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Sanction prononcée par l’Église : le juge judiciaire n’est pas compétent… sauf préjudice détachable de l’engagement religieux

Il n’appartient pas au juge civil d’apprécier la régularité ou le bien-fondé de la décision de nomination ou de révocation d’un ministre du culte prise par une autorité religieuse également établie en application des règles internes qui la gouvernent. L’indemnisation de préjudices nés de la décision d’une association diocésaine de mettre fin à la prise en charge matérielle consentie au ministre du culte pour l’exercice de son ministère, lorsqu’elle n’est pas détachable de la décision de révocation, n’est pas un droit défendable au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
 

Comme l’affirmait Victor Hugo, précurseur du principe de laïcité – en particulier dans le cadre de l’enseignement – et de la loi du 9 décembre 1905 qui le consacre, « L’Église chez elle et l’État chez lui ». Il est néanmoins des situations dans lesquelles l’Église et l’État entretiennent des liens ; la distinction entre leur domaine de compétence respectif peut être poreuse. La décision rendue par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 4 avril 2025 en témoigne, puisque loin d’exclure entièrement la compétence du juge judiciaire pour apprécier la régularité ou le bien-fondé d’une décision prise par une autorité religieuse, elle entrouvre la possibilité pour lui de statuer sur une demande d’indemnisation de préjudices subis par un ministre du culte. Preuves de l’importance de la décision rendue : sa publication au Bulletin et au Rapport, un communiqué, la mise à disposition du rapport du conseiller et de l’avis de l’avocat général et, enfin, la diffusion en direct de l’audience.

Si la décision est juridiquement fondée, au regard du principe de laïcité, elle interroge sur l’exception qu’elle apporte ainsi que sur le refus de la Cour de soulever d’office, comme le proposait le conseiller rapporteur, un grief tiré d’une discrimination raciale. Elle témoigne, de manière générale, de l’immixtion toujours plus grandissante des droits fondamentaux dans la justice française, laquelle doit être approuvée : si les Églises et l’État sont indépendants, si le droit religieux doit pouvoir être émancipé du droit laïc, ce ne peut être sans limites.

Le 13 décembre 2007, la procédure d’ordination au sein de l’Église catholique d’un diacre a été suspendue par l’archevêque de Toulouse au regard de faits sexuels allégués à son égard. Le 30 août 2011, l’Officialité de Toulouse a prononcé une sentence pénale ecclésiastique de renvoi du diacre de l’état clérical1. Cette décision a été confirmée le 22 juin 2015 par le Tribunal de la Rote romaine, juridiction d’appel des décisions prises par les tribunaux ordinaires de première instance2. Le 26 février 2016, un décret d’exécution de cette décision a été pris par l’archevêque : l’ancien diacre a perdu sa place au sein du clergé ainsi que l’ensemble des droits qu’il tirait de sa fonction. Il a ensuite a été mis en demeure de libérer le logement que l’association diocésaine mettait à sa disposition en sa qualité de diacre, qui lui a proposé un logement d’accueil d’urgence.

L’ancien diacre a assigné en justice l’Association diocésaine de Toulouse pour contester la sentence pénale prononcée à son encontre : il demandait l’annulation de cette dernière et, de ce fait, sa réintégration dans ses fonctions, ainsi que l’indemnisation de ses préjudices matériel et moral au titre de la responsabilité civile contractuelle – et, subsidiairement, délictuelle – de l’association diocésaine. Les préjudices matériels invoqués résultent de la perte de rémunération, de logement et du droit à mutuelle, sans aucune indemnisation ; le préjudice moral, du fait qu’il a « consacré sa vie au service du culte ».

Par un jugement rendu le 14 février 2019, le Tribunal de grande instance de Toulouse a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par l’association diocésaine et, statuant sur le fond, a débouté le demandeur de l’ensemble de ses demandes. Le 2 février 2021, la Cour d’appel de Toulouse s’est déclarée incompétente « en vertu du principe constitutionnel de laïcité et de l’autonomie des communautés religieuses, énoncé par la CEDH » : la question du renvoi du requérant de l’état clérical relève de la seule organisation interne de sa communauté religieuse. Elle a estimé que l’ancien diacre aurait dû interjeter appel de la décision auprès du Tribunal suprême de la signature apostolique, seul compétent en la matière3, à la fois pour l’annulation de la décision contestée et la réparation des préjudices allégués qui en résultaient.

