais pendant la période d’urgence sanitaire, quelle que soit leur date d’échéance, ce qui aurait été susceptible d’avoir des effets pervers encore plus importants6.

L’article 2 de l’ordonnance « délais »

Le mécanisme mis en place par l’article 2

Il convient de partir de la lettre du texte : l’acte qui aurait dû être accompli pendant la période juridiquement protégée « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Il ne s’agit donc ni d’une interruption ni d’une suspension des délais, mais d’un mécanisme sui generis de prorogation de ces délais. La circulaire indique ainsi qu’il n’en résulte pas une « suppression de l’obligation de réaliser tous les actes ou formalités dont le terme échoit dans la période visée. L’effet de l’article 2 de l’ordonnance est d’interdire que l’acte intervenu dans le nouveau délai imparti puisse être regardé comme tardif ». Comme l’a souligné un auteur, il y a là une forme de « fiction juridique en présumant valablement fait à temps ce qui ne l’a pas été »7.

Ainsi, par exemple :

  • si le délai de cinq ans de prescription d’une créance (C. civ., art. 2224) arrive à expiration pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra encore l’interrompre jusqu’au 24 août ;
  • si le délai d’un mois pour interjeter appel (C. pr. civ., art. 538) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement former son recours jusqu’au 24 juillet ;
  • si le délai de quinze jours d’inscription d’un nantissement d’outillage (C. com., art. L. 525-3) expire pendant la période juridiquement protégée, le créancier pourra valablement l’inscrire jusqu’au 9 juillet.

La formule utilisée par l’article 2 de l’ordonnance est inspirée de celle qui figure à l’article 1er de la loi n° 68-696 du 31 juillet 1968, intervenue à la suite des événements de mai 68 : « toute acte, formalité, inscription ou publication prescrit à peine de déchéance, nullité, forclusion ou inopposabilité, qui aurait dû être accompli entre le 10 mai 1968 et le 1er juillet 1968 sera réputé valable s’il a été effectué au plus tard le 15 septembre 1968 ». La spécificité de cette loi est qu’elle est intervenue ex post : elle s’est donc contentée de permettre aux personnes d’agir valablement malgré l’expiration du délai qui les avait d’ores et déjà touchées. L’ordonnance reprend cette logique, mais en intervenant ex ante dans un souci de sécurité juridique. Autrement dit, l’article 2 de l’ordonnance, bien qu’intervenu ex ante, n’a pas entendu donner à la prorogation des délais plus d’effets qu’il n’en aurait produit s’il était intervenu ex post. L’objectif de ce mécanisme sui generis, qui réserve le bénéfice du report à celui qui doit agir, semble être d’éviter une paralysie de l’activité, ce que deux exemples permettent de comprendre.

Premier exemple : supposons qu’un acte de saisie d’un compte bancaire soit signifié à un établissement de crédit le 1er mars 2020 puis dénoncé au débiteur le 5. Le débiteur dispose d’un délai d’un mois à compter de cette dénonciation pour contester la saisie en vertu de l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution ; à défaut, le tiers saisi procède au paiement. Le délai de contestation expire en l’espèce pendant la période juridiquement protégée. Si les délais avaient été purement et simplement suspendus8, l’huissier aurait dû attendre la fin de de cette période augmentée d’un mois pour se faire remettre les fonds. Le mécanisme sui generis prévu permet à l’huissier de réclamer leur versement dès l’expiration du délai initial d’un mois. Toutefois, le débiteur conserve la faculté de contester la saisie devant le juge de l’exécution s’il respecte le nouveau délai accordé par l’article 2 de l’ordonnance ; si le juge fait droit à sa contestation, il annulera la saisie et ordonnera la restitution des fonds.

