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La rétractation du consentement à l’adoption hors délai est (presque) sans effet…

Dans une affaire d’adoption de l’enfant du conjoint, la Cour de cassation réaffirme que le consentement à l’adoption ne peut être rétracté au-delà du délai légal. Elle ajoute que l’opposition ultérieure du parent à cette adoption ne lie pas le juge qui doit statuer en fonction de l’intérêt de l’enfant.

L’arrêt de rejet rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juillet 2023 intervient dans un contexte classique – mais en principe voué à disparaître, nous y reviendrons – de constitution d’une famille homoparentale dans un couple de femmes par le biais de l’adoption de l’enfant du conjoint. En l’espèce, un couple de femmes marié en 2017 accueillait l’année suivante un enfant ; l’arrêt ne précise pas les modalités de sa conception. La femme ayant accouché, et donc, à ce titre, mère de l’enfant en vertu de l’article 311-25 du code civil, a, le 2 janvier 2020, consenti par acte notarié à l’adoption de l’enfant par son épouse. Par requête du 16 mars 2021, cette dernière a sollicité le prononcé de l’adoption plénière de l’enfant.

On comprend à la lecture de l’arrêt que, entre-temps, les relations entre les deux femmes se sont dégradées au point qu’elles se trouvent en instance de divorce et que la mère s’oppose désormais à l’adoption. Pour être plus précis, il ressort de l’arrêt sous examen que la mère de l’enfant avait semble-t-il changé d’avis après la décision du tribunal prononçant l’adoption puisqu’elle en avait fait appel en faisant valoir qu’elle s’opposait désormais à celle-ci. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans son arrêt du 16 septembre 2021, a néanmoins confirmé le prononcé de l’adoption. La mère a alors formé un pourvoi en cassation. Elle soutenait essentiellement que le consentement à l’adoption ne devenait irrévocable qu’à la date à laquelle le jugement prononçant cette adoption passait en force de chose jugée et qu’ainsi, lorsque le parent formait appel du jugement prononçant l’adoption, la cour d’appel devait « d’office », selon les termes rapportés par l’arrêt, annuler l’adoption prononcée en première instance. Aussi, en confirmant l’adoption, la cour d’appel aurait violé les 370-3 et 359 du code civil. La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Une rétractation sans effet sur la poursuite de la procédure

Il n’y a guère à dire sur les articles invoqués à l’appui du pourvoi tant on perçoit mal comment ils auraient pu mener à la cassation de l’arrêt d’appel. Il nous semble plus opportun de revenir sur le raisonnement de la Cour de cassation. S’appuyant sur les articles 345-1, 1°, 348-1 et 348-3 du code civil dans leur version alors applicable, la Cour de cassation rappelle que l’adoption plénière de l’enfant du conjoint nécessite le consentement du représentant légal de l’enfant et que ce consentement ne peut être rétracté que pendant deux mois. L’affirmation ne surprend pas pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, elle n’est que la reprise des termes de l’article 348-3 du code civil (qui s’appliquait à toute adoption) dans sa version de l’époque. On ajoutera simplement sur ce point que le délai de rétractation, désormais exprimé à l’article 348-5 du code civil, n’a pas été modifié par la réforme de l’adoption (issue de la loi n° 2022-219 du 21 févr. 2022 visant à réformer l’adoption puis de l’ord. n° 2022-1292 du 5 oct. 2022 prise en application de l’art. 18 de ladite loi) et qu’il s’applique toujours à l’adoption de l’enfant par « l’autre membre du couple » – selon la formule dorénavant consacrée par le code civil – en vertu d’un renvoi opéré par l’article 370 de ce code. Ensuite, cette impossible rétractation au-delà du délai prévu est cohérente avec le fait que le consentement à l’adoption « survive » au décès de celui qui l’a exprimé en vertu de l’article 353-1 du code civil (principe lui aussi applicable à l’adoption de l’enfant par l’autre membre du couple en vertu du renvoi opéré par l’art. 370 c. civ.). Surtout, deux mois plus tôt, la Cour de cassation avait approuvé une cour d’appel d’avoir retenu que le consentement à l’adoption « ne comportait aucune limite dans le temps ni ne se rattachait à une instance particulière, de telles réserves n’étant pas prévues par la loi » (Civ. 1re, 11 mai 2023, n° 21-17.737, Dalloz actualité, 5 juin 2023, obs. M. Mesnil ; D. 2023. 949 ; AJ fam. 2023. 337, obs. F. Eudier ; ibid. 302, obs. A. Dionisi-Peyrusse ).

Il est donc conforme aux textes et acquis en jurisprudence que, une fois écoulé le délai de deux mois, la rétractation du consentement à l’adoption de son enfant – par son conjoint uniquement à l’époque de l’arrêt, par son partenaire ou son concubin aussi depuis le 23 février 2022 – est sans effet sur la suite de la procédure d’adoption engagée (sous réserve des questions liées à l’élévation du contentieux, sur lesquelles, v. F. Berdeaux, obs. sous TJ Évry, 7 juin 2021, n° 20/06815, AJ fam. 2021. 429, obs. F. Berdeaux ). Cela ne signifie pas qu’elle ne peut avoir aucun effet sur son issue.

Une rétractation qui peut potentiellement affecter le fond

En effet, une phrase de l’arrêt sous examen nous paraît devoir être soulignée. Selon la Cour de cassation « à défaut de rétractation dans le délai légal, l’opposition du conjoint ne lie pas le juge qui doit seulement vérifier que les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant ». Affirmer que « l’opposition du conjoint ne lie pas le juge », c’est reconnaître qu’elle est un élément à prendre en compte pour prononcer – ou pas – l’adoption plénière de l’enfant. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ?

Même s’il ne figure pas dans l’arrêt, la Cour de cassation reprend ici les termes de l’article 353 du code civil (devenu art. 353-1 depuis l’ord. n° 2022-1292 du 5 oct. 2022, préc.) dans sa version applicable à l’époque et qui disposait que « l’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal judiciaire qui vérifie […] si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant ». Conformément aux exigences internationales – en tête desquelles se trouve l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant – l’intérêt de l’enfant doit donc être au cœur de la décision du juge sollicité pour prononcer une adoption...

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