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Retour sur la marge de manœuvre du liquidateur face au divorce contentieux du débiteur

Le débiteur en liquidation judiciaire conserve la qualité pour intenter seul une action en divorce ou y défendre. Aussi, le liquidateur qui entend rendre inopposable à la procédure l’abandon, à titre de prestation compensatoire, d’un bien personnel du débiteur marié sous le régime de la séparation des biens qui a été décidé par le juge du divorce doit exercer une tierce opposition contre cette disposition du jugement de divorce.

Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire constitue la perte pour ce dernier de ses prérogatives patrimoniales, lesquelles sont transférées au liquidateur le temps de la procédure (C. com., art. L. 641-9). Pour autant, la force du dessaisissement est parfois relative et certains droits ayant une incidence patrimoniale sont conservés par le débiteur. Tel est le cas des droits qualifiés de « personnels ».

Si leur exercice est réservé au débiteur, c’est qu’ils comportent des considérations personnelles, morales et familiales trop importantes pour qu’ils soient exercés par un tiers et donc par le liquidateur. Admettre le contraire conduirait à l’établissement de situations cocasses. Imaginons un liquidateur divorcer en lieu et place du débiteur ! Figurons-nous encore un liquidateur se constituer partie civile pour le débiteur victime d’un fait infractionnel ! Cela étant, si le débiteur a seul qualité pour exercer ces droits, leurs conséquences patrimoniales sont, quant à elles, soumises au dessaisissement, ce qui justifie l’association du liquidateur à l’action du débiteur dans certaines hypothèses.

À ce propos, les incidences patrimoniales potentiellement importantes induites par le divorce offrent un terreau de discussions fertile quant au jeu du dessaisissement en ce domaine. Au gré des arrêts de la Cour de cassation, un véritable régime du divorce du débiteur en liquidation judiciaire s’est construit et l’arrêt ici rapporté apporte sa pierre à l’édifice.

En l’espèce, deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens ont acquis en indivision un immeuble. Le mari est placé en liquidation judiciaire courant 2008 et le divorce prononcé par un jugement du 9 septembre 2010. Un arrêt du 14 septembre 2011, rectifié le 14 novembre 2012, sans la présence du liquidateur à cette instance, a accordé à l’ex-épouse une prestation compensatoire en capital de 95 000 € sous la forme de l’abandon par le mari de sa part indivise dans l’immeuble précité.

Or, faisant valoir que les dispositions patrimoniales de cet arrêt étaient inopposables à la liquidation judiciaire, le liquidateur a assigné l’ex-épouse pour obtenir le partage de l’indivision et la vente aux enchères de l’immeuble indivis. Le mandataire obtient gain de cause en appel, les juges du fond estimant notamment que, les implications financières de l’action en divorce n’échappant pas au dessaisissement, il pouvait en être déduit que le liquidateur devait être appelé à la procédure de divorce. À défaut, les dispositions du divorce ne pouvaient qu’être inopposables à la procédure collective.

L’ex-épouse se pourvoit en cassation et la haute juridiction censure l’arrêt d’appel.

Pour la Cour de cassation, puisque le débiteur conserve, malgré son dessaisissement, la qualité pour défendre à une action en divorce, l’absence du liquidateur à cette instance ne rend pas les dispositions patrimoniales de la séparation inopposables à la procédure collective.

En réalité, la haute juridiction fournit la marche à suivre pour le mandataire. Il lui incombe de former tierce opposition à la décision prononçant le divorce, et ce afin de faire déclarer inopposable à la liquidation judiciaire la disposition du jugement décidant de l’abandon de la part du débiteur dans l’immeuble acquis par les époux en indivision.

L’arrêt ici rapporté comporte, d’abord, un air de déjà-vu et insuffle, selon nous, ensuite, un vent d’incertitudes.

