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Saisie pénale d’un bien immobilier appartenant à un tiers et contrôle de proportionnalité

Une saisie immobilière, mesure temporaire et à caractère provisoire, ne peut porter que sur la totalité du bien saisi, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, qui ne peut invoquer la violation du principe de proportionnalité, la société tierce étant sans qualité à invoquer les conséquences de la saisie pour la société poursuivie, qui n’est pas propriétaire du bien saisi.

par Sébastien Fucini, MCFle 6 avril 2021

Par un arrêt du 10 mars 2021, la chambre criminelle apporte de nouvelles précisions sur l’application du principe de proportionnalité lors des saisies pénales spéciales. À l’occasion d’une enquête pour recel de favoritisme, un bien immobilier est saisi, appartenant à une société détenue par la société mise en cause. À l’occasion de la contestation de cette saisie par la société propriétaire du bien immobilier, la Cour de cassation a d’abord rappelé un principe connu : « en application de l’article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale, la saisie immobilière, qui est une mesure temporaire et à caractère provisoire, n’entraînant aucun transfert de propriété, les biens immobiliers appartenant à un tiers ne peuvent être saisis que dans leur totalité, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi ». Elle a ensuite déduit la mauvaise foi de la société propriétaire par le fait qu’elle a le même dirigeant que la société mise en cause et que cette dernière est l’associée unique de la première. Elle a enfin apporté une précision nouvelle, en déclarant irrecevable le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité, la société propriétaire « étant sans qualité à invoquer les conséquences de la saisie pour la société [mise en cause] qui n’est pas la propriétaire du bien saisi ». Cette dernière affirmation, à la différence des précédentes, apparaît étonnante.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé qu’une saisie immobilière ne peut porter que sur le bien dans sa totalité. La société propriétaire du bien saisi critiquait la saisie de la totalité du bien immobilier car sa valeur était nettement supérieure à celle du produit de l’infraction susceptible de confiscation. Or l’article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale, prévoit expressément que, « jusqu’à la mainlevée de la saisie pénale de l’immeuble ou la confiscation de celui-ci, la saisie porte sur la valeur totale de l’immeuble ». Le législateur s’oppose ainsi à la possibilité de limiter la saisie à une partie seulement du bien, peu importe le montant de la confiscation encourue en prévision de laquelle la saisie est opérée. La Cour de cassation, dans un autre registre, a affirmé ce principe d’indivisibilité de la saisie pénale immobilière en cas d’indivision : la saisie ne peut pas être limitée à la part indivise et porte nécessairement sur la totalité du bien (Crim. 11 juill. 2017, n° 16-83.773 ; 11 oct. 2017, n° 17-80.987). En l’espèce, la saisie portait sur un bien immobilier d’une valeur de trois millions d’euros, alors que le produit du recel de favoritisme était estimé à un peu plus de 500 000 €. Mais ce n’est qu’au stade de la confiscation que la juridiction de jugement pourra prononcer une saisie en valeur dans la limite de ce montant et ne portant ainsi pas sur la totalité de l’immeuble.

