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RPVA : nul besoin d’attendre d’être à « bout de délai » pour recourir au papier

Il résulte de l’article 930-1 du code de procédure civile, régissant la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, que la partie qui n’a pas pu transmettre un acte par la voie électronique à la cour d’appel pour une cause qui lui est étrangère peut remettre cet acte sur support papier au greffe sans attendre l’expiration du délai qui lui est, le cas échéant, accordé pour accomplir la diligence considérée. 

par Corinne Bléryle 11 septembre 2018

Pour sa rentrée, la deuxième chambre civile vient de rendre un nouvel arrêt en matière de communication par voie électronique : en fait, ce sont même deux arrêts qui ont été rendus le 6 septembre 2018 (n° 17-20.047, prochainement commenté sur Dalloz actualité). L’arrêt ici commenté contribue utilement à la construction qu’elle élabore depuis plusieurs années (sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et européen, S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 9e éd., 2016/2017, nos 161.221 s. ; Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris ; C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique », in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s. et « Numérique et échanges procéduraux », in Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 7 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd. LexisNexis, 2018, nos 485 s.). Si c’est encore la cause étrangère de l’article 930-1 du code de procédure civile qui fait l’objet de l’arrêt, celui-ci apporte une réponse inédite et bienvenue à une question qui inquiétait la doctrine (v. Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris, n° 70 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 506 ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel, LexisNexis, 2018, n° 690 ; C. Bléry, op. cit., n° 161.252 ; etc.) : il est désormais certain qu’il n’est nul besoin d’attendre d’être à « bout de délai », selon l’expression de MM. Gerbay (op. cit.) pour recourir au papier. L’arrêt revient aussi sur la notion et la preuve de la cause étrangère.

Dans une procédure avec représentation obligatoire, un appel est interjeté par voie papier au court du délai d’appel, en raison d’un « problème technique ». La cour d’appel le déclare recevable.

Pour ce faire, l’arrêt retient qu’« il est énoncé dans la déclaration d’appel que “l’appel a été enregistré au greffe en raison d’un problème technique”, cette énonciation ne se présentant pas dans l’acte comme une déclaration faite par l’appelant mais comme une affirmation du greffier qui, indiquant avoir reçu l’appel, certifie ensuite que c’est en raison d’un problème technique que l’appel a été enregistré au greffe, que le fait qu’un courriel RPVA ait pu être adressé par le greffe le 5 août 2013 au conseil de [l’appelant] n’excluait pas en lui-même l’existence d’un dysfonctionnement, d’une part, entre le service de la cour d’appel et certains autres cabinets et, d’autre part, à d’autres moments de la journée du 5 août 2013 ».

L’intimé se pourvoit.

Les première et deuxième branches du premier moyen contestent la possibilité de recourir au papier lorsque le délai court : aucun problème technique ne peut être considéré comme une cause étrangère, étant donné que l’avocat peut réitérer l’acte par voie électronique jusqu’à l’expiration du délai. La cour d’appel viole l’article 930-1 du code de procédure civile en jugeant que ce texte « n’exigerait pas que, pour pouvoir recourir, en cas de problème technique, à la procédure de déclaration au greffe, le délai prévu pour interjeter appel soit à son dernier jour ». Elle prive sa décision de base légale au regard du même article en ne recherchant pas, « ainsi qu’elle y était invitée, s’il avait existé un problème technique qui aurait revêtu le caractère d’une cause étrangère à l’avocat de la société HSBC, l’empêchant de transmettre son acte d’appel par voie électronique, jusqu’à la date d’expiration du délai d’appel ».

Aux termes de l’attendu rapporté en exergue, la deuxième chambre civile rejette « le moyen, qui manque en droit ».

En revanche, elle casse sur la troisième branche : « en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser que l’avocat de [l’appelant] avait été empêché de transmettre sa déclaration d’appel par la voie électronique en raison d’une cause qui lui était étrangère, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Au risque de lasser le lecteur, rappelons encore (v. déjà Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. Martial Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ; 17 mai 2018, n° 17-20.001, Dalloz actualité, 4 juin 2018, note C. Bléry ) que la notion de cause étrangère en matière de communication par voie électronique a été créée par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009. Ce décret l’a, d’une part, inséré à l’article 748-7 du code de procédure civile, qui a complété le régime général de la communication par voie électronique issu du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, d’autre part, à l’article 930-1 du même code, pour les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel. Les deux envisagent un dysfonctionnement de la communication par voie électronique – supposant l’existence prouvée d’une « cause étrangère » – et un remède.

La preuve de l’existence de la cause étrangère

« Conformément au droit commun de la preuve, il incombe à la partie qui estime avoir été confrontée à une cause étrangère d’en rapporter la preuve, laquelle n’est soumise à aucun régime particulier, s’agissant d’un fait juridique qui peut être établi par tout moyen » (L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 505). La Cour de cassation a déjà statué en ce sens (v. Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 15-18.041, NP ; 17 mai 2018, n° 17-15.319, NP, Gaz. Pal. 31 juill. 2018, p. 69, note C. Bléry).

Il est aussi nécessaire que le juge qui admet l’existence de cette cause étrangère la caractérise. La Cour de cassation nous dit que cela faisait défaut ici, que l’affirmation du greffier évoquant un « problème technique » était insuffisante, d’autant que le greffe avait pu, lui, adresser un message à l’avocat de l’appelant le jour où le problème se serait produit.

La Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur la notion de cause étrangère, qu’elle distingue à juste titre de la force majeure (v. Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864, préc. ; 17 mai 2018, n° 17-20.001, préc.), admettant parfois son existence et estimant d’autres fois qu’elle n’était pas constituée (pour des exemples, v. les notes sous les arrêts préc.). Encore faut-il qu’elle ait assez d’éléments pour apprécier la nature du « problème technique » invoqué. La haute juridiction a donc estimé que ce n’était pas le cas ici. Pourtant, dans l’arrêt du 17 mai 2018 (n° 17-20.001, préc.), « l’existence même d’une cause étrangère n’a pas été discutée. La “panne du RPVA” évoquée présent[ait] sans doute suffisamment le caractère d’extériorité par rapport à l’avocat, caractère impliqué par la notion, à défaut de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité » (v. nos obs. sur l’arrêt). Ici, au contraire, l’intimé contestait l’existence d’une cause étrangère. D’où la cassation « disciplinaire » de l’arrêt d’appel…

Mais l’apport de l’arrêt du 6 septembre 2018 tient dans l’attendu rejetant les deux premières branches du premier moyen.

Le remède à la cause étrangère

Lorsqu’une cause étrangère se produit, l’article 748-7 offre un remède qui est donc la prorogation du délai au jour ouvrable suivant. Pour l’article 930-1, ce remède est le retour au papier : l’acte est remis sur un tel support ou adressé par LRAR (depuis le 1er septembre ; cet ajout provient du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017). L’article 796-1, II, issu du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, offrira ce même remède à compter du 1er septembre 2019 devant les tribunaux de grande instance, lorsque la communication par voie électronique y deviendra aussi obligatoire.
Comment mettre en œuvre ces remèdes ?

• Un élément de réponse a été apporté de manière bienvenue par la Cour de cassation le 17 mai 2018 (n° 17-20.001, préc.) : l’article 748-7 s’applique aussi lorsque la communication par voie électronique est facultative ;

• par ailleurs, la doctrine semblait considérer que les articles 748-7 et 930-1 devaient être articulés : « si la communication électronique d’un acte devant la cour d’appel – raisonnons sur une déclaration d’appel – a lieu le dernier jour autorisé pour interjeter appel, l’application combinée des deux articles conduit à ce que l’acte devra être établi sur support papier et remis au greffe de la cour le premier jour ouvrable suivant l’expiration du délai. En revanche, si la tentative pour accomplir une déclaration d’appel de façon dématérialisée est formée avant le dernier jour du délai d’appel, aucune prorogation de délai ne pourra être obtenue sur le fondement de l’article 748-7 du Code de procédure civile. L’appelant devrait dans une telle hypothèse disposer de deux options. Première option, selon les termes mêmes de l’article 930-1 : l’appelant peut accomplir son acte par remise au greffe au format papier, sans avoir à tenter à nouveau de le transmettre par la voie électronique. Seconde option : tant que le délai d’appel n’est pas expiré, l’appelant peut tenter à nouveau d’accomplir son acte par la voie électronique ; en effet, bien que l’article 930-1 apparaisse rédigé en termes impératifs (“il est établi sur support papier”), l’appelant conserve nécessairement le droit de former son appel selon les règles de droit commun, donc de façon dématérialisée, tant que le délai d’appel reste en cours ; on peut d’ailleurs y voir une forme de régularisation (C. pr. civ., art. 126) » (Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris, n° 70 ; adde J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 506) ;

• la question qui restait toutefois en suspend était « celle de savoir si, devant la cour, le support papier est possible même si l’acte n’est pas à “bout de délai” » ? (P. Gerbay et N. Gerbay, op. cit., n° 690). Si l’auxiliaire de justice peut ainsi tenter de remettre son acte par voie électronique jusqu’à l’ultime limite du délai qui lui est imparti pour ce faire, cela ne doit pas en revanche lui être imposé car s’il a besoin de faire rapidement appel, il ne doit pas être obligé d’attendre le dernier jour du délai : « la formule papier, s’il y va de l’intérêt du justiciable, doit pouvoir être mise en œuvre immédiatement, en cas de dysfonctionnement de la communication électronique » (P. Gerbay et N. Gerbay, op. cit.). La prudence était de mise : « en pratique, le plaideur devrait d’ailleurs être plutôt enclin à tenter de réitérer son acte par la voie électronique tant que le délai d’appel demeure en cours. En effet, il évitera ainsi de dépendre de l’appréciation par le juge de l’existence d’une cause étrangère invoquée par le plaideur, risquant de voir son acte d’appel déclaré irrecevable faute de preuve d’une telle cause étrangère… » (Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris, préc. ; adde J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit.). Un avis de la Cour de cassation sur ce point nous semblait le bienvenu (C. Bléry, op. cit., n° 161.252)… c’est un arrêt qui nous rassure !

Inversant la conclusion des propos tenus sur l’arrêt du 17 mai 2018 (préc.), on peut aujourd’hui dire que : ne pas « avoir attendu le dernier jour d’un délai […] pour interjeter appel par voie » papier « permet à la Cour de cassation de rendre un bel arrêt… ».