Un air de déjà-vu

La solution fournie par la Cour de cassation rappelle un arrêt rendu par la chambre commerciale du 16 janvier 2019. La haute juridiction y avait estimé que, puisque le débiteur en liquidation judiciaire avait qualité pour défendre à une instance en divorce tendant notamment à la fixation et aux modalités de paiement d’une prestation compensatoire, le liquidateur ne pouvait, quant à lui, que former tierce opposition à l’encontre du jugement résultant de cette instance (Com. 16 janv. 2019, n° 17-16.334 P, Dalloz actualité, 11 févr. 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 980 , note F. Hartman ).

La compréhension de ces solutions passe par la dissociation de l’hypothèse d’un divorce amiable et celle d’une rupture contentieuse.

En matière « amiable », nous retrouvons la règle selon laquelle l’action en divorce ne peut être exercée par le liquidateur. Cela étant, puisque la rupture peut avoir des conséquences patrimoniales, le mandataire doit nécessairement être associé à la signature de la convention de divorce. À défaut, les dispositions patrimoniales de cette convention seraient inopposables à la procédure collective (Com. 26 avr. 2000, n° 97-10.335, Bull. civ. IV, n° 81 ; D. 2000. 263 , obs. A. Lienhard ).

L’hypothèse d’un divorce contentieux bouleverse ces règles. À condition qu’il soutienne les prétentions du débiteur, le mandataire peut intervenir à l’instance par voie d’accessoire (C. pr. civ., art. 330). Toutefois, son intervention volontaire est jugée irrecevable (Civ. 1re, 4 juin 2007, n° 06-18.515, Bull. civ. I, n° 216 ; D. 2007. 1794 ; ibid. 2690, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2007. 313, obs. S. David ; RTD civ. 2007. 551, obs. J. Hauser ).

Comment cette irrecevabilité s’explique-t-elle ?

Théoriquement, l’irrecevabilité du mandataire à intervenir à l’instance du divorce contentieux s’explique par l’office du juge du divorce. En effet, la nature contentieuse de la rupture modérerait le risque de décisions prises au détriment de l’intérêt collectif des créanciers. La situation est la suivante : lorsque les époux soumettent leurs différends au juge, ce dernier prend sa décision en pondérant les intérêts en présence. Le juge devient ainsi le garant de l’intégrité du gage commun des créanciers en lieu et place du liquidateur judiciaire.

La présence du liquidateur à l’instance d’un divorce contentieux n’est cependant pas totalement à exclure, car il pouvait être mis en cause par l’une des parties. Au vrai, cette possibilité se transformait sans aucun doute en une contrainte dans la mesure où la Cour de cassation avait jugé que les dispositions à caractère patrimonial du jugement de divorce étaient inopposables à la procédure collective à défaut de mise en cause du liquidateur (Com. 7 avr. 2009, n° 08-16.510 NP ; Civ. 1re, 7 nov. 2018, n° 17-27.272 NP, AJ fam. 2018. 683, obs. V. Avena-Robardet ).

Aujourd’hui, la portée de cette règle est contrariée.

Depuis l’arrêt précité du 16 janvier 2019, l’exigence tenant à la mise en cause du liquidateur pour respecter les impératifs de la liquidation judiciaire semble remplacée par l’ouverture d’une tierce opposition lorsque le mandataire entend contester les dispositions patrimoniales du jugement de divorce.

Au bénéfice de ces premiers éléments, il est donc permis d’affirmer que l’arrêt commenté ne constitue qu’un rappel de l’arrêt de 2019. Ainsi comporte-t-il un air de déjà-vu. Reste que cette position, si elle est compréhensible et en accord avec le droit commun du divorce, recèle certaines zones d’ombres préjudiciables à l’intérêt des créanciers du débiteur en liquidation judiciaire.

L’air de déjà-vu se mue alors en un vent d’incertitudes.