Second exemple : supposons que la vente d’un fonds de commerce ait été publiée le 10 mars. En vertu de l’article L. 141-14 du code de commerce, les créanciers du cédant disposent d’un délai de dix jours pour former opposition à cette vente, ce qui interdit à l’acquéreur (concrètement au séquestre à qui les fonds ont été remis) de verser le prix au vendeur. Ce délai entre indiscutablement dans le champ de l’ordonnance et bénéficie de la prorogation. S’il avait été suspendu, l’acquéreur aurait dû attendre la fin de la période juridiquement protégée augmentée de dix jours pour remettre le prix. Avec le mécanisme sui generis mis en place, il peut verser les fonds dès que le délai initial de dix jours est écoulé ; toutefois, les créanciers pourront valablement former opposition dans le délai prolongé.

L’avantage de ce mécanisme est clair : il permet de ne pas paralyser l’activité. Ainsi, les saisies de comptes bancaires ou les ventes de commerce pourront continuer à se dérouler malgré l’état d’urgence sanitaire. Son inconvénient est tout aussi net : dans les cas tels que ceux qui ont été évoqués, il prive largement les personnes concernées de l’effet utile de la prorogation du délai. Dans le cas de la saisie-attribution, l’article L. 211-4 du code des procédures civiles d’exécution permet de toute manière au débiteur qui n’aurait pas contesté dans le délai d’« agir à ses frais en répétition de l’indu devant le juge du fond compétent ». Dans le cas de la vente d’un fonds de commerce, le seul intérêt de l’opposition est de bloquer le paiement du prix afin de pouvoir être désintéressé sur celui-ci ; l’article 2 permettra au créancier de former valablement opposition après l’expiration du délai, mais celle-ci ne lui servira pas à grand-chose. Le résultat est donc paradoxal et les parties doivent faire preuve de la plus extrême vigilance ; dans ce type de situations, si elles ont la possibilité d’agir dans le délai initial, elles ont tout intérêt à le faire.

On peut penser que le pari fait par les rédacteurs de l’ordonnance est que le gain collectif résultant de la poursuite de l’activité sera supérieur aux difficultés qui résulteront de ces contestations, lesquelles ont vocation à rester statistiquement marginales.

Les actes devant être accomplis avant une date fixe

L’article 2 pose une difficulté pour les actes devant être accomplis avant une date fixe. Par exemple l’article L. 313-22 du code monétaire et financier impose au créancier d’informer la caution de l’évolution de la dette principale avant le 31 mars de chaque année. On pourrait de la même manière évoquer toutes les hypothèses, en droit de la nationalité, dans lesquelles un acte doit être effectué par la personne avant qu’elle n’atteigne un certain âge.

Le problème vient de la fin de l’article 2 qui explicite ses effets : l’acte peut être valablement accompli dans un nouveau délai « qui ne peut excéder […] le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Or dans une telle situation, il n’y a pas véritablement de « délai » imparti pour agir : il y a seulement une date limite.

Il ne faut cependant pas s’arrêter à cet obstacle textuel. Le début de l’article 2, qui énonce ses conditions, est en effet parfaitement adapté à ces situations : nous sommes bien en présence d’un « acte… prescrit par la loi ou le règlement… et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er ». De plus, la finalité du texte joue à plein dans une telle hypothèse, l’état d’urgence sanitaire rendant l’envoi des informations ou l’accomplissement de l’acte à la date prévue extrêmement complexe sinon impossible. Le plus convaincant dans une telle hypothèse est de retenir le délai de deux mois prévu à défaut par le texte. La banque pourra ainsi envoyer l’information à la caution jusqu’au 24 août. Telle est d’ailleurs la solution expressément retenue par la circulaire à propos de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier.

Les délais de réflexion et de rétractation

Comme cela a déjà été souligné par plusieurs commentateurs9, les délais de réflexion tels ceux prévus par l’article L. 313-34 du code de la consommation ou le quatrième alinéa de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, ne sauraient être inclus dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance.

