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Article
Sanctions contre la Russie et obligation de vigilance des avocats : les CARPA aux avant-postes
Sanctions contre la Russie et obligation de vigilance des avocats : les CARPA aux avant-postes
Face aux nombreuses sanctions internationales prises à l’encontre de la Russie ces dernières semaines, les avocats sont appelés à une vigilance accrue, en particulier en matière de maniement de fonds de tiers. Mais les mesures de gel d’avoirs concernent surtout les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA).
par Miren Lartigue, Journalistele 5 avril 2022
« Soyez vigilants. » Tel est l’essence du message adressé à tous les avocats de France par le Conseil national des barreaux dès le 25 février dernier. Objectif : attirer leur attention « sur le flash info émis par le Pôle sanctions et gels d’avoirs de la direction générale du Trésor au sujet des sanctions financières ciblées prises contre la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine », car la profession est « concernée par la mise en œuvre des articles L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier », rappelle l’institution représentative des avocats dans ce message.
Une large palette de sanctions
L’agression de l’Ukraine par la Russie conduit l’Union européenne et des pays tels que les États-Unis et le Canada à adopter plusieurs trains de sanctions visant le régime et l’économie russe. Restrictions visant le commerce et les investissements dans plusieurs secteurs économiques, gel des actifs de la Banque centrale russe, gel des avoirs de personnes ou d’entités liées au pouvoir russe ou biélorusse, suspension de visas, interdiction de survol de l’espace aérien de l’Union européenne, interdiction de diffusion pour certains médias… La palette des sanctions prises par l’Union européenne est sans précédent, de même que celle des contre-sanctions prises par la Russie.
Une très longue liste de personnalités politiques, économiques ou militaires, de banques et d’organisations jugées proches des pouvoirs russe ou biélorusse font désormais l’objet de mesures de gel des avoirs et d’une interdiction de mettre des fonds à leur disposition. Fin mars, près de 900 personnalités et entités figuraient ainsi sur la liste arrêtée par Bruxelles. Ces sanctions financières ciblées impliquent à la fois le gel des fonds (actifs financiers et avantages économiques de toute nature) et celui des ressources économiques (avoirs de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, susceptibles d’être utilisés pour obtenir des fonds, des biens ou des services). Pilotée par Tracfin, la task force mise en place par Bercy pour identifier ces fonds et ces ressources économiques comprend des agents de la direction générale du Trésor, des finances publiques et des douanes.
Ne pas participer à la violation d’une mesure de sanction
« Le Conseil national des barreaux et les ordres ont joué leur rôle en alertant les avocats lorsque la liste des personnes visées a été considérablement allongée et en les appelant à une vigilance accrue », explique le président de la Délégation des barreaux de France à Bruxelles, Laurent Pettiti. « Mais ce n’est pas pour autant une situation nouvelle pour les avocats. Cela fait partie de leur obligation de vigilance générale et des contrôles qu’ils doivent effectuer pour ne pas participer à la violation d’une sanction. »
Lorsque l’avocat procède à l’identification d’un client, il doit notamment vérifier si ce dernier fait l’objet de mesures de sanctions ou entretient des relations commerciales avec des personnes visées par des sanctions, et doit conserver les traces de ses recherches, quel qu’en soit le résultat. Pour ce faire, il est possible de se référer aux bases de données de sanctions commercialisées par des sociétés spécialisées et au registre national des mesures de gel des avoirs accessible sur le site internet de la direction générale du Trésor. Certains barreaux offrent également la possibilité aux avocats de consulter la base de données des sanctions gérée par leur CARPA.
Gel des avoirs : les CARPA aux avant-postes
Les récentes sanctions financières ciblées prises à l’encontre de la Russie viennent s’ajouter à celles imposées, parfois de longue date, à des personnalités liées à différents régimes – Corée du Nord, Iran, Irak, Syrie, Lybie, Mali, Afghanistan, Liban, etc. – et à celles déjà prises à l’encontre de la Russie depuis l’annexion de la Crimée, en 2014. Rien de très nouveau, donc, et c’est avant tout leur ampleur et leur rythme d’adoption très rapide qui appellent à une vigilance accrue.