Un vent d’incertitudes

Quand bien même nous ne souscrivons pas totalement à la solution adoptée par la haute juridiction, concédons toutefois, pour commencer, qu’elle se justifie. Au demeurant, il résulte de cette décision un alignement de régimes entre celui auquel est soumis le créancier de l’un des époux en dehors du contexte d’une procédure collective et celui dorénavant imposé au liquidateur (Civ. 1re, 5 nov. 2008, n° 06-21.256, Bull. civ. I, n° 252 ; D. 2008. 2938 ; AJ fam. 2009. 33, obs. S. David ; RTD civ. 2009. 101, obs. J. Hauser ).

Cela étant, puisque la tierce opposition constitue désormais la seule « arme » à la disposition du liquidateur pour remettre en cause les aspects patrimoniaux d’un divorce contentieux, celle-ci doit être analysée au regard des enjeux du droit des entreprises en difficulté.

Las, il en résulte un certain nombre d’incertitudes. Une première interrogation apparaît quant au régime de cette voie de recours.

Nous savons qu’en droit commun, la tierce opposition est ouverte au créancier qui se prévaut d’une fraude ou d’un moyen qui lui est propre (C. pr. civ., art. 583) mais la Cour de cassation a développé, dans la matière du divorce, un régime plus restrictif, où l’ouverture de la tierce opposition est exclusivement fondée sur la preuve de la fraude de la part du débiteur ou, encore plus strictement, sur la preuve d’une collusion frauduleuse de la part des conjoints (Civ. 1re, 13 mai 2015, nos 14-10.501 et 14-10.547, Bull. civ. I, n° 112 ; Dalloz actualité, 3 juin 2015, obs. M. Kebir ; AJ fam. 2015. 350, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2015. 592, obs. J. Hauser ). Or, tant au sein de l’arrêt de 2019 qu’au sein de l’arrêt commenté, la Cour de cassation demeure silencieuse à propos de ces exigences à l’égard du mandataire.

Gageons donc que le régime à appliquer est celui de la tierce opposition de droit commun. D’une part, ceci aurait l’avantage de passer outre les contraintes relatives à la preuve d’agissements frauduleux. D’autre part, au contraire, la preuve du moyen propre serait facilitée pour le liquidateur, car celui-ci émanerait, en toutes hypothèses, de sa fonction : la défense de l’intérêt collectif des créanciers.

Une deuxième interrogation surgit quant à la portée de l’arrêt ici rapporté.

Plus précisément, la question concerne le poids de l’objet de l’instance dans les solutions posées par la Cour de cassation. Tant l’arrêt de 2019 que l’arrêt sous commentaire concernent les modalités de fixation d’une prestation compensatoire. En l’occurrence, la nature alimentaire de celle-ci est décisive, car elle permet au créancier d’aliment d’être payé, et ce quelle que soit la nature, antérieure ou postérieure, de sa créance à la procédure collective (Com. 8 oct. 2003, nos 00-14.760 et 99-21.682, Bull. civ. IV, nos 151 et 152). Si elle échappe aux contraintes de la procédure, la créance relative à la prestation compensatoire doit, en principe, être payée sur les biens dont le débiteur conserve la libre disposition (Com. 13 juin 2019, n° 17-24.587 P, Dalloz actualité, 26 juin 2019, obs. A. Lienhard). L’arrêt du 16 janvier 2019 allait au-delà de ce principe, car le versement de la prestation compensatoire y était opéré par l’exécution forcée d’un bien soumis au dessaisissement, ce qui conduisait à la payer par la soustraction d’un bien au gage commun de la procédure et donc, par un bien dont le débiteur ne conservait pas la libre disposition.