La lettre du texte s’y oppose qui vise un acte « qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er », quand le mécanisme du délai de réflexion est exactement inverse : il interdit la réalisation d’un acte (l’acceptation d’une offre) pendant une certaine période. De même, l’effet de l’article 2, qui est de permettre d’effectuer valablement l’acte par la suite, n’a pas de sens pour un délai de réflexion. L’esprit du texte s’y oppose également : sa finalité est de donner un délai supplémentaire à ceux qui n’ont pas pu agir, ce qui ne se retrouve pas en présence d’un délai de réflexion. Le confinement peut même apparaître comme particulièrement propice à la réflexion !

S’agissant des délais de rétractation, un consensus10 existe pour reconnaître que les délais de rétractation ne rentrent pas dans le champ de l’article 5 de l’ordonnance11. En effet, même si l’analyse du droit de rétractation est controversée, il est admis que son exercice n’a pas pour effet de « résilier » le contrat. En revanche, l’incertitude est forte quant au point de savoir si ces délais relèvent de l’article 212. La difficulté procède de la formulation particulièrement large de ce texte, qui ne se contente pas de viser les délais prescrits à peine de nullité, caducité, forclusion, etc., mais également à peine de « sanction » de manière générale, ce qui est très accueillant. Deux lectures sont ainsi envisageables13.

Au regard de la lettre du texte, on peut considérer que la rétractation est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit de rétractation. On peut estimer à l’inverse qu’il n’y a pas de véritable sanction dans la mesure où la conséquence de l’expiration du délai de rétractation est le fait que la partie est liée par le contrat, c’est-à-dire exactement ce qu’elle a voulu en consentant.

La question est également délicate en opportunité. En faveur de l’inclusion des délais de rétractation dans le champ de l’article 2, on peut mettre en avant la véritable difficulté qui existe aujourd’hui pour leur exercice, en particulier lorsqu’une lettre recommandée avec accusé de réception est imposée par les textes14. En sens inverse, la prorogation de ces délais risque d’avoir de graves conséquences économiques en empêchant la conclusion de nombreux contrats : on songe naturellement aux ventes immobilières, mais également à l’assurance-vie.

Au regard de la possibilité de soutenir les deux analyses d’une part, et de l’importance des enjeux d’autre part, une prise de position officielle sur cette question semblait nécessaire. L’ordonnance modificative complète en ce sens l’article 2 de l’ordonnance délais : « Le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ». La référence aux délais de renonciation peut sembler mystérieuse aux civilistes, l’article 1122 du code civil ne connaissant que les délais de réflexion et de rétractation ; elle semble toutefois s’expliquer par le fait que le droit des assurances utilise l’expression de « délai de renonciation » plutôt que celle de délai de rétractation, même si le mécanisme est identique (v. par ex., C. assur., art. L. 112-2-1).

L’ordonnance précise expressément que cette modification « a un caractère interprétatif ». Cette affirmation emporte la conviction15 : en effet, pour reprendre la définition qui en a été donnée par la jurisprudence, cette disposition « se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse »16. Face à une question débattue, elle indique la manière dont le texte doit, depuis le début, être lu. Il en résulte que cette disposition a un caractère naturellement rétroactif.

Les droits de préemption privés

La doctrine a de nouveau fait part de ses hésitations en la matière. Pour justifier la possible exclusion de ces délais, un auteur écrit ainsi que « le délai laissé au bénéficiaire pour prendre parti sur l’offre qui lui est faite n’est pas, à proprement parler, sanctionné par la perte d’un droit. Le fait pour le locataire de rester taisant pendant le délai légal est une manière pour le locataire d’exercer l’option qui lui est ouverte d’acheter ou de ne pas acheter le bien (en l’occurrence, de ne pas l’acheter) »17. L’argument ne nous convainc pas car il va trop loin. Il pourrait ainsi par exemple s’appliquer exactement de la même manière à l’exercice d’une voie de recours : en restant inactif pendant le délai prescrit, on peut estimer que la partie acquiesce à la décision qui a été rendue. Or le délai correspondant entre indiscutablement dans le champ de l’article 2. Le silence est par essence ambigu.

