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Retour sur la sanction de l’article 2293 du code civil

Le défaut d’information annuelle de la caution, prévue à l’article 2293 du code civil, est sanctionné par la déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités.

par Jean-Denis Pellierle 25 octobre 2019

Nombreuses sont les obligations d’information pesant sur le créancier en matière de cautionnement (ce qui ne confère pas pour autant à ce contrat un caractère synallagmatique, v. à ce sujet, M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement ? Le caractère unilatéral du cautionnement à l’épreuve des nouvelles contraintes du créancier, préf. de D. Houtcieff, 2011, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 528). Parmi ces obligations, se trouve celle prévue par l’article 2293 du code civil, qui s’applique à l’égard de la caution personne physique s’engageant de manière indéfinie, « c’est-à-dire au cautionnement pur et simple d’une ou plusieurs dettes déterminées » (v. P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretésL la publicité foncière, 7e éd., 2016, Dalloz, n° 164) : selon l’alinéa 2 de ce texte « celle-ci est informée par le créancier de l’évolution du montant de la créance garantie et de ces accessoires au moins annuellement à la date convenue entre les parties ou, à défaut, à la date anniversaire du contrat, sous peine de déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités ». Le contentieux relatif à cet article est suffisamment rare pour mériter d’être souligné (v. à ce sujet, G. Biardeaud et P. Flores, Information annuelle de la caution et article 2293 du code civil : mais où reste donc le contentieux ?, D. 2007. 174 ).

La première chambre civile de la Cour de cassation a en effet eu l’occasion de faire application de ce texte dans un arrêt du 10 octobre 2019. En l’espèce, par acte authentique des 2 et 9 juillet 1990, une banque a consenti à une société un prêt d’un montant de 795 000 francs, soit 121 197 €, avec intérêts conventionnels au taux de 12 % l’an, remboursable en quinze années, dont Mme D. s’est portée caution solidaire.

À la suite d’impayés, la banque s’est prévalue de la déchéance du terme et a fait inscrire, le 5 juin 2015, une hypothèque judiciaire provisoire sur un bien immobilier appartenant à la caution. Cette dernière a par la suite assigné la banque en mainlevée de la sûreté et, soutenant qu’il n’était pas justifié de son information annuelle du montant de la créance, a sollicité la déchéance de tous les accessoires, intérêts, frais et pénalités. Ayant été condamnée par un arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre du 19 mars 2018 à recalculer le montant de sa créance en excluant les frais et accessoires à l’exception de l’intérêt légal dû à compter de la mise en demeure de la caution, la banque forma un pourvoi en cassation.

Celui-ci est rejeté : « Mais attendu, en premier lieu, que le défaut d’information annuelle de la caution, prévue à l’article 2293 du code civil, étant sanctionné par la déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités, la cour d’appel, qui a relevé que la banque ne pouvait justifier du respect de cette obligation, n’était pas tenue de procéder à la recherche prétendument omise ; Et attendu, en second lieu, qu’ayant fixé toutes les modalités de calcul de la somme mise à la charge de la caution, elle n’a pas méconnu son office en n’effectuant pas le calcul nécessaire à la détermination du montant de la condamnation ».

La solution est parfaitement justifiée : c’est bien la déchéance de l’ensemble des accessoires de la dette qui est fulminée par l’article 2293 du code civil (sanction qui a vocation à s’appliquer aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions ayant institué ce texte ; v. Civ. 1re, 5 juill. 2005, n° 03-16.696 ; Aix-en-Provence, 21 janv. 2009, JCP 2009. II. 10100, 2e esp., note J.-D. Pellier).

On observera qu’il n’en va pas de même s’agissant des obligations d’information prévues par d’autres textes : l’article L. 343-6 du code de la consommation, sanctionnant le non-respect de l’obligation d’information pesant sur le créancier professionnel à l’égard de la caution personne physique, prévue par l’article L. 333-2 du même code, prévoit ainsi que « lorsqu’un créancier ne respecte pas les obligations prévues à l’article L. 333-2, la caution n’est pas tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information » (rappr. art. 47, II, L. n° 94-126 du 11 févr. 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle ; v. à ce sujet, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 163, observant que « cette obligation d’information se trouve aujourd’hui absorbée par celle, plus large, résultant de la loi du 1er août 2003 »).