Au sein de l’arrêt commenté, la situation est légèrement différente. En effet, l’attribution en pleine propriété portait sur la part indivise du débiteur au sein d’une indivision née antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective. Or, dans ces hypothèses, les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis (C. civ., art. 815-17, al. 2 ; Civ. 1re, 10 juin 2015, n° 14-14.599, Bull. civ. I, n° 139 ; D. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 544, obs. J. Casey ; Rev. crit. DIP 2016. 506, note V. Parisot ). Dès lors, puisque le bien ne fait pas partie du gage des créanciers personnels des indivisaires, il faut en conclure que le bien est exclu du gage commun de la procédure collective (M. Sénéchal, L’effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers, Litec, 2002, nos 190 s.). Par conséquent, il ne constitue pas un actif réalisable au profit de l’intérêt collectif des créanciers. Aussi, ni le bien ni les sommes issues de sa vente ne peuvent être appréhendés par le liquidateur (Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-16.216, Bull. civ. II, n° 96 ; Dalloz actualité, 17 juin 2013, obs. C. Dreveau ; D. 2013. 1268 ; AJ fam. 2013. 445, obs. N. Levillain ).

À s’en tenir à ces éléments, l’ouverture de la tierce opposition paraît moins gênante au sein de l’arrêt ici commenté qu’au sein de l’arrêt du 16 janvier 2019, puisqu’en l’espèce, la disposition du jugement de divorce portait sur un bien certes compris dans le patrimoine du débiteur, mais qui échappait, sous toutes réserves, au périmètre de l’effet réel de la procédure collective, et donc au giron de la qualité pour agir du liquidateur. Cependant, l’on pourrait objecter que l’attribution en pleine propriété de la part indivise du débiteur à son ex-épouse a pour effet de priver le liquidateur du droit de solliciter le partage et donc d’une potentielle action en reconstitution du gage commun des créanciers (C. civ., art. 815-17, al. 3).

En se détachant de ces considérations techniques, l’ouverture d’une tierce opposition au liquidateur en tant que seul moyen pour le mandataire de s’opposer aux dispositions patrimoniales d’un divorce contentieux ne nous paraît pas satisfaisante.

Quand bien même nous serions en présence d’un divorce d’une nature contentieuse, les parties règlent dans la majorité des cas les conséquences patrimoniales de la séparation au sein d’une convention qui sera ensuite homologuée. Or, plutôt que de reconnaître une voie de recours au mandataire, l’intégration de ce dernier dès la demande en divorce, sous peine d’inopposabilité des dispositions patrimoniales du jugement, nous paraît plus adéquate.

À cet égard, nous avions souligné, à propos de l’arrêt du 16 janvier 2019, que la tierce opposition du mandataire avait de grandes chances d’aboutir tant la fraude des époux semblait constituée, mais nous émettions des doutes quant aux situations au sein desquelles le comportement frauduleux serait moins évident (B. Ferrari, note ss. Com. 16 janv. 2019, n° 17-16.334, préc. ; Gaz. Pal., 9 juill. 2019, n° 355x1, p. 59). En l’occurrence, au sein de l’arrêt ici rapporté, la situation est plus délicate. Surtout, tout porte à croire que le juge du divorce n’était pas au fait de la liquidation judiciaire de l’ex-époux. Nous ne pouvons ici procéder que par supposition, mais le montant de la prestation compensatoire alloué en l’espèce surprend lorsque l’on sait qu’il est normalement fixé en considération des informations fournies par le débiteur de la prestation sur ses ressources au moment du divorce (C. civ., art. 271 et 272), c’est-à-dire à un moment où la liquidation judiciaire était déjà ouverte !

Pour l’ensemble de ces raisons, la tierce opposition offerte au liquidateur nous semble faire figure de maigre garantie de l’intérêt collectif des créanciers. Surtout, à l’heure où la réduction de la durée des procédures est de mise, l’adjonction d’une voie de recours supplémentaire, et donc d’une potentielle cause de retardement des clôtures de procédure, est inopportune. Pour que ces difficultés ne se présentent pas, il serait plus souhaitable de généraliser l’intervention du liquidateur aux instances de divorce de nature contentieuse, et ce, dès le stade de la demande de divorce présentée par le débiteur (en ce sens, v. P. Rubellin, note ss. Com. 16 janv. 2019, nº 17-16.334, préc., BJE mai 2019, nº 116w9, p. 25).