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Retour sur le procès dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Rassemblement national

Le 31 mars 2025, le Tribunal correctionnel de Paris condamnait le Rassemblement national et vingt-cinq de ses cadres ou collaborateurs pour détournement de fonds publics en raison de l’affectation de leurs assistants parlementaires européens à des missions effectuées au bénéfice du parti politique. Plusieurs d’entre eux ont immédiatement relevé appel de ce jugement et contestent donc leur condamnation. Compte tenu du tollé provoqué par cette décision, nous avons suivi les mots du célèbre professeur André Vitu qui dit que le juriste est un animal à sang froid et avons souhaité revenir, de manière sereine, sur les enjeux juridiques de ce procès. 

Rappelons, en fait, qu’en 2014, une enquête administrative était ouverte par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) à la suite d’une dénonciation anonyme concernant les emplois en tant qu’assistants parlementaires de Louis Alliot et Florian Philippot. S’il n’était finalement pas donné de suite à cette première procédure, elle permettait de mettre au jour les activités de Catherine Griset, cheffe de cabinet de Marine Le Pen, et de Thierry Légier, son garde du corps, exerçant tous deux également comme ses assistants parlementaires.

En mars 2015, le président du Parlement européen, Martin Schulz, saisissait l’OLAF d’éventuelles autres irrégularités dans les salaires versés aux collaborateurs d’eurodéputés frontistes. Il constatait en effet que vingt des vingt-quatre assistants parlementaires en poste figuraient dans l’organigramme du parti.

Il était ainsi concrètement reproché par le Parlement européen aux assistants recrutés de ne pas œuvrer, comme ils auraient dû, au service exclusif du travail parlementaire de leurs députés mais d’être soit au service personnel de ces derniers, soit au service du parti lui-même (Front national puis Rassemblement national). Or, une telle pratique tombe sous le coup de la loi au titre de l’article 432-15 du code pénal réprimant le détournement de fonds publics.

Le délit de détournement de fonds publics

Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende d’un million d’euros dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction (C. pén., art. 432-15).

Réprimé au cœur de la section du code pénal dédiée aux manquements au devoir de probité, le détournement de fonds est une infraction dont peuvent se rendre coupables les décideurs publics. C’est moins la provenance des fonds détournés qui est en jeu, que la fonction dont celui qui les dévoie est investi. À ce titre, l’article est parfaitement applicable à une utilisation illicite de fonds privés par un agent public (Crim. 26 févr. 1990, n° 89-82.282, rendu sous l’empire de l’anc. art. 169 c. pén.).

À l’instar de la récente jurisprudence consacrant l’abus de confiance par détournement du temps de travail du salarié (Crim. 30 juin 2021, n° 20-81.570, Dalloz actualtié, 13 juill. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 1708 , note C. Ballot-Squirawski ; ibid. 1497, chron. M. Fouquet, L. Guerrini, O. Violeau, A.-S. de Lamarzelle, C. Carbonaro et L. Ascensi ; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2021. 472, note P. de Combles de Nayves ; RSC 2021. 845, obs. H. Matsopoulou ), le détournement du temps de travail d’un assistant parlementaire est appréhendé par le délit prévu par l’article 432-15 du code pénal.

Dans l’affaire en présence, c’est la mise en place et la perpétuation d’un système organisé qui étaient reprochées aux prévenus. Cette accusation portée par le ministère public est étayée par le nombre d’intervenants, le montant des sommes détournées et la période sur laquelle les agissements frauduleux se sont étendus. En effet, les déclarations de culpabilité intervenues le 31 mars 2025 « concernent neuf députés, douze assistants et représentent environ 2,9 millions d’euros de fonds détournés au profit du parti entre le 1er novembre 2004 et le 17 janvier 2016, soit pendant plus de onze ans, au cours de trois législatures ». Plus encore, les juges de la onzième chambre du Tribunal correctionnel de Paris ont relevé le dessein infractionnel des cadres du Rassemblement national lesquels étaient désireux, selon le tribunal et dans le contexte d’importantes difficultés financières du parti, de permettre à ce dernier de « faire des économies grâce au Parlement européen ». C’est ainsi que le trésorier du Rassemblement national, Wallerand de Saint-Just, écrivait à Marine Le Pen en 2014, alors qu’elle était présidente du parti : « [L]es dépenses ont donc tendance à déraper. Les postes principaux (…) augmentent considérablement (…). Ces postes sont difficiles à contrôler ». Il ajoutait « dans les années à venir et dans tous les cas de figure, nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen » (et au préjudice de ce dernier).

Notons que s’il existe, depuis 2009, deux types de contrats d’assistants parlementaires – à savoir les assistants parlementaires locaux (qui travaillent dans la circonscription du député européen) et les assistants parlementaires accrédités (qui doivent résider à proximité du Parlement pour y travailler exclusivement, en échange de quoi ils bénéficient de primes et d’avantages fiscaux) –, le système reproché au Rassemblement national et à ses dirigeants a concerné indistinctement ces deux types de collaborateurs.

En particulier, il était demandé aux nouveaux députés de choisir un collaborateur parlementaire et de laisser le solde de leur enveloppe à la disposition du parti, qui en faisait ensuite l’usage voulu par ses dirigeants, si bien que le tribunal relevait que « ces pratiques s’inscrivent dans le cadre d’une gestion mutualisée, centralisée, et optimisée des enveloppes des députés, destinée à assurer la consommation intégrale du budget de la dotation allouée à chaque député pour ses frais d’assistance parlementaire ».

L’élément matériel était ainsi qualifié sans doute aucun par les juges correctionnels qui ajoutaient même que « le système élaboré mis en place n’a trouvé de limite que dans la dénonciation des faits et l’ouverture de la présente procédure judiciaire ».

La peine d’inéligibilité et sa motivation

La peine d’inéligibilité résulte d’une combinaison des articles 432-17 et 131-26 du code pénal, lesquels prévoient que cette...

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