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Saisie immobilière : lorsque la cour relève d’office le moyen d’indivisibilité du litige

Dans une procédure de saisie immobilière, le lien d’indivisibilité qui existe entre tous les créanciers oblige l’appelant à former son recours contre toutes les parties à l’instance à peine d’irrecevabilité de l’appel et dès lors que celui-ci a été invité à produire une note en délibéré sur ce moyen, la cour n’est pas tenue d’ordonner la réouverture des débats.

par Romain Lafflyle 21 mars 2019

Voilà un arrêt de la deuxième chambre civile, publié au bulletin, qui livre un double enseignement, dont l’un inédit. Une banque engage une procédure de saisie immobilière à l’encontre de particuliers et ceux-ci relèvent appel du jugement d’orientation qui avait rejeté leurs contestations et ordonné la vente amiable du bien. Leur acte d’appel était limité en ce que le jugement avait écarté leur fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance de la banque et ils n’avaient dirigé leur appel qu’à l’encontre de cette dernière, sans intimer les trois créanciers inscrits.

La cour d’appel de Paris soulève alors d’office les dispositions de l’article 553 du code de procédure civile relatives à l’indivisibilité du litige puis déclare irrecevable l’appel. Les appelants dirigent alors un pourvoi contre l’arrêt selon deux moyens, le premier tenant à ce que la cour ne pouvait relever d’office un moyen sans rouvrir les débats et le second lié à leur faculté de diriger l’appel contre l’une ou l’autre des parties tandis qu’est parfaitement divisible le litige relatif à la créance du créancier poursuivant qui ne tend pas à remettre en cause la procédure de saisie immobilière.

La deuxième chambre civile écarte successivement les moyens et retient tout d’abord que dès lors que la cour avait invité les parties à déposer une note en délibéré, les appelants avaient été mis en demeure de s’expliquer contradictoirement sur le moyen relevé d’office par la cour sans que celle-ci soit tenue d’ordonner la réouverture des débats. Quant au second moyen, la Haute cour estime que la cour d’appel a exactement retenu qu’en matière de procédure de saisie immobilière, il existe un lien d’indivisibilité entre tous les créanciers, de sorte qu’en application de l’article 553 du code de procédure civile, l’appel de l’une des parties à l’instance devant le juge de l’exécution, fût-il limité à la contestation de la créance du créancier poursuivant, doit être formé contre toutes les parties à l’instance à peine d’irrecevabilité de l’appel.

Le premier moyen lié à la nécessité de rouvrir les débats lorsque la cour relève d’office un moyen était le plus facile à aborder. La question posée était finalement celle de savoir si la cour d’appel, en relevant la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, pouvait se contenter de solliciter une note en délibéré sans rouvrir les débats ? La réponse de la Cour de cassation est assurément affirmative et combine en définitive les dispositions des articles 444 et 445 qui, respectivement, précisent que « Le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés » et qu’« Après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 ». La Cour de cassation estime depuis longtemps qu’une cour d’appel statue, à bon droit, sur les éléments, de fait comme de droit, fournis après l’audience après que le président a invité une partie à établir une note en délibéré, aucun texte n’exigeant la révocation de l’ordonnance de clôture ou la réouverture des débats lorsque les parties ont été à même de débattre contradictoirement des éléments de fait ou de droit sur lesquels le président leur a demandé de s’expliquer (pour une illustration, Civ. 1re, 12 avr. 2005, n° 03-20.029). Or, en l’espèce, le principe du contradictoire avait été respecté puisque, comme le relève la deuxième chambre civile, les appelants avaient usé de la faculté offerte par le président en déposant deux notes en délibéré en réponse à celle de la banque. Il n’était donc pas nécessaire de renvoyer le dossier à la mise en état ou d’inviter les parties à notifier des conclusions. Si aucune disposition n’impose au juge de mentionner dans sa décision les notes en délibéré qu’il a reçues, qu’elles soient ou non demandées par le président (Civ. 2e, 6 juin 2013, n° 11-27.198, Bull, civ. II, n° 113 ; D. 2013. 1485 ; Procédures, août-sept. 2013, obs. R. Perrot), celle qui est sollicitée par le président peut cependant avoir une influence sur la solution du litige. Comme le disait le Professeur Perrot : même recevable, une note en délibéré n’accède jamais au rang des écritures du procès. On ajoutera seulement qu’elle peut en modifier l’issue.

La question posée par le second moyen quant au caractère divisible du litige apparaissait plus délicate. On sait qu’en certaines matières, le lien d’indivisibilité est tel qu’il oblige l’appelant à intimer l’ensemble des parties et, en cas de doute, plutôt que de prendre le risque d’être sélectif, qu’il vaut mieux intimer l’ensemble des parties.