L’exercice du droit de préemption est bien un acte ou une déclaration prescrit par la loi dans un certain délai à peine de sanction, à savoir la perte de ce droit. Autant l’existence d’une sanction est discutable pour le droit de rétractation, autant elle est ici nette : le locataire qui n’a pas exercé son droit de préemption à l’expiration du délai perd la faculté de se substituer à l’acquéreur. La lettre du texte nous semble donc favorable à l’inclusion des délais de préemption18.

Il est vrai que, en opportunité, cette solution crée un risque de blocage des transactions immobilières. Elle se justifie toutefois par la difficulté réelle pour le titulaire du droit de préemption de l’exercer, en raison du confinement et des perturbations affectant le courrier postal. De surcroît, il reste possible d’obtenir une renonciation expresse de sa part, ce qui permet de réaliser malgré tout la vente.

Les délais contractuels

Les textes excluent de manière explicite les délais prévus par le contrat. L’article 2 de l’ordonnance vise ainsi les actes « prescrit[s] par la loi ou le règlement » et les délais « légalement imparti[s] pour agir ». Selon la circulaire, « il en résulte que les délais prévus contractuellement ne sont pas concernés » ; ainsi, par exemple, le délai fixé dans une promesse unilatérale de vente pour la levée de l’option ne bénéficie pas de la prorogation, non plus que le délai pour la réitération d’une promesse synallagmatique.

Cette exclusion peut paraître excessivement sévère pour l’une ou l’autre des parties, voire les deux. Toutefois, une suspension générale des délais contractuels aurait eu des effets incontrôlables au regard de la diversité des situations contractuelles ; une mesure éventuellement pertinente pour une catégorie spécifique de contrats ne l’aurait pas été pour d’autres. Il appartient ici aux parties de résoudre la difficulté, par exemple en prorogeant elles-mêmes ces délais.

La condition suspensive d’obtention d’un prêt (C. consom., art. L. 313-41)

Cette condition pose difficulté car elle figure certes dans le contrat, mais trouve son origine dans la loi : l’article L. 313-41 du code de la consommation prévoit en effet que, lorsque l’achat d’un immeuble d’habitation par un consommateur est financé par un crédit, il « est conclu sous la condition suspensive de l’obtention du ou des prêts qui en assument le financement ». Le texte ajoute que « La durée de validité de cette condition suspensive ne peut être inférieure à un mois ».

La doctrine estime que ce délai entre dans le champ de l’article 2 de l’ordonnance19. On peut en effet y voir un acte (l’obtention d’un prêt) prescrit par la loi à peine de sanction (la promesse est réputée n’avoir jamais existé) et qui aurait dû être accompli dans un certain délai. Les auteurs soulignent cependant une difficulté de mise en œuvre du texte lorsque, comme c’est fréquent, les parties ont allongé le délai prévu par la loi à 45 ou 60 jours.

Toutefois, l’inclusion de cette condition dans le champ de l’article 2 n’emporte pas la conviction20. En effet, la loi ne prescrit pas l’obtention d’un prêt ; elle prévoit seulement que, lorsque la vente est financée par un prêt, celui-ci doit être une condition suspensive du contrat, avec un délai minimal de réalisation. D’ailleurs, l’anéantissement de la vente n’est pas une sanction de l’acquéreur qui n’obtient pas le prêt mais à l’inverse une mesure de protection de celui-ci : elle lui permet de se libérer d’un contrat qu’il ne pourrait exécuter et ainsi de récupérer l’indemnité d’immobilisation.
Rappelons par ailleurs qu’en toute hypothèse le délai de la promesse elle-même n’est pas prolongé.

