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Sanctions pénales et fiscales : principe non bis in idem et cumul plafonné

Il appartient au juge répressif d’appliquer l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France, et le juge pénal n’est tenu de veiller au respect de l’exigence de proportionnalité que s’il prononce une peine de même nature.

par Sébastien Fucinile 19 septembre 2019

Par une série d’arrêts rendus le 11 septembre 2019, la chambre criminelle a apporté toute une série de nouvelles précisions quant au cumul, en matière de fraude fiscale, de sanctions fiscales et de sanctions pénales. Elle a, par deux arrêts en particulier, précisé la portée de la réserve émise par la France lors de la ratification du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, visant à limiter le champ d’application de l’article 4 dudit protocole relatif au principe non bis in idem. Il a également apporté des précisions nouvelles quant à l’application d’une réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel relative au plafonnement du cumul des sanctions pénales et des sanctions fiscales prononcées pour les mêmes faits. Mais ce qui est également remarquable dans les arrêts commentés est la motivation enrichie mise en œuvre dans le cadre des nouvelles normes de rédaction des arrêts de la Cour de cassation. Ces arrêts, contenant une motivation particulièrement étayée et faisant référence à la jurisprudence de la Cour, sont en outre explicités par une note explicative. Il s’agit là d’une étape importante amorcée depuis quelques mois, permettant de comprendre les fondements de la décision prise par la Cour de cassation. Pour autant, les solutions apportées n’emportent pas nécessairement la conviction.

Sur le principe non bis in idem protégé par l’article 4 du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme

Sur le premier point, la chambre criminelle a précisé, en substance, qu’il ne lui appartenait pas de contrôler la validité de la réserve émise par la France lors de la ratification du protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a par conséquent rejeté l’application du principe non bis in idem au cumul de poursuites pénales et fiscales pour les mêmes faits. L’article 4, § 1, du protocole n° 7 prévoit que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ».

La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que cet article s’opposait au cumul de poursuites administratives et pénales pour les mêmes faits, dès lors que la poursuite administrative relève de la matière pénale (CEDH 10 févr. 2009, req. n° 14939/03, Zolotoukhine c/ Russie, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; D. 2009. 2014 , note J. Pradel ; RSC 2009. 675, obs. D. Roets ). Or, en vertu de la réserve émise par la France lors de la ratification du protocole n° 7, « seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole ». La chambre criminelle a toujours invoqué cette réserve pour refuser de faire application de l’article 4 du protocole n° 7 au cumul de poursuites administratives et pénales pour les mêmes faits (v. not. Crim. 22 janv. 2014, n° 12-83.579, D. 2014. 274 ; ibid. 600, entretien N. Rontchevsky ; ibid. 1564, obs. C. Mascala ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; AJ pénal 2014. 180 , note J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2014. 321, note B. Bouloc ; RSC 2014. 106, obs. F. Stasiak ; RTD com. 2014. 159, obs. N. Rontchevsky ; ibid. 435, obs. B. Bouloc ; RTD eur. 2015. 348-30, obs. B. Thellier de Poncheville ).

Pourtant, la Cour européenne des droits de l’homme a invalidé la réserve émise, en marge de la ratification du protocole n° 7, par l’Autriche (CEDH 23 oct. 1995, req. n° 15963/90, Gradinger c/ Autriche, § 37, AJDA 1996. 376, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1997. 1, étude F. Moderne ; RSC 1996. 479, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 487, obs. R. Koering-Joulin ) et par l’Italie (CEDH 4 mars 2014, n° 18640/10, Grande Stevens c/ Italie, § 204, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d’Ambrosio et D. Vozza ).

Pour être valables, les réserves doivent être, conformément à l’article 57 de la Convention, accompagnées d’un bref exposé de la loi concerné par la réserve. C’est précisément parce que les réserves autrichiennes et italiennes ne contenaient pas ce bref exposé que les réserves ont été déclarés invalides. En vertu de la réserve italienne, « la République italienne déclare que les articles 2 à 4 du Protocole ne s’appliquent qu’aux infractions, aux procédures et aux décisions qualifiées pénales par la loi italienne ».

La réserve française n’est pas plus précise et ne contient pas davantage un bref exposé de la loi concerné. L’invalidité des réserves autrichiennes et italiennes semblent condamner la réserve française. Certes, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé, plus tard, que « les réserves formulées par l’Autriche et l’Italie ont été jugées non valables parce qu’elles n’étaient pas accompagnées d’un bref exposé de la loi en cause comme le veut l’article 57, § 22, contrairement à la réserve émise par la France » (CEDH 15 nov. 2016, n° 24130/11, A. et B. c/ Norvège, § 117, AJDA 2016. 2190 ; D. 2017. 128, obs. J.-F. Renucci et A. Renucci ; AJ pénal 2017. 45, obs. M. Robert ; RSC 2017. 134, obs. D. Roets ). Cela a pu être interprété comme rejetant l’invalidité de la réserve française (sur ce point, v. S. Detraz, Non bis in idem : Convention européenne et réserve française, D. 2017. 2130 ). Cependant, la Cour a visé, pour appuyer cette affirmation relative à la réserve française l’arrêt Göktan, dans lequel le gouvernement français n’avait pas invoqué la réserve, ce qui avait conduit la Cour à ne pas l’appliquer et donc à ne pas en contrôler la validité (CEDH 2 juill. 2002, n° 33402/96, Göktan c/ France). En d’autres termes, la Cour ne s’est jamais prononcée sur la réserve, y compris dans un arrêt récent où le gouvernement avait renoncé à l’invoquer (CEDH 6 juin 2019, n° 47342/14, Nodet c/ France, RSC 2019. 383, obs. F. Stasiak ), et c’est bien comme cela que l’a entendu la Cour de cassation dans les arrêts commentés. Elle a relevé que la Cour européenne « ne s’est pas prononcée sur la validité de la réserve française ».

Mais la chambre criminelle affirme alors qu’il ne lui appartient pas de contrôler la validité de la réserve, en ce que le juge judiciaire doit appliquer un traité conformément aux déclarations unilatérales émises par la France lors de sa ratification. Elle soutient alors que cela ne s’oppose pas à l’obligation dégagée par l’Assemblée plénière (Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17.049, D. 2011. 1080, et les obs. ; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro ; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade ; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli ; RTD civ. 2011. 725, obs. J.-P. Marguénaud ) « de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ». Elle précise en outre que « cette exigence a été adoptée pour l’application et l’interprétation des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles » et ajoute qu’« elle ne s’applique pas lorsque la question concerne, non la portée de ces droits et libertés, mais l’appréciation préalable de l’étendue des engagements de l’État ».

Cette distinction semble cependant bien artificielle. Tout d’abord, la supériorité des traités à la loi découlant de l’article 55 de...

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