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Saisie-attribution : aux frontières du possible

Il résulte de la règle de territorialité des procédures d’exécution, découlant du principe de l’indépendance et de la souveraineté des États, qu’une saisie-attribution ne peut produire effet que si le tiers saisi est établi en France. Or, est établi en France le tiers saisi, personne morale, qui soit y a son siège social, soit y dispose d’une entité ayant le pouvoir de s’acquitter du paiement d’une créance du débiteur saisi à son encontre.

par Frédéric Kiefferle 4 février 2021

Ces deux arrêts – promis à une publication élargie (FS+P+B+I) – aux résultats diamétralement opposés, sont riches d’enseignement à la fois sur la territorialité des procédures civiles d’exécution mais aussi sur les possibilités de recouvrement à l’encontre d’un État étranger.

Sans entrer dans les détails des faits de chacune de ces décisions, il convient cependant d’en évoquer quelques lignes.

Dans le pourvoi n° 18-17.937, d’anciens salariés de l’ambassade des États-Unis d’Amérique ont obtenu des décisions en matières prud’homales condamnant les États-Unis d’Amérique et l’ambassadeur des États-Unis d’Amérique pris en sa qualité de représentant de ceux-ci.

En vertu des décisions qu’ils ont obtenu, les créanciers ont pratiqué une saisie-attribution des loyers entre les mains d’une société de droit américain dont le siège social était aux États-Unis, dans l’Ohio, qui était également locataire pour un établissement situé à Paris, dans un immeuble dont les États-Unis étaient propriétaires.

Dans le pourvoi n° 19-10.801, en vertu d’une sentence arbitrale exécutoire en France prononcée à l’encontre de la République du Panama et de l’autorité du Canal du Panama, un créancier a fait pratiquer une saisie-attribution du compte bancaire de ses débiteurs, entre les mains de la succursale parisienne d’une banque ayant son siège social à Londres.

Dans la première décision, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée entre les mains du locataire.

Dans la seconde décision, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi qui reprochait à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée entre les mains de la banque étrangère.

Ces deux décisions qui semblent contradictoires appliquent pourtant la même règle.

Premier obstacle, il est permis de constater que des procédures civiles d’exécution dans les deux espèces ont été poursuivies à l’encontre d’États étrangers, les États-Unis dans un cas et la République du Panama, dans l’autre.
Or, il est important de rappeler que le fait qu’il s’agisse d’un État souverain condamné n’est pas en soit un obstacle à toutes mesures d’exécutions sur le territoire national, l’article L. 111-1-1 du code des procédures civile d’exécution prévoyant seulement, dans cette hypothèse, qu’une autorisation du juge de l’exécution est requise au préalable.

Puisque, par application des règles du droit international privé, les États bénéficient d’une immunité d’exécution de principe, il est permis de penser qu’aucune procédure civile d’exécution ne peut être pratiquée à leur encontre, sauf dans les cas où ils auraient renoncé à leur immunité.

Toutefois, ce principe connaît des exceptions.

Ainsi, l’immunité d’exécution des États étrangers tombe lorsque le bien ou la créance saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit privé (Civ. 1re, 14 mars 1984, n° 82-12.462, Eurodif, D. 1984. Jur. 625).

Ainsi, lorsque ces conditions d’exception ne sont pas réunies, la voie d’exécution n’est pas possible (voir dans ce sens, Civ. 1re, 5 mars 2014, n° 12-22.406, Dalloz actualité, 19 mars 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 672 ; ibid. 1466, obs. A. Leborgne ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Just. & cass. 2015. 115, étude P. Chevalier ).

En l’espèce, dans les deux décisions commentées, le créancier a pratiqué une mesure d’exécution qui entrait dans le champ des exceptions à l’immunité d’exécution.

Ce premier obstacle levé, le créancier pouvait-il valablement pratiquer une saisie-attribution des loyers entre les mains d’une société ayant son siège social aux États-Unis d’une part, ou de la succursale en France d’une banque dont le siège social était à Londres ?

Pour répondre à cette épineuse question, la Cour de cassation a appliqué avec une grande simplicité les règles relatives à la territorialité des procédures civiles d’exécution.

Dans le pourvoi n° 18-17.937, elle a considéré que la saisie-attribution pratiquée portant sur une créance saisie résultant d’un contrat de bail signé entre les États-Unis d’Amérique et une société de droit américain dont le siège était dans l’Ohio était possible s’il était démontré que le tiers saisi était établi en France soit en y ayant soit son siège social, soit en disposant d’une entité ayant le pouvoir de s’acquitter du paiement d’une créance du débiteur saisi à son encontre.

Dans le cas de la saisie-attribution des loyers pratiquée à l’encontre de la société américaine locataire en France, ayant observé que les loyers étaient payés sur un compte ouvert dans une agence de la Société Générale en France, elle a considéré que la saisie-attribution était régulièrement pratiquée, le tiers saisi disposant bien d’une entité en France ayant le pouvoir de s’acquitter des loyers.

En revanche, dans le pourvoi n° 19-10.801, la Cour de cassation a retenu que la saisie-attribution pratiquée sur le compte bancaire détenu par le débiteur auprès d’une succursale d’une banque dont le siège social était à Londres, succursale dans laquelle aucun compte n’était ouvert au nom du débiteur saisi, ne répondait à ces conditions.

Elle a donc rejeté le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel qui avait ordonné la mainlevée de cette saisie-attribution.

Cette décision peut sembler surprenante car la jurisprudence française avait déjà admis qu’un créancier pouvait faire pratiquer une saisie-attribution entre les mains d’une banque française et que cette saisie s’étendait aux fonds déposés auprès de sa succursale monégasque (Civ. 2e, 14 févr. 2008, n° 05-16.167, D. 2008. 686 , obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2373, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis ; ibid. 2560, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2009. 1044, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 1168, obs. A. Leborgne ; RTD civ. 2008. 357, obs. R. Perrot ; RTD com. 2008. 601, obs. D. Legeais ; ibid. 2009. 648, obs. P. Delebecque ).

Aussi cette position est étonnante car comme l’avait souligné un auteur : « La limitation des effets d’une saisie-attribution au seul compte détenu dans une succursale ne peut qu’être source de difficulté (…) et ne semble pas en phase avec l’évolution des technologies de la communication qui permettent à chaque établissement teneur de compte d’accéder à l’ensemble des autres comptes du dépositaire » (E. de Leiris, Droit et pratiques des procédures civiles d’exécution, Dalloz Action, 2018 -2019, p. 1025, § 0922.14).

Néanmoins, dans les deux arrêts commentés, la règle posée par la Cour de cassation a au moins le mérite de la simplicité, la procédure civile d’exécution sera possible lorsque le tiers saisi est établi en France, qu’il y a son siège social ou y dispose d’une entité ayant le pouvoir de s’acquitter du paiement d’une créance du débiteur saisie à son encontre.

Si ces conditions sont réunies, la saisie-attribution pourra être valablement pratiquée.

Dans le cas contraire, elle sera irrégulière et pourra faire l’objet d’une mainlevée.