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Saisie d’un immeuble commun grevé d’hypothèque : un bel exemple de coopération inter-chambres

La condamnation d’un époux au titre d’un recel successoral, de nature délictuelle, ne grève pas la succession : son paiement peut être poursuivi sur les biens communs. Le juge de l’exécution ne doit mentionner, dans le dispositif du jugement d’orientation, que le montant retenu pour la créance hypothécaire du poursuivant.

C’est un singulier cadeau de Noël en avance que la Cour de cassation a livré, le 8 décembre 2022, à la communauté des juristes. La deuxième chambre civile a rendu ce jour-là une décision remarquable, tant au regard de la diversité des disciplines mobilisées (droit des successions, régimes matrimoniaux, sûretés réelles, saisie immobilière et procédures civiles d’exécution) que de la virtuosité du contrôle de cassation et de son issue (délibéré successif par deux chambres, substitution de motif de pur droit suggérée par la défense, rejet d’un moyen sur deux et cassation partielle).

Dans le cadre d’un partage successoral très conflictuel, un héritier avait été condamné à verser à son copartageant diverses sommes, dont certaines avaient pour origine un recel successoral. Le 1er mars 2004, le créancier avait fait inscrire une hypothèque sur un immeuble que son débiteur avait acquis avec son épouse commune en biens. En 2005, les époux avaient donné cet immeuble à leur fille. Le 10 août 2018, le créancier fit délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière à son débiteur et l’épouse de celui-ci, ainsi qu’à leur fille, tiers détentrice.

Les juges du fond firent droit à la prétention du créancier mais les consorts intimés formèrent un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu le 27 février 2020 par la cour d’appel de Montpellier. Ce pourvoi était articulé en deux moyens qu’une bonne rigueur juridique invitait à traiter successivement. Le premier moyen contestait le droit de gage du créancier au regard du régime matrimonial et le second tendait à faire reconnaître que la saisie immobilière ne pouvait concerner que la seule créance visée dans l’hypothèque.

Le gage du créancier d’un recel successoral contre un débiteur commun en biens

Avant même d’aborder le droit des procédures civiles d’exécution, la Cour de cassation devait s’assurer que le droit de gage du créancier incluait l’immeuble dépendant de la communauté. Puisque cette question ne relève pas de sa compétence, la deuxième chambre civile mobilisa un procédé assez singulier consistant à faire délibérer la première chambre civile sur le premier moyen avant d’envisager l’étude du second, le tout dans un arrêt unique (§ 2).

Cette pratique des pourvois délibérés successivement par deux chambres n’est pas inédite mais elle demeure assez méconnue. On en trouve mention dans le rapport du groupe de travail sur l’assemblée plénière, les chambres mixtes et les avis, rendu en septembre 2021. On y apprend que le délibéré successif est une « pratique prétorienne, consacrée par l’usage (…) qui ne trouve le support d’aucun texte » (p. 80), rendue nécessaire lorsque « le pourvoi dont est saisi une chambre présente des moyens ou des éléments de moyens bien distincts, dont un ou plusieurs relèvent assez clairement du champ d’attribution d’une autre » sans néanmoins qu’ils ne soient suffisamment liés pour justifier le recours à une chambre mixte (p. 81). Il en va ainsi lorsque les questions de droit se suivent d’après un ordre logique et peuvent donc être traitées séparément, ce qui était bien le cas ici : de la délimitation du gage du créancier dépendait la validité de l’inscription hypothécaire et le bien-fondé de la procédure de saisie.

Cette coopération inter-chambres se distingue de l’avis, qui constitue à une décision à part entière. Bien au contraire, le délibéré d’une chambre s’inscrit ici pleinement dans le cadre de la décision d’une autre (« l’arrêt ainsi rendu est unique » ; idid.), ce qui ne va pas sans poser quelques difficultés. Le rapport pointe en particulier, outre la nécessité pour le greffe de disposer de moyens matériels informatiques adaptés, un sentiment de dépossession par les membres de la chambre qui a statué en premier (puisque l’arrêt n’est rendu qu’au nom de celle qui statue en dernier), un risque d’obscurcir la compréhension de l’arrêt, et l’absence de chaînage entre la décision et la formation de chambre ayant statué en...

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