Le pourvoi formé par l’ancien diacre est fondé sur l’existence d’un contrat avec l’association diocésaine qui justifie, selon lui, la compétence des juridictions judiciaires pour les questions d’ordre patrimonial. Cette relation contractuelle aurait fait naître des droits et obligations de nature civile, justifiant la possibilité pour lui de contester la décision de la justice ecclésiastique devant la justice laïque, conformément au droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne.

L’assemblée plénière, statuant à la suite du renvoi de l’affaire par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, avait à se prononcer sur la compétence du juge judiciaire en la matière et, par là même, sa compétence pour examiner toute demande mettant en cause une décision prise par une autorité religieuse. Question de principe qui, à l’évidence, requérait que la Cour rende sa décision dans sa formation la plus solennelle.

L’assemblée plénière rejette le pourvoi et rejoint les conclusions de l’association, en rejetant la compétence des juridictions civiles pour apprécier le bien-fondé de décisions rendues par des autorités religieuses ainsi que l’existence d’effets juridiques civils découlant de la décision ecclésiastique contestée. Dans deux attendus de principe, l’un général, l’autre plus spécifique à la situation de l’ancien diacre, elle énonce « qu’il n’appartient pas au juge civil d’apprécier la régularité ou le bien-fondé de la décision de nomination ou de révocation d’un tel ministre du culte prise par une autorité religieuse légalement établie en application des règles internes qui la gouvernent » et que, « dès lors, l’indemnisation de préjudices nés de la décision d’une association diocésaine de mettre fin à la prise en charge matérielle consentie au ministre du culte pour l’exercice de son ministère, lorsqu’elle n’est pas détachable de la décision de révocation, n’est pas un droit défendable au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

Le principe est celui d’une incompétence du juge judiciaire, justifiée par le principe de laïcité découlant de la Constitution française et de la loi du 9 décembre 1905, et le principe d’autonomie des communautés religieuses, interprété par la Cour européenne comme découlant de l’article 9 de la Convention. Il ne saurait être reconnu au juge judiciaire le pouvoir de s’immiscer dans les affaires strictement privées de l’Église, celle-ci étant « libre de choisir et de nommer ses ministres de culte (…) conformément à ses propres règles canoniques »4. Dans son second attendu, la Cour de cassation laisse poindre une exception : le juge judiciaire a vocation à être compétent si la demande d’indemnisation est « détachable » de la décision des autorités religieuses contestée.

L’incompétence de principe du juge judiciaire

Droit à un procès équitable. Le requérant estimait que les procédures de sanction ecclésiastique devaient respecter les exigences du droit à un procès équitable, conformément à un arrêt Pellegrini c/ Italie5. Était en jeu l’article 6, § 1, de la Convention européenne, tant dans son applicabilité que dans son application. L’ancien diacre estimait que la procédure du droit canon n’était pas conforme à l’article 6, § 1, de la Convention européenne, invoquant notamment l’absence d’avocat lors de son audition. Selon l’association diocésaine, « l’appelant a bénéfice des services d’un avocat, a été entendu par le tribunal et a pu faire appel de la sentence rendue par l’Officialité de Toulouse devant la Rote romaine, et les procédures ont été instruites pendant 8 ans ».

Le point de discussion résidait essentiellement sur l’applicabilité de l’article 6, § 1, au regard de la notion de « droit défendable ». La Cour européenne exige que le droit invoqué par le requérant soit reconnu en droit national6 et ait un caractère civil « au regard non de la qualification juridique, mais du contenu matériel et des effets que lui confère le droit interne de l’État en cause »7. C’est donc au regard du droit français que la notion de « droit défendable » doit être interprétée. Les juges européens...

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