Les paiements de dettes contractuelles

Le principe

Le premier alinéa de l’article 2 ne vise, on l’a dit, que les délais légaux et réglementaires ; par conséquent, les délais prévus dans les contrats pour le paiement des obligations ne sont pas prorogés. L’alinéa 2 va dans le même sens : il proroge « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit » ce qui signifie a contrario que les paiements prévus par le contrat ne le sont pas. Le rapport au Président de la République est limpide : « Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat »21.

Les auteurs de l’ordonnance n’ont cependant pas abandonné les débiteurs à leur sort : pour tenir compte, de manière générale, des difficultés d’exécution suscitées par l’épidémie de covid-19, l’article 4 paralyse en effet le jeu des astreintes et de certaines clauses contractuelles (clauses résolutoires, clauses pénales et clauses de déchéance) venant sanctionner l’inexécution du débiteur. Ces sanctions sont trop rigoureuses pour être admises en cette période de crise. Cette règle appelle deux précisions essentielles successives.

D’abord, la paralysie de ces clauses ne remet pas en cause le fait que le débiteur qui ne s’exécuterait pas à la date prévue commet une inexécution, le délai prévu par le contrat n’ayant pas été prorogé. Le débiteur s’expose donc aux sanctions légales de l’inexécution. Le créancier peut ainsi agir en paiement de sa créance et, s’il dispose d’un titre exécutoire, intenter des saisies. Il peut également réclamer les intérêts légaux de retard. Il peut encore prononcer la résolution unilatérale du contrat ou solliciter sa résolution judiciaire, mais il devra à cet égard faire attention à la condition d’inexécution « suffisamment grave », l’épidémie pouvant conduire à relativiser la gravité du comportement du débiteur.

Ensuite, le débiteur peut échapper à ces sanctions légales s’il parvient à prouver que les conditions de la force majeure sont réunies. Le droit commun prend ici le relais de l’ordonnance ; mais l’appréciation se fera nécessairement au cas par cas.

Au-delà de ce principe, le mécanisme mis en place par l’article 4 mérite d’être précisé, d’autant plus qu’il a été complexifié par l’ordonnance modificative.

Les alinéas 1 et 2 de l’article 4

Les deux premiers alinéas de l’article 4 sont relatifs aux astreintes, clauses pénales, résolutoires et de déchéance qui doivent prendre effet durant la période juridiquement protégée. Celles-ci sont paralysées. La difficulté est de savoir à quel moment elles sont susceptibles de produire leurs effets, si le débiteur ne s’exécute toujours pas.

Dans la version initiale de l’ordonnance délais, un mécanisme « forfaitaire » était prévu : les astreintes et clauses produisaient leurs effets un mois après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 24 juillet, si le débiteur ne s’était toujours pas exécuté. Un nouveau délai tampon d’un mois était ainsi laissé afin de tenir compte des difficultés de redémarrage de l’activité.

L’ordonnance modificative l’a remplacé par un mécanisme glissant plus subtil : la prise d’effet « est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période [la période juridiquement protégée], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ». Ce mécanisme rappelle celui de la suspension de la prescription. Prenons quelques exemples :

  • supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 30 mars, soit dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement son effet dix-huit jours après la fin de cette période juridiquement protégée, soit en l’état actuel des choses le 12 juillet si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté à cette date ;
  • supposons qu’un juge ait, le 1er février 2020, prononcé une astreinte devant commencer à prendre effet le 30 avril 2020, soit un mois et dix-huit jours après le début de la période juridiquement protégée. Elle produira finalement effet un mois et dix-huit jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 12 août ;
  • supposons un contrat conclu le 20 mars et une clause résolutoire devant, en cas d’inexécution, produire son effet le 15 mai. La date à laquelle l’obligation est née étant postérieure au 12 mars, c’est elle qu’il faut prendre en compte pour calculer la durée du report, laquelle sera ainsi d’un mois et vingt-cinq jours (délai entre le 20 mars et le 15 mai). La clause pourra donc produire effet un mois et vingt-cinq jours après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 18 août.

