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Sanction en l’absence de notification de la déclaration d’appel entre avocats

En application de l’article 905-1, alinéa 1er, du code de procédure civile, l’obligation faite à l’appelant de notifier la déclaration d’appel à l’avocat que l’intimé a préalablement constitué, dans le délai de dix jours de la réception de l’avis de fixation adressé par le greffe, n’est pas prescrite à peine de caducité de cette déclaration d’appel.

par Romain Lafflyle 12 septembre 2018

Voilà le second avis rendu par la Cour de cassation depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017. Après avoir livré, le 20 décembre dernier (Civ. 2e, 20 déc. 2017, nos 17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036 P, Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2018. 142, obs. Martial Jean  ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 34, obs. Amrani-Mekki ; JCP 2018. 173, note P. Gerbay ; Procédures 2018, n° 69, note Croze), son interprétation sur la sanction encourue par la déclaration d’appel qui ne vise pas les chefs de jugement critiqués, la deuxième chambre civile apporte une réponse quant à la sanction qui pourrait être induite des dispositions de l’article 905-1 du code de procédure civile qui dispose que, « lorsque l’affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l’appelant signifie la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d’appel relevée d’office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l’intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d’appel, il est procédé par voie de notification à son avocat ».

Lorsque l’affaire est fixée à bref délai par application de l’article 905 par le président de la chambre saisie, d’office ou à la demande d’une partie, appelant et intimé ont alors, à peine de caducité et d’irrecevabilité, un délai d’un mois pour conclure (C. pr. civ., art. 905-2). Mais il est encore imposé à l’appelant une condition procédurale très stricte avec l’obligation de faire signifier, à l’intimé non constitué, la déclaration d’appel dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d’appel. Le délai imparti est très (trop) court mais a, au moins, le mérite d’être clair tant la rédaction de la première partie de l’article 905-1 ne souffre d’aucune discussion. Il n’en est toutefois pas de même de la seconde proposition de l’alinéa 1er de l’article 905-1 et du déjà fameux « cependant, si, entre-temps » : l’avocat de l’appelant doit procéder par voie de notification de son acte d’appel à l’avocat de l’intimé qui se constitue dans le délai de dix jours avant la signification de la déclaration d’appel.

L’utilisation du point-virgule, donc censé séparer des propositions indépendantes dans une phrase, mais encore de l’adverbe cependant, pouvait militer pour l’écart de la sanction de caducité au regard de la syntaxe même du texte. Mais il s’agit là d’une lecture grammaticale bien éloignée, ce que l’on s’empressera de regretter, de la chose juridique. Car juridiquement, la sanction de caducité visée sans ambiguïté à défaut de signification de l’acte d’appel à l’intimé non constitué pourrait se rapporter aussi au défaut de notification à l’avocat qui se constitue entre-temps, c’est-à-dire dans le délai de dix jours, tant la Cour de cassation a fait jusque-là preuve de sévérité dans l’interprétation des textes. La question est loin d’être anecdotique au vu de la sanction encourue puisque l’appel jugé caduc n’autorise plus un nouvel appel conformément à l’article 911-1 nouveau du code de procédure civile. En réalité, les cours d’appel et les chambres apparaissaient entre elles divisées, avec trois solutions dégagées : pour certaines, il est évident que la structure générale du texte fait que l’absence de cette diligence entraîne la caducité, pour d’autres le texte n’opère aucun renvoi à la sanction de caducité qui concerne seulement le défaut de signification et non celui de notification entre avocats, pour quelques-unes enfin, si le texte impose bien cette notification à l’avocat de l’intimé, cette formalité se doit être accomplie, mais pas nécessairement dans le délai de dix jours.

C’est peu dire qu’était donc opportune la demande d’avis formulée par le président de la chambre économique de la cour d’appel d’Amiens sur la sanction encourue dans l’hypothèse d’une constitution de l’avocat de l’intimé postérieurement à l’avis de fixation à bref délai et avant l’expiration du délai de dix jours. Et la réponse est claire : l’obligation faite à l’appelant de notifier la déclaration d’appel à l’avocat que l’intimé a préalablement constitué, dans le délai de dix jours de la réception de l’avis de fixation adressé par le greffe, n’est pas prescrite à peine de caducité de cette déclaration d’appel.