Reste que, dans la pratique, « le gel des avoirs concerne surtout les CARPA dans la mesure où il faut que les fonds soient déposés sur un compte pour pouvoir les geler », explique le secrétaire général de la CARPA de Paris, Jean-Charles Krebs. Or « les contrôles effectués par les avocats pour s’assurer qu’ils ne prêtent pas leur concours à une opération impliquant des personnes ou entités faisant l’objet d’une sanction sont réalisés en amont de l’opération, avant l’arrivée des fonds ». Aussi, les situations qui peuvent donner lieu à un gel des avoirs sont « très rares » parce que « les banques sont susceptibles de geler les fonds avant qu’ils n’arrivent en CARPA » et parce que cela implique que « la mesure de gel tombe juste au moment où les fonds sont sur le compte CARPA ». À Paris, dernièrement, « nous avons eu à gérer un dossier de gel d’avoirs fin 2021, et un autre très récemment, mais ce sont des exceptions ».
L’assujettissement des CARPA, une nouveauté dans la continuité
La principale nouveauté sur ce terrain réside peut-être dans le fait que, depuis février 2020, les CARPA sont désormais assujetties aux obligations de vigilance et de déclaration imposées par le code monétaire et financier en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme – ce qui inclut les mesures de gel d’avoirs. Une nouveauté qui, dans la pratique, ne change pas grand-chose dans la mesure où « ce sont des contrôles que nous effectuions déjà bien avant l’assujettissement des CARPA », rappelle Jean-Charles Krebs.
À Paris, « la CARPA procède tous les jours à un contrôle automatique des données de toutes les opérations avec celles des listes des sanctions », en plus « du contrôle effectué sur toutes les ouvertures de dossier ». Après l’adoption des dernières sanctions à l’encontre de la Russie, « nous avons donc appliqué ce qui était déjà en place – l’outil et les procédures existants – avec une vigilance renforcée en raison du grand nombre des noms ajoutés à la liste, qui est susceptible de générer un volume de risque plus important ».
Un balayage de toutes les bases clients des CARPA
Hors Paris, « les CARPA sont toutes équipées du logiciel développé par l’UNCA qui permet notamment de réaliser ce contrôle à chaque ouverture d’un sous-compte et à chaque opération », explique le président de l’Union nationale des CARPA (UNCA), Antoine Diesbecq. Dès l’annonce des nouvelles sanctions prises à l’encontre de la Russie, l’UNCA a également proposé aux 119 CARPA d’effectuer pour elles « un balayage de toute leur base de données clients avec une solution logicielle spécialement développée par l’UNCA » pour détecter les noms et raisons sociales identiques ou très proches de celles figurant sur la liste nationale. Car, en matière de sanctions, « les contrôles ne relèvent pas d’une approche par les risques comme en matière de lutte contre le blanchiment, il ne s’agit pas de repérer les noms à consonance slave mais de vérifier de façon systématique pour chaque client, personne physique ou morale, s’il figure ou non sur la liste ».
Gérer les faux positifs, identifier les bénéficiaires effectifs
Si le contrôle fait remonter une alerte sur un client, il faut vérifier s’il s’agit d’un vrai ou d’un faux positif. « Ce qui prend le plus de temps dans ces contrôles, ce sont les vérifications pour lever tous les faux positifs qui remontent lors des contrôles », relève Jean-Charles Krebs. Ce qui, pour les personnes morales, peut poser la question de l’identification des bénéficiaires effectifs. « C’est le plus compliqué, et les CARPA dialoguent avec les avocats pour s’assurer qu’ils disposent bien de toutes les informations. » La mise en place, en France, du registre des bénéficiaires effectifs – auquel les avocats ont librement accès après en avoir fait la demande auprès de l’INPI – facilite beaucoup cette phase d’identification pour les entités enregistrées sur le territoire français. Mais « c’est plus compliqué en Europe et encore plus hors de l’Europe, où il n’y a pas d’équivalent à ce registre », et « c’est un vrai sujet avec la Russie », pointe-t-il.
