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Révision des conventions et accords collectifs : la Cour de cassation fluidifie

Un syndicat, signataire initial d’une convention ou d’un accord collectif, qui n’est plus représentatif au moment où leur révision est envisagée, ne peut s’opposer à celle-ci.

par Julien Cortotle 20 octobre 2017

Que de chemin parcouru depuis les célèbres arrêts Basirico qui avaient amené la chambre sociale, puis l’assemblée plénière, à se prononcer sur les modalités de révision des conventions et accords collectifs (Soc. 9 mars 1989, n° 86-44.025, Bull. civ. V, n° 200 ; M. Despax, Conditions et effets de la révision d’une convention collective par voie d’avenant, Dr. soc. 1989. 631 ; Cass., ass. plén., 20 mars 1992, n° 90-42.196, Bull. ass. plén., n° 3 ; D. 1992. 296 , obs. A. Lyon-Caen ; Dr. soc. 1992. 360, rapp. D. Tricot ; ibid. 680, note J. Roche ) ! Le fondement civiliste de la force obligatoire de l’article 1134 avait alors conduit la Cour de cassation à imposer, pour qu’il puisse être mis fin à une disposition d’une convention collective à l’occasion de sa révision, que tous les signataires initiaux valident l’avenant de modification. À défaut – et sauf dénonciation en bloc de la convention initiale – les dispositions conventionnelles antérieures à la révision s’appliquaient concurremment avec celles issues de cette dernière, le principe de faveur permettant d’identifier la disposition applicable.

Dès l’année 1992, le législateur est intervenu pour mettre un terme à cette jurisprudence (L. n° 92-1446, 31 déc. 1992, relative à l’emploi, au développement du travail à temps partiel et à l’assurance chômage). Le dispositif de révision des conventions et accords collectifs fut alors précisé dans le code du travail (avant d’être modifié par la loi n° 2004-391, 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social).

Depuis la recodification de 2008, c’est l’article L. 2261-8 du code du travail qui dispose que l’avenant portant révision de tout ou partie d’une convention ou d’un accord se substitue de plein droit aux stipulations de la convention ou de l’accord qu’il modifie : les dispositions initiales sont donc supprimées. Néanmoins, dans sa rédaction issue de la recodification applicable à l’espèce, l’article L. 2261-7 n’ouvre la possibilité de signer l’avenant de révision qu’aux seules organisations syndicales de salariés représentatives signataires de l’accord initial ou y ayant adhéré. La Cour de cassation a considéré qu’en application de cette disposition « le consentement unanime des signataires est nécessaire pour engager la procédure de révision » (Soc. 13 nov. 2008, n° 07-42.481, Dalloz actualité, 26 nov. 2008, obs. B. Ines ; ibid. 2009. 590, obs. G. Borenfreund, L. Camaji, A. Fabre, O. Leclerc, T. Pasquier, E. Peskine, J. Porta et C. Wolmark ).

Cela signifie-t-il qu’une organisation syndicale, signataire de l’accord initial, peut s’opposer à une renégociation de l’accord collectif, alors même qu’elle a, depuis, perdu sa représentativité ? C’est à cette question que l’arrêt du 21 septembre 2017 répond.

Dans cette affaire, un syndicat représentatif lors de la conclusion d’un accord collectif et signataire de ce dernier avait perdu sa représentativité au moment de sa révision. Une autre organisation, représentative mais mécontente de cette révision, a alors mis en avant le fait que sa « consœur », qui n’était plus représentative, n’avait pas été convoquée aux nouvelles négociations et n’avait dès lors pas pu consentir à engager le processus de révision, afin d’obtenir la suspension de l’accord intervenu.