C’est donc seulement la déchéance des pénalités et intérêts de retard qui est envisagée par le texte. L’article L. 313-22 du code monétaire et financier prévoit, quant à lui, au sujet des établissements de crédit et sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, que le manquement à l’obligation d’information relative au montant de la dette « emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ». Là encore, la sanction est limitée par rapport à celle de l’article 2293 (v. en ce sens, P. Simler et P. Delebecque, op. cit., n° 162, relevant que « cette déchéance ne s’étend pas aux autres accessoires, tels que les commissions et frais ». Comp. L. Bougerol et G. Mégret, Droit du cautionnement, préf. de P. Crocq, 2018, Gazette du Palais, n° 220 : « comme les dispositions de l’article L. 341-6, devenu L. 333-2 et L. 343-6 du code de la consommation, l’étendue de la sanction, qui ne vise pas simplement les intérêts mais tous les accessoires de la dette et pénalités, devrait pourtant inciter certaines cautions à solliciter son application »).

L’ensemble de ce dispositif rend notre droit difficilement lisible, raison pour laquelle l’on saura gré au législateur d’y remédier. L’article 60, I, 1°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », autorise en effet le gouvernement à « réformer le droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique » (v. à ce sujet, O. Gout, Quelle réforme pour les sûretés dans la loi PACTE ?, AJ Contrat 2019. 264 ; C. Juillet, L’article 60 de la loi Pacte, coup d’envoi de la réforme du droit des sûretés, JCP N, 31 mai 2019, 1208 ; J.-D. Pellier, La réforme du droit des sûretés est lancée !, Dalloz actualité, 2 juill. 2019 ; v. égal., concernant le projet initial, Y. Blandin, De la réforme des sûretés après adoption par l’Assemblée nationale du projet de loi PACTE, Dalloz actualité, 24 oct. 2018 ; J.-D. Pellier, La réforme des sûretés est en marche !, Dalloz actualité, 25 juin 2018).

La future ordonnance devrait très certainement s’inspirer des propositions de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’Association Henri Capitant (v. à ce sujet, M. Grimaldi, D. Mazeaud et P. Dupichot, Présentation d’un avant-projet de réforme du droit des sûretés, D. 2017. 1717 ; v. égal., G. Piette et D. Nemtchenko, L’avant-projet de réforme du droit des sûretés, 1er févr. 2018, Lexbase hebdo, éd. aff., n° 540. Concernant les dispositions relatives au cautionnement, v. J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement. À propos de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri-Capitant, D. 2018. 686, spéc. n° 4  ; comp., A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678 ).

À cet égard, l’article 2303, alinéa 1er, de cet avant-projet prévoit que « le créancier professionnel est tenu, avant le 31 mars de chaque année, de faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette et de ses accessoires restant dus au 31 décembre de l’année précédente, sous peine de déchéance des intérêts et accessoires échus depuis la date de la précédente information et jusqu’à celle de la communication de la nouvelle information. Dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette ». Corrélativement, seraient abrogées l’ensemble des obligations d’information actuellement prévues.

Les auteurs de l’avant-projet affirment à ce sujet que « cette disposition, qui reproduit en substance celle de l’article L. 313-22 du code monétaire et financier, est appelée à remplacer les quatre obligations d’information ayant le même objet, mais dont l’articulation est très problématique, dispersées entre trois codes différents (C. mon. fin., art. L. 313-22 ; C. civ., art. 2293, al. 2 ; C. consom., art. L. 333-2 et L. 343-6, anc. art. L. 341-6 ; L. 11 févr. 1994, art. 47, II). La solution d’un texte unique s’impose, et sa place est dans le code civil. Toutes les dispositions spéciales précitées devront être abrogées » (Avant-projet de réforme du droit des sûretés, p. 57). Le code civil retrouverait ainsi la place qui aurait dû rester la sienne (v. à ce sujet, P. Delebecque, Le cautionnement et le code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004. 226).