Le nouveau mécanisme est ainsi, selon les hypothèses, plus ou moins favorable au débiteur que l’ancien .

Faire bénéficier du mécanisme de l’article 4 les contrats conclus après le 12 mars est contestable dans la mesure où l’épidémie faisait déjà rage lorsque les consentements se sont rencontrés ; par conséquent, les parties ont dû raisonnablement anticiper les difficultés d’exécution qui en résulteraient. On peut toutefois justifier ce choix par le fait que nombre de contrats sont d’adhésion et que la faculté de négocier les clauses pénales peut se révéler illusoire. En toute hypothèse, les parties peuvent naturellement écarter le mécanisme de l’article 4, ce que reconnaît expressément le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance modificative.

L’alinéa 3 de l’article 4

Le nouvel alinéa 3, issu de l’ordonnance modificative, concerne les astreintes et clauses qui doivent produire effet après la fin de la période juridiquement protégée. Celles-ci n’étaient pas traitées dans la version initiale de l’ordonnance, ce qui a été critiqué par certains opérateurs économiques qui estimaient que les délais ne pouvaient pas être tenus en raison de l’épidémie. On pense par exemple à une construction devant être achevée après le 24 juin ; les chantiers étant à l’arrêt depuis plusieurs semaines, le retard s’est accumulé et ne pourra être rattrapé.

Sont toutefois laissées de côté les obligations de sommes d’argent. Le rapport au président de la République s’en explique : « l’incidence des mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire sur la possibilité d’exécution des obligations de somme d’argent n’est qu’indirecte et, passé la période juridiquement protégée, les difficultés financières des débiteurs ont vocation à être prises en compte par les règles de droit commun (délais de grâce, procédure collective, surendettement) ».

L’ordonnance modificative organise donc, pour ces astreintes et clauses sanctionnant l’inexécution d’une obligation autre que de sommes d’argent, un mécanisme de report similaire à celui prévu aux alinéas précédents : leur prise d’effet « est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période ». Prenons de nouveau deux exemples :

  • supposons un contrat conclu le 1er février 2020 et une clause pénale devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er juillet 2020 ; cette clause ne pourra produire son effet que trois mois et douze jours plus tard (durée de la période juridiquement protégée), soit le 13 octobre ;
  • supposons un contrat conclu le 1er avril 2020 et une clause résolutoire devant produire son effet en cas d’inexécution le 1er août 2020 ; le report est d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril (date de naissance de l’obligation) et le 24 juin (fin de la période juridiquement protégée), soit deux mois et vingt-trois jours ; la clause ne pourra donc produire son effet que le 24 octobre.

L’alinéa 4 de l’article 4

Cet alinéa, qui n’est pas modifié, est relatif aux astreintes et clauses pénales qui avaient déjà commencé à produire effet avant le 12 mars. Elles sont suspendues durant la période juridiquement protégée et reprennent leurs effets dès la fin de celle-ci. La solution est donc plus sévère que pour les alinéas précédents mais on le comprend aisément : il y a dans ce cas une inexécution antérieure à la crise et donc indépendante de celle-ci.

 

Antoine Gouëzel, Professeur à l’université de Rennes 1. Chargé de mission au bureau du droit des obligations. Direction des affaires civiles et du Sceau.