Il était évident que cette organisation n’était plus en mesure de signer ledit avenant, puisque n’étant plus représentative. Mais le requérant entendait s’appuyer sur la jurisprudence précitée pour justifier la nécessité d’obtenir son accord à la renégociation. L’argument ne manquait pas de pertinence et était bien en phase avec la position de la Cour de cassation, d’une part, et avec les règles contractuelles, d’autre part. En effet, en analysant la convention collective à l’aune du droit des obligations, si l’on peut admettre qu’un dispositif d’exception permette de se passer de l’accord des signataires initiaux pour conclure l’avenant la modifiant, il n’est pas incohérent d’exiger que tous les signataires soient au moins d’accord pour que le texte initial fasse l’objet d’une révision.

Tenant compte des évolutions de la notion de représentativité, la Cour de cassation s’oppose à cette solution et considère que le syndicat, signataire initial d’une convention ou d’un accord collectif, qui n’est plus représentatif au moment où sa révision est envisagée, ne peut s’opposer à celle-ci. Il ne saurait donc y avoir suspension de l’avenant ainsi conclu en raison de sa non-convocation aux négociations et du fait qu’il n’ait pas consenti à engager le processus de révision.

Les juges du droit s’attachent à motiver spécialement leur décision par « l’évolution des conditions d’acquisition par une organisation syndicale de la représentativité » depuis la loi du 20 août 2008 qui « conduit à apprécier différemment […] les conditions mises à la révision d’un accord collectif d’entreprise ».

Dans un communiqué publié sur son site internet, la Cour de cassation insiste sur la fin de la « représentativité présumée et immuable » qui justifiait l’ancienne interprétation. Elle souligne « qu’il faut désormais tirer les conséquences de la nouvelle légitimité démocratique reconnue aux syndicats en entreprise, remise en cause tous les quatre ans », justifiant ainsi que « seuls les syndicats signataires qui sont encore représentatifs lors du cycle électoral au cours duquel est proposée la révision de l’accord collectif peuvent s’y opposer ».

Même si l’on peut considérer que le résultat est satisfaisant, l’argument ne convainc pas complètement. Il y avait, avant la réforme de 2008, des organisations syndicales non affiliées aux centrales bénéficiant de la présomption de représentativité, qui étaient en mesure d’établir leur représentativité et de bénéficier des prérogatives attachées à cette qualité. Ces organisations pouvaient donc, après avoir conclu un accord collectif, ne plus être représentatives lors de sa révision. Le problème ici résolu par les juges du droit ne résulte pas de la loi de 2008 et aurait pu appeler à une solution identique sous l’empire des anciennes dispositions.

Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que toutes les organisations syndicales sont désormais susceptibles de perdre cette qualité à l’occasion du passage par les urnes lors des élections professionnelles (C. trav., art. L. 2121-1 s.), le problème est donc démultiplié.

Ce qui est nouveau, également, c’est que la loi Travail (L. n° 2016-1088, 8 août 2016) – dont les dispositions n’étaient pas applicables à l’espèce mais ont sans doute influencé les juges – a modifié l’article L. 2261-7 (désormais scindé en deux : art. L. 2261-7, pour le niveau interprofessionnel et de la branche, et art. L. 2261-7-1, pour l’entreprise ou l’établissement). Les nouvelles dispositions envisagent désormais de manière bien plus précise qu’auparavant l’engagement de la procédure de révision. Elles écartent, implicitement, l’exigence de l’unanimité des signataires pour engager le processus de révision antérieurement posée par la Cour de cassation (G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 31e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, § 1350). Il est maintenant nécessaire d’être représentatif pour engager cette procédure, cet engagement étant réservé à un ou plusieurs syndicats signataires ou adhérents lorsque la révision intervient au cours du même cycle électoral que celui pendant lequel l’accord initial a été conclu. Au-delà du cycle électoral au cours duquel a eu lieu la conclusion initiale, toute organisation syndicale représentative peut désormais engager la procédure de révision de l’accord.

L’évolution des dispositions collectives y gagne en fluidité, au prix d’une mise à l’écart de l’analyse contractuelle et du renforcement de la logique du statut pour la norme négociée par les partenaires sociaux.