La procédure collective en est l’exemple le plus évocateur ainsi que l’attestent les arrêts récents de la Cour de cassation. Le lien d’indivisibilité en matière de vérification du passif entre créancier, débiteur et mandataire judiciaire conduit à l’irrecevabilité de l’appel en l’absence de l’une de ces parties (Com. 29 sept. 2015, n° 14-13.257, Dalloz actualité, 14 oct. 2015, obs. X. Delpech isset(node/174996) ? node/174996 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>174996 ; 31 mai 2016, n° 14-20.882). De même, sur appel d’une ordonnance rendue par le juge-commissaire, compétent pour statuer en l’absence de contestation sérieuse sur l’admission ou le rejet d’une créance, le débiteur en procédure collective, qui dispose d’un droit propre à relever appel, doit nécessairement intimer le mandataire judiciaire (Com. 13 déc. 2017, n° 16-17.975, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. R. Laffly isset(node/188387) ? node/188387 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188387). C’est même une disposition légale qui sous-tend cette exigence puisqu’en vertu de l’article R. 661-6 du code de commerce, les mandataires de justice qui ne sont pas appelants doivent être intimés. Aussi, en cas de jugement d’ouverture d’un redressement judiciaire, l’administrateur devra, à peine d’irrecevabilité, être intimé, bien qu’il soit admis qu’il puisse régulariser une intervention volontaire lorsqu’il est désigné par le jugement ou bien qu’il soit assigné en intervention forcée sur appel d’un jugement de conversion d’une procédure de redressement en liquidation judiciaire (Com. 14 juin 2017, n° 15-20.229).

La procédure de saisie immobilière témoigne encore du lien évident d’indivisibilité du litige dès lors qu’un appel limité à certaines parties entraînerait un risque de contradiction de décisions. Au cas présent, l’on pouvait imaginer que les appelants, qui avaient déjà réussi à déjouer les nombreux pièges issus de la procédure à jour fixe qui découlent des appels formés contre un jugement d’orientation par application de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, avait fait le plus difficile en arrivant jusqu’à l’audience de plaidoirie, mais c’était sans compter le moyen d’irrecevabilité du fait de l’indivisibilité du litige relevé d’office par la cour.

La deuxième chambre civile approuve la fin de non-recevoir retenue par la cour d’appel dès lors que le lien d’indivisibilité existe entre tous les créanciers, de sorte qu’en application de l’article 553 du code de procédure civile, l’appel de l’une des parties à l’instance devant le juge de l’exécution, fût-il limité à la contestation de la créance du créancier poursuivant, doit être formé contre toutes les parties à l’instance à peine d’irrecevabilité de l’appel.

L’apport inédit de cet arrêt tient au raisonnement des demandeurs au pourvoi qui arguaient de ce que l’appel ne tendait pas à remettre en cause la procédure mais visait seulement la créance du créancier poursuivant, instigateur de la procédure de saisie immobilière, et qu’ils avaient donc la faculté de ne pas intimer les trois autres créanciers inscrits. Mais en réalité, la contestation relative à la créance de l’un seul des créanciers à la saisie immobilière conditionne celle des autres. En effet, l’indivisibilité du litige – pas nécessairement évidente a priori – existait bien dès lors que la décision de la cour d’appel sur le montant de la créance du seul intimé, créancier poursuivant, pouvait avoir une influence sur les sommes à répartir entre les différents créanciers, non intimés, au stade de la distribution du prix. Relativement au montant de sa propre créance qui pourra ainsi varier, un créancier de second rang ou en rang utile a manifestement un intérêt à discuter le quantum de celle du créancier poursuivant, pourtant seul intimé sur l’acte d’appel.

Aussi, confronté à une situation d’indivisibilité dans un dossier dans lequel il n’aurait pas intimé toutes les parties, l’avocat ne devra surtout pas rester passif en espérant que la partie adverse, ou bien d’office le conseiller de la mise en état ou la cour, ne relève l’irrecevabilité de l’appel, mais au contraire prendre l’initiative de sa régularisation en interjetant un nouvel appel. En effet, si l’article 553 précise qu’en cas d’indivisibilité, l’appel formé contre l’une des parties n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance, il est depuis longtemps admis la possibilité de former un second appel, même hors délai, en cas d’indivisibilité du litige si le premier appel est recevable (Civ. 3e, 23 juin 1999, n° 97-22.607, Bull civ. III, n° 146 ; Civ. 1re, 5 oct. 1994, n° 92-20.149 ; D. 1995. 358 , note J. Massip ; RTD civ. 1995. 327, obs. J. Hauser ; Civ. 2e, 7 sept. 2017, n° 16-20.463, Dalloz actualité, 21 sept. 2017, obs. R. Laffly isset(node/186584) ? node/186584 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186584). L’indivisibilité du litige conduit certes à l’irrecevabilité de l’ensemble de la procédure, mais c’est cette même indivisibilité qui permet de la sauver, si la régularisation est faite à temps. L’irrecevabilité de l’appel encourue en cours de procédure en cas d’indivisibilité du litige n’est donc pas irrémédiable, il suffit juste de le savoir, et si possible le plus tôt possible. Car si la cour sollicite sur ce point une note en délibéré, c’est qu’il est déjà trop tard.