 

1. Les propos développés dans cet article reflètent les opinions personnelles de son auteur et n’engagent que lui.
2. Sur l’ensemble de ces questions, v. spéc. J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 2020. 611 .
3. Signalons ici que le II de l’art. 1er de l’ordonnance exclut un certain nombre de délais de son champ, notamment les obligations financières et garanties y afférentes (4°) ainsi que les délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci (5°). Signalons par ailleurs que, pour tout ce qui touche aux relations avec l’administration, le titre II de l’ordonnance prévoit de multiples dérogations.
4. V. not., G. Casu et S. Bonnet, Les défis de la construction face au coronavirus : analyse critique de l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020, Le Droit en débats, 2 avr. 2020.
5. Le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance modificative laisse d’ailleurs entendre qu’une modification de la période juridiquement protégée est envisagée en fonction de la manière dont la sortie de crise se déroulera.
6. L’ordonnance modification a cependant complété l’art. 4 pour les astreintes, clauses pénales, résolutoires et de déchéance devant prendre effet après cette date (v. infra).
7. S. Amrani-Mekki, Le club des juristes, 30 mars 2020. V. aussi, C. Auché et N. De Andrade, Coronavirus : impact sur les délais pour agir et les délais d’exécution forcée en matière civile, Dalloz actualité, 30 mars 2020.
8. Tel est d’ailleurs le cas en matière de saisie immobilière en vertu de l’art. 2, II, 3°, de l’ord. n° 2020-304 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété : les délais sont suspendus si bien que toutes les procédures sont paralysées.
9. M. Mekki, Ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus. Quel kit de premiers secours pour les rédacteurs d’actes ?, JCP N 2020. 1079, n° 19 ; C. Gijsbers, Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais : quelles incidences sur la pratique notariale ?, Flash Cridon, 30 mars 2020 ; C. Grimaldi, Ordonnances du 25 mars 2020 relatives au covid-19 et droit des contrats immobiliers : des questions subsistent, Defrénois 2 avr. 2020, p. 17 ; O. Deshayes, La prorogation des délais en période de Covid-19 : quels effets sur les contrats ?, D. 2020, à paraître.
10. V. en ce sens, M. Mekki, art. préc., n° 31 ; C. Gijsbers, art préc. V. par ailleurs sur l’article 5, N. Damas, Comment délivrer congé en période d’urgence sanitaire ?, Dalloz actualité, 2 avr. 2020.
11. Art. 5 : « Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’art. 1er, de deux mois après la fin de cette période ».
12. V., C. Gijsbers, art. préc., qui évoque ces délais au titre des « cas douteux », ou C. Grimaldi, art. préc. En revanche, M. Mekki, art. préc., n° 14, admet sans hésitation que le délai de rétractation relève de l’article 2, tout comme J.-P. Borel, Coronavirus : conséquences pour le notariat et les contrats en cours, Dalloz actualité, 7 avr. 2020 ou O. Deshayes, art. préc.
13. V. les développements de C. Gijsbers sur ce point, art. préc.
14. Tel est le cas en particulier pour le droit de rétractation de l’art. L. 271-1 CCH.
15. À l’exception de l’exclusion des « délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice » du droit de rétractation, dont on voit mal pour quelle raison ils pouvaient ne pas être inclus dans le champ initial de l’art. 2.
16. Civ. 2e, 20 févr. 1963, Bull. civ. II, n° 174.
17. C. Gijsbers, art. préc.
18. V. dans le même sens et sans hésitation, M. Mekki, art. préc., JCP N 2020. 1079, n° 14.
19. V. en ce sens, M. Mekki, art. préc., n° 19 ; C. Gijsbers, art. préc. ; J.-P. Borel, art. préc. Rappr. C. Grimaldi, art. préc.
20. V. dans le même sens, O. Deshayes, art. préc.
21. Sous réserve des dispositions dérogatoires prévues par d’autres textes, v. en particulier l’ord. n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de covid-19.
22. C’est moins favorable lorsque la clause devait prendre effet au début de la période juridiquement protégée, et plus favorable lorsque la clause devait prendre effet à la fin.
23. Sous l’empire de l’ordonnance initiale, l’inclusion de ces contrats dans le mécanisme de l’article 4 était discutable (v. O. Deshayes, art. préc.) ; la référence opérée par l’ordonnance modificative à la date de naissance de l’obligation, si elle est postérieure au 12 mars 2020, lève tout doute.