Pour dégager cette solution, la deuxième chambre civile a entendu prendre de la hauteur en se fondant sur les règles générales internes issues du décret précité du 6 mai 2017 comme sur les dispositions de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour estime en effet que « l’obligation faite à l’appelant, par les articles 902 et 905-1 du code de procédure civile, de signifier cette déclaration d’appel à l’intimé tend à remédier au défaut de constitution de ce dernier à la suite de ce premier avis du greffe, en vue de garantir le respect du principe de la contradiction, exigeant que l’intimé ne puisse être jugé qu’après avoir été entendu ou appelé. L’acte de signification de la déclaration d’appel rappelle donc que l’intimé qui ne constitue pas dans les quinze jours suivant cet acte s’expose à ce qu’un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. Une fois que l’intimé a constitué un avocat, cet objectif recherché par la signification de la déclaration d’appel est atteint.

En outre, l’article 905-1 n’impose pas que la notification de la déclaration d’appel entre avocats contienne d’autres informations, sachant, par ailleurs, que l’avis de fixation à bref délai est transmis par le greffe à l’avocat de l’intimé, dès qu’il est constitué, conformément aux articles 904-1 et 970 du code de procédure civile.

Dans ces conditions, sanctionner l’absence de notification entre avocats de la déclaration d’appel, dans le délai de l’article 905-1, d’une caducité de celle-ci, qui priverait définitivement l’appelant de son droit de former un appel principal en mettant fin à l’instance d’appel à l’égard de l’intimé et en rendant irrecevable tout nouvel appel principal de la part de l’appelant contre le même jugement à l’égard de la même partie (C. pr. civ., art. 911-1, al. 3), constituerait une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge consacré par l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Ainsi, l’avis prend soin de relever qu’il existe toujours une information préalable de l’intimé qui reçoit du greffe la déclaration d’appel, par application de l’article 902 du code de procédure civile, afin qu’il constitue avocat. L’acte de signification par voie d’huissier de justice assure donc une nouvelle remise de l’acte d’appel alors que l’intimé n’a pas constitué avocat et, comme le dit la Cour de cassation, l’objectif recherché par la signification de la déclaration d’appel est atteint dès lors que l’avocat de l’intimé se constitue. Autrement dit, en termes moins politiques cette fois, l’exigence de notification d’une déclaration d’appel par l’avocat de l’appelant à l’avocat de l’intimé qui, par définition puisqu’il se constitue, en a déjà connaissance, ne présente aucun intérêt. Déjà d’ailleurs, à propos de la rédaction ambiguë de l’article 902 ancien, la deuxième chambre civile avait eu l’occasion de se retrancher derrière le critère sous-jacent de l’utilité de l’obligation procédurale pour estimer que l’avocat de l’appelant n’avait pas à signifier la déclaration d’appel à l’intimé lorsque son avocat se constituait dans le mois de l’émission de l’avis émis par le greffe d’avoir à signifier (Civ., 2e, 28 sept. 2017, n° 16-23.151, Dalloz actualité, 24 oct. 2017, obs. R. Laffly ). Également, dès la première lecture de l’article 905-1, les praticiens se sont interrogés sur l’utilité d’une telle notification entre avocats, mais la possibilité d’une sanction de caducité au regard de la rédaction du texte imposait, selon le principe de précaution, d’accomplir cette formalité dans le délai imparti. Car, dans le cas de l’article 905, le législateur eut été plus inspiré de prévoir non pas la notification de l’acte d’appel entre avocats, déjà en possession de l’avocat de l’intimé qui se constitue, mais celle de l’avis de fixation à bref délai, qui précise notamment les dates de clôture et de plaidoirie et qui est souvent ignoré de l’intimé. En effet, si la Cour de cassation précise que l’avis de fixation à bref délai doit être adressé par le greffe à l’avocat de l’intimé, on constate qu’en réalité cette formalité d’information, pour le coup essentielle, n’est pas accomplie dans certaines cours et que certaines considèrent que cette obligation pèse sur l’avocat de l’appelant, ce qui ne ressort pourtant d’aucun texte. Le rappel de cette obligation issue des articles 904-1 et 970 du code de procédure civile, trop souvent oubliés, est là encore une excellente de chose.