Par ailleurs, la chambre criminelle a approuvé la manière dont la chambre de l’instruction a apprécié la mauvaise foi et la libre disposition. En l’espèce, pour recel de favoritisme, la société mise en cause encourait la confiscation du produit de l’infraction. Celle-ci, conformément à l’article 131-21, alinéa 8, peut être ordonnée en valeur sur tous bien du condamné dont il a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi. La chambre de l’instruction a alors estimé que la société propriétaire du bien saisi était de mauvaise foi, dès lors qu’elle avait le même dirigeant que la société mise en cause et que cette dernière était l’associée unique de la société propriétaire du bien. La chambre de l’instruction en a déduit en outre que la société mise en cause avait la libre disposition de ce bien immobilier. Cette position est conforme à la jurisprudence de la chambre criminelle. En effet, elle a très tôt reconnu la possibilité de saisir les biens dont le mis en cause, sans en être propriétaire, a la libre disposition, même si cela n’est pas prévu expressément par les articles 706-141 et suivants du code de procédure pénale (Crim. 9 mai 2012, n° 11-85.522, Dalloz actualité, 4 juin 2012, obs., obs. C. Girault ; D. 2012. 1652 , note C. Cutajar ; AJ pénal 2012. 427, obs. L. Ascensi ; 23 mai 2013, n° 12-87.473, Dalloz actualité, 5 juin 2013, obs. M. Bombled ; D. 2013. 1352, et les obs. ; ibid. 1778, chron. C. Roth, P. Labrousse, B. Laurent et M.-L. Divialle ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 482, obs. L. Ascensi ; Rev. sociétés 2013. 641, note B. Bouloc ). La mauvaise foi, si elle doit être prouvée par le ministère public, est appréciée assez souplement et il suffit de démontrer que le tiers connaissait, voire ne pouvait ignorer, les infractions commises par la personne mise en cause (Crim. 9 déc. 2014, n° 13-85.150). S’agissant d’une personne morale détenue par la personne morale auteur de l’infraction, avec une identité de dirigeant des deux sociétés, cette preuve ne semble pas poser de difficultés. Par ailleurs, la Cour de cassation a affirmé que la société mise en cause avait la libre disposition de ce bien. À la lecture de l’arrêt, la libre disposition semble ressortir du seul fait que la société mise en cause est l’associée unique de la société propriétaire. Elle en a ainsi indirectement la libre disposition, par le pouvoir de contrôle qu’elle a sur la société propriétaire du bien, ce qui a déjà été retenu par la chambre criminelle (Crim. 23 mai 2013, n° 12-87.473, préc.).

L’arrêt est un peu plus étonnant par ce qu’il dit sur la proportionnalité : alors que la société propriétaire du bien immobilier contestait la saisie et invoquait son caractère disproportionné, compte tenu de la différence entre la valeur du bien saisi et la valeur du produit de l’infraction susceptible de confiscation, la chambre criminelle a affirmé que « le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité est irrecevable, la société [propriétaire] étant sans qualité à invoquer les conséquences de la saisie pour la société [mise en cause] qui n’est pas la propriétaire du bien saisi ». Cette affirmation est surprenante : certes, seule la société mise en cause sera susceptible d’être condamnée à la peine de confiscation. Cependant, en tant que propriétaire du bien saisi, la société tierce a sans aucun doute qualité pour contester la saisie. Or, depuis plusieurs années, la chambre criminelle affirme que le principe de proportionnalité s’applique aux saisies pénales, sauf lorsqu’elles portent sur un bien qui constitue en totalité le produit de l’infraction (Crim. 12 oct. 2016, n° 16-82.322 ; 3 mai 2018, n° 17-82.098, Dalloz actualité, 4 juin 2018, obs. L. Priou-Alibert). S’agissant d’une confiscation en valeur d’un bien qui n’est pas lui-même le produit de l’infraction, il ne fait aucun doute que le principe de proportionnalité doit s’appliquer (Crim. 4 mai 2017, n° 16-87.330). Le contrôle de proportionnalité ayant pour objectif de protéger le droit de propriété, il est indifférent qu’il soit invoqué par la personne mise en cause ou poursuivie ou par un tiers qui n’est pas mis en cause. Lors du prononcé de la peine de confiscation, le juge doit ainsi tenir compte du caractère proportionné de la peine pour le tiers de mauvaise foi, ce que la chambre criminelle a notamment affirmé à propos de la confiscation d’un bien indivis (Crim. 25 nov. 2020, n° 19-86.979). La solution est évidente, puisqu’est en jeu le droit de propriété du tiers propriétaire du bien confisqué. Rien ne justifie une solution différente au stade de la saisie. La société demanderesse au pourvoi, propriétaire du bien, n’invoquait pas les conséquences de la saisie pour la société mise en cause mais pour elle-même. Cet argument, curieux, conduit en outre à placer les tiers non mis en cause et non poursuivis dans une situation plus défavorable que les personnes mises en cause du point de vue de l’invocation du principe de proportionnalité au stade de la saisie pénale spéciale. Il reste à espérer que la chambre criminelle clarifiera sa position.