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Retour sur la sanction de l’année lombarde

La mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’ancien article L. 312-33 du code de la consommation, lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale.

par Jean-Denis Pellierle 6 avril 2020

On connaît l’importance du contentieux relatif aux sanctions en matière de taux d’intérêt, notamment quant à l’année sur la base de laquelle est calculé ce taux. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 11 mars 2020 permet de revenir sur cette question. En l’espèce, suivant offre acceptée le 6 février 2014, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs trois prêts immobiliers. Reprochant à la banque d’avoir calculé les intérêts des prêts sur la base d’une année de trois cent soixante jours, les emprunteurs l’ont assignée en annulation des stipulations de l’intérêt conventionnel et substitution de l’intérêt légal.

La cour d’appel de Chambéry, dans un arrêt du 13 septembre 2018, après avoir relevé que l’offre de prêt méconnaissait la règle imposant de calculer le taux d’intérêt conventionnel sur la base de l’année civile, a annulé la clause stipulant l’intérêt conventionnel et ordonné la substitution de l’intérêt légal. L’arrêt est censuré, au visa des articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation, le premier de ces textes dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, le second dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et l’article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : la Cour de cassation rappelle qu’« il résulte de ces textes que la mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’article L. 312-33 du même code, lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale » et en conclut qu’« en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les textes susvisés ».

La solution est parfaitement justifiée : si la référence à l’année de trois cent soixante jours, dite lombarde, est admise dans les rapports entre professionnels, du moins s’agissant du taux d’intérêt conventionnel (Com. 4 juill. 2018, n° 17-10.349, D. 2018. 1484 ; ibid. 2019. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; AJDI 2019. 219 , obs. J. Moreau , « si, dans un prêt consenti à un professionnel, les parties peuvent convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base que l’année civile, le taux effectif global doit être calculé sur la base de l’année civile ; qu’il appartient à l’emprunteur, qui invoque l’irrégularité du taux effectif global mentionné dans l’acte de prêt, en ce qu’il aurait été calculé sur la base d’une année de 360 et non de 365 jours, de le démontrer »), elle est en revanche prohibée dans les rapports entre professionnels et consommateurs, l’ancien article R. 313-1 du code de la consommation (devenu art. R. 314-2 après décr. du 29 juin 2016), visé par la Cour, faisant référence à l’année civile (v. à ce sujet, D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, nos 244 et 245 ; v. égal. G. Biardeaud, Rejet de l’année lombarde : une dérive inquiétante, D. 2017. 116 ; J. Lasserre Capdeville, Interrogations autour du recours au « diviseur 360 » pour les crédits aux consommateurs, JCP E 2017. 1496 ; C. Lèguevaques, L’année lombarde et les banques. Entre faute lucrative et risque systémique diffus, LPA 4 oct. 2017, p. 6). Et l’ancien article L. 312-33 in fine du code de la consommation (devenu art. L. 341-34 à la faveur de l’ord. du 14 mars 2016) prévoyait qu’en cas de violation de l’ancien article L. 312-8 du même code (devenu art. L. 313-25), imposant notamment la mention du taux d’intérêt dans l’offre de prêt, « le prêteur ou le bailleur pourra en outre être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ».

Certes, la jurisprudence appliquait la sanction de la substitution du taux légal au taux conventionnel, mais seulement lorsque la référence à l’année lombarde figurait au sein du contrat (v. par ex. Civ. 1re, 19 juin 2013, n° 12-16.651, Sté Compagnie européenne de garanties et de cautions, Dalloz actuallité, 1er juill. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 2084, obs. V. Avena-Robardet , note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2013. 770 , obs. B. Wertenschlag, O. Poindron et J. Moreau , considérant, au visa de l’art. 1907, al. 2, du code civil, et des anciens articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation « qu’en application combinée de ces textes, le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile » : v. égal. Civ. 1re, 17 juin 2015, n° 14-14.326, Augé c. Crédit mutuel de Saint-Martin, Dalloz actualité, 10 juill. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 1365 ; AJDI 2015. 784 ; comp. Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-19.097, Dalloz actualité, 6 déc. 2019, obs. J.-D. Pellier, D. 2019. 2292 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 32, obs. J. Moreau ; ayant considéré, au visa de l’article 1907 du code civil, ensemble les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation, ces trois derniers textes dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 : « l’emprunteur doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer que ceux-ci ont été calculés sur la base d’une année de trois-cent-soixante jours et que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation, la cour d’appel a violé les textes susvisés » ; v. égal. Civ. 1re, 4 juill. 2019, n° 17-27.621, Dalloz actualité, 29 juill. 2019, obs. J.-D. Pellier, D. 2019. 1445 ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 856, obs. H. Barbier ; ayant refusé d’appliquer la sanction en l’absence de préjudice pour l’emprunteur : « la cour d’appel ayant relevé que le rapport d’expertise amiable produit par les emprunteurs, dont elle a souverainement apprécié la valeur et la portée, établissait que le calcul des intérêts conventionnels sur la base, non pas de l’année civile mais de celle d’une année de trois cent soixante jours, avait eu pour effet de minorer le montant de ces intérêts, de sorte que l’application de la clause litigieuse ne venait pas à leur détriment »). Les juges du fond avait donc, en l’occurrence, confondu la sanction du taux erroné dans le contrat avec celle du taux erroné dans l’offre de prêt. Il est vrai que cette distinction est incohérente et source de confusion.

Le législateur a certes réglé cette question s’agissant du taux effectif global en adoptant l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, ayant posé le principe selon lequel, « en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global prévue à l’article L. 314-5, le prêteur peut être déchu du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur » (C. consom., art. L. 341-48-1, al. 1er ; v. égal. art. L. 341-34, al. 2, concernant l’offre de prêt immobilier ; v. à ce sujet J.-D. Pellier, L’harmonisation des sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, CCC déc. 2019, Focus 43). Mais cette ordonnance ne concerne que le taux effectif global et non le taux d’intérêt conventionnel. On peut donc douter du fait que ladite ordonnance permette de canaliser le contentieux relatif au taux d’intérêt (comp. D. Legeais, La fin du contentieux relatif au TEG ! RDBF sept. 2019, repère 5). Affaire à suivre…