Enfin, la référence à l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme doit être saluée. D’une part, parce que la Cour de cassation a entendu viser l’atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge si cette notification, inutile donc, était assortie d’une sanction de caducité puisque le nouvel article 911-1 du code de procédure civile dispose en son alinéa 3 que « la partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie ». D’autre part, parce que la Cour de cassation a toujours, depuis 2011 et jusqu’à présent, écarté les moyens des pourvois qui soutenaient que les sanctions imposées par les décrets Magendie étaient contraires à l’article 6, § 1er. Il en est ainsi en cas de défaut de signification de l’acte d’appel, la sanction du non-respect du délai d’un mois imposé par l’article 902 ne méconnaissant pas les exigences du recours effectif à un juge et du procès équitable (Civ. 2e, 26 juin 2014, nos 13-20.868, 13-22.011, 13-22.013, 13-17.574, Dalloz actualité, 18 juill. ), ou bien de la caducité de la déclaration d’appel à l’égard de l’ensemble des parties en cas d’indivisibilité du litige (Civ. 2e, 11 mai 2017, n° 16-14.868, Dalloz actualité, 6 juin 2017, obs. R. Laffly ) ou même de la signification, dans le délai prescrit, d’un acte comportant l’ensemble des mentions exigées par l’acte d’appel mais qui ne serait pas la déclaration d’appel (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-18.212, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. R. Laffly , note G. Bolard ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ). Mais si le visa de l’article 6, § 1er, a été retenu pour la première fois, il ne faut surtout pas imaginer une inflexion de la part de la haute juridiction dont la position s’explique plus par l’inutilité évidente d’une formalité procédurale, qui ne résulte de surcroît pas nécessairement du texte, que par une volonté de neutraliser les nouvelles sanctions procédurales en appel. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle d’ailleurs toujours de son côté qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions internes et à l’autonomie processuelle des États, mais que son rôle est seulement de vérifier si cette mise en œuvre n’a pas privé une partie de l’accès, effectif, au juge. Ainsi, parions que le même raisonnement opéré par cet avis devrait être adopté pour l’article 902 nouveau du code de procédure civile dont la rédaction et la construction sont finalement les mêmes que celles de l’article 905-1. La caducité demeurera lorsque l’avocat de l’appelant ne fera pas signifier à l’intimé non constitué sa déclaration d’appel dans le délai d’un mois de l’avis du greffe (« À peine de caducité de la déclaration d’appel relevée d’office, la signification doit être effectuée dans le mois de l’avis adressé par le greffe ») et la sanction de caducité devrait être écartée faute de notification à l’avocat constitué dans le mois de l’émission de l’avis (« cependant, si, entre-temps, l’intimé a constitué avocat avant la signification de la déclaration d’appel, il est procédé par voie de notification à son avocat »).

Un doute est finalement permis dans deux hypothèses. La première résulte des limites de l’avis rendu qui ne fait que préciser que l’acte d’appel n’entraîne pas la caducité s’il n’est pas notifié entre avocats dans le délai de dix jours mais qui pourrait ne pas nécessairement être un blanc-seing de n’avoir jamais à notifier, même au-delà de ce délai. L’avis ne dit rien à se sujet, mais la plus large publication qui lui est offerte comme la référence même à l’article 6, § 1er, permet légitimement de penser que la portée est toute autre et que l’absence de notification, au-delà même du délai de dix jours, ne sera pas sanctionnée, de surcroît si l’on considère l’inutilité de cette notification que l’on soit à l’intérieur du délai de dix jours ou au-delà. L’autre hypothèse est celle de l’article 911 du code de procédure civile qui utilise aussi une proposition similaire : « Sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n’ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat ». Quoique rédigés en termes identiques, les textes dévoilent une situation bien différente. En effet, dans ce dernier cas, la notification des conclusions à l’avocat de l’intimé qui « entre-temps » se constitue est loin d’être inutile puisqu’il s’agit au contraire de porter à sa connaissance, pour la première fois, les écritures d’une partie dans le délai légal. Écarter toute caducité reviendrait alors à créer une disparité de sanction incompréhensible entre intimés, selon qu’ils se constituent spontanément, ou que les conclusions soient ou non signifiées. Il est donc très improbable que la Cour de cassation dispense l’avocat de cette formalité posée à peine de caducité dans les procédures classiques comme à bref délai, et il est hautement recommandé de ne pas procéder par extrapolation et de veiller, toujours, à cette notification des conclusions dans le délai imparti.

S’il est toujours très périlleux pour un avocat d’interpréter un texte de procédure au regard d’un critère d’utilité, il est en tout cas heureux que ce critère puisse guider, parfois, la Cour de cassation dans son interprétation.