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Saisine directe de la chambre de l’instruction d’une demande de mise en liberté

Valablement saisie sur le fondement de l’article 148, alinéa 5, du code de procédure pénale, il appartient à la chambre de l’instruction de se prononcer sur la demande de mise en liberté qui lui est soumise, nonobstant l’éventuelle ordonnance rendue entre-temps par le juge des libertés et de la détention.

par Hugues Diazle 26 juillet 2018

En toute matière, la personne placée en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté. La demande de mise en liberté, qui doit se faire dans les formes prévues par les articles 148-6 et 148-7 du code de procédure pénale (V. not., Crim. 30 sept. 2014, n° 14-84.901 ; 23 janv. 2013, n° 12-86.986, D. 2013. 308 ; Just. & cass. 2014. 215, rapp. B. Le Corroller ; ibid. 215, avis C. Mathon ; AJ pénal 2013. 224, obs. L. Belfanti ; RSC 2013. 395, obs. D. Boccon-Gibod ; Dr. pénal 2013. Comm. 47, par Maron et Haas ; 17 juin 1986, n° 86-92.004, Bull. crim. n° 210 ; 19 août 1987, n° 87-83.136, Bull. crim. n° 307 ; 22 juill. 1986, n° 86-92.717, Bull. crim. n° 239 ; D. 1987. Somm. 79, obs. J. Pradel ; 14 oct. 1986, n° 86-94.181, Bull. crim. n° 283 ; 14 mars 1989, n° 88-87.626, Bull. crim. n° 124), est adressée au juge d’instruction, qui communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions. Sauf s’il y donne une suite favorable, le juge d’instruction doit, dans les cinq jours suivant la communication au procureur de la République, transmettre la demande avec son avis motivé au juge des libertés et de la détention (C. pr. pén., art. 148, al. 3) : ce magistrat statue dans un délai de trois jours ouvrables par une ordonnance comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de l’article 144 du code de procédure pénale.

Toutefois, si le juge des libertés et de la détention n’a pas statué à l’expiration du délai susvisé, la personne détenue peut, dans les mêmes formes (C. pr. pén., art. 148-8), saisir directement la chambre de l’instruction : suivant réquisitions écrites et motivées du procureur général, cette juridiction doit se prononcer dans les vingt jours de sa saisine faute de quoi la personne est mise d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant la demande ont été ordonnées (C. pr. pén., art. 148, al. 5). Dans une telle configuration, on parle alors de « saisine directe » de la chambre de l’instruction : au-delà de cette hypothèse, il existe, par application de l’article 148-4 du code de procédure pénale, un autre cas de saisine directe de la chambre de l’instruction en matière de demande de mise en liberté – en cas d’inactivité du magistrat instructeur, lorsqu’un délai de quatre mois s’est écoulé depuis la dernière comparution de la personne détenue devant le juge et tant que l’ordonnance de règlement n’a pas été rendue.

Au cas de l’espèce, dans le cadre d’une information ouverte à son encontre des chefs d’extorsion et tentatives d’extorsion en bande organisée, association de malfaiteurs et blanchiment en bande organisée, le demandeur au pourvoi saisissait le juge d’instruction, le 6 février 2018, d’une demande de mise en liberté. Suivant communication du dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions, le magistrat instructeur saisissait le juge des libertés et de la détention le 15 février suivant. Faute pour ce magistrat d’avoir statué dans le délai qui lui était imparti – ni même, peut-on préciser, dans le mois qui suivit – l’avocat du demandeur saisissait directement la chambre de l’instruction le 26 mars 2018. Par ordonnance rendue le 5 avril suivant, le juge des libertés et de la détention rejetait finalement la demande de mise en liberté qui lui avait été présentée. Par arrêt du 11 avril 2018, la chambre de l’instruction déclarait sans objet la demande de mise en liberté dont elle était saisie, après avoir constaté que le juge des libertés et de la détention avait statué, fusse tardivement, sur cette demande : un pourvoi était inscrit contre cet arrêt.

Sans surprise, la Cour de cassation vient censurer le raisonnement des juges du fond : au visa des articles 148 et 593 du code de procédure pénale, la Cour affirme qu’il appartenait à la chambre de l’instruction de se prononcer sur la demande de mise en liberté qui lui était soumise, nonobstant l’ordonnance rendue tardivement par le juge des libertés et de la détention. Rappelons que la chambre criminelle, au visa des articles 148, alinéas 3 et 5, et 148-6 du code de procédure pénale, avait déjà pu juger que dans une telle configuration la chambre de l’instruction n’est tenue de statuer sur la demande qui lui est présentée que dans le cas où, comme en l’espèce, sa saisine est antérieure à l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention (Crim. 28 mars 2017, n° 17-80.136, Dalloz actualité, 24 avr. 2017, obs. D. Goetz ; JCP 2003. IV. 1097 ; Gaz. Pal. 3-5 août 2003, p. 19, note Monnet).

L’intérêt de la décision présentement commentée se manifeste également au travers de la procédure qui doit être suivie après cassation par les juges du fond. Dans le silence de la loi, la chambre criminelle a longtemps jugé qu’après cassation la chambre de l’instruction était simplement tenue de statuer à « bref délai » (Crim., 10 avr. 2002, n°02-80.879 ; Crim., 24 mai 2011, n°11-81.118). Puis, dans le prolongement d’une question prioritaire de constitutionnalité n°2014-446 QPC (voir not : AJ Pénal 2015 p.209, J-B Perrier), une telle configuration procédurale a été spécifiquement réglée par l’article 194-1 du code de procédure pénale qui dispose en substance que, lorsque la chambre de l’instruction est saisie sur renvoi après cassation, elle statue dans les délais prévus lors du premier examen du recours : ces délais ne courent toutefois qu’à compter de la réception par le procureur général près la cour d’appel de l’arrêt et du dossier transmis par le procureur général près la Cour de cassation (AJ Pénal 2016 p.458, P. Belloir ; circulaire du 26 juillet 2016 de présentation des dispositions de procédure pénale de la loi du 3 juin 2016 renforçant les garanties des justiciables et faisant suite à des décisions du Conseil constitutionnel dans le cadre de questions prioritaires de constitutionnalité).

Dernière modification par l’auteur en date du 12.09.2018