À l’échelle européenne, la mise en place de registre est de nouveau à l’ordre du jour dans le cadre de l’examen du paquet anti-blanchiment proposé par la Commission en juillet 2021 et actuellement entre les mains du Parlement. Au niveau international, le Groupe d’action financière (GAFI) « envisage de renforcer ses recommandations sur ce point délicat », mais « les États-Unis y sont assez opposés », souligne-t-il. Les contrôles liés aux sanctions financières ciblées sont-ils susceptibles de conduire à une déclaration de soupçon de blanchiment d’argent ? « Oui, cela peut être un indicateur d’une opération douteuse. »
Quid des opérations qui ne passent pas par la CARPA ?
Si les vérifications effectuées concluent à la nécessité de geler des fonds, le représentant légal de la CARPA – le bâtonnier ou le secrétaire général – doit en informer le ministère de l’Économie et des Finances, par le biais d’une adresse de courriel dédiée. L’avocat concerné par le dossier en informe son client, ainsi que de son droit à contester cette mesure de gel et de la possibilité d’obtenir des autorisations de dégel de fonds dérogatoires auprès de la direction générale du Trésor (pour régler certaines dépenses, telles que des honoraires d’avocat, par exemple).
Étant donné le rôle central que jouent les CARPA dans ce dispositif, « les avocats doivent être particulièrement vigilants pour les opérations où il n’y a pas de maniement de fonds de tiers – et donc pas d’intervention de la CARPA –, comme dans le cas d’apport de titres ou de fusion, par exemple », pointe le président de l’UNCA, Antoine Diesbecq. L’obligation de vigilance et tous les contrôles afférents reposent alors sur l’avocat. Autre cas de figure dans lequel l’avocat est amené à manier des fonds et valeurs pour des tiers sans intervention de la CARPA : la fiducie. Une activité potentiellement à risque au regard des mesures de sanctions internationales ? « C’est un risque très marginal en France dans la mesure où seuls vingt-six cabinets font de la fiducie », relativise Jean-Charles Krebs. Et « il entre dans la mission de l’ordre de vérifier que les avocats assurent bien leur obligation générale de vigilance et tous les contrôles prévus par la loi », notamment pour les opérations de maniement de fonds pour compte de tiers.
Au-delà du respect des sanctions, l’enjeu de la conformité
En cas de doute, « les avocats peuvent interroger la CARPA pour renforcer leur analyse, quelle que soit la nature de l’opération. Ils le font d’ailleurs de plus en plus », se félicite-t-il. Avant de rappeler : « Si des avocats pensent que le meilleur moyen de ne pas prendre de risque en matière de maniements de fonds de tiers c’est de ne pas toucher à l’argent, et bien c’est faux : leur responsabilité est exactement la même. La meilleure façon d’être en conformité avec son obligation de vigilance est de faire en sorte qu’un avocat intervienne dans le flux financier pour que la CARPA puisse procéder au contrôle. »
Enfin, à l’heure où se négocie le nouveau paquet antiblanchiment à Bruxelles et où l’OCDE encourage les États à prendre des mesures contre les « intermédiaires facilitateurs » dans le cadre de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale, il est important de « montrer que les dispositifs de contrôle mis en place par la profession sont efficaces », souligne Antoine Diesbecq, à l’UNCA. « Un des enjeux majeurs est de faire savoir ce que nous faisons sur ce terrain, tout en défendant les fondamentaux et l’autorégulation de la profession », ajoute Jean-Charles Krebs. Et, en matière de conformité, « la CARPA est le fer de lance de notre organisation, c’est le compliance officer des cabinets avocats ».
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