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Seconde condamnation pour Patrick Balkany

Relaxé pour corruption, le maire de Levallois-Perret, est condamné pour blanchiment de fraude fiscale, tout comme son épouse. Ils ont fait appel de cette nouvelle condamnation.

par Pierre-Antoine Souchardle 20 octobre 2019

En entrant dans la salle d’audience, la mauvaise mine des avocats de la défense était comparable à celle de la place Blanche au petit matin blafard. Trois rangées de robes noires devant un box vide, visages fermés. Presque la composition d’un portrait de groupe de Rembrandt, façon Le Syndic de la guilde des drapiers, entre ombre et lumière, figures féminines en plus.

Patrick Balkany, détenu depuis le 13 septembre, a choisi de rester dans sa cellule de la maison d’arrêt de La Santé. Mohamed Al-Jaber, l’homme d’affaires saoudien s’est fait excuser.

Isabelle Balkany, doudoune sans manche bleu marine, pull bleu clair, plus fétu de paille que femme de tête, a soufflé quelques baisers au public venu en masse dans la salle 2.01 du tribunal de grande instance de Paris. À ses côtés son fils, Alexandre, Jean-Pierre Aubry, le fidèle du maire, et Arnaud Claude, l’avocat immobilier de Levallois-Perret. 

Lorsque le président a annoncé qu’il ne tolérerait aucun débordement dans la salle au prononcé de la décision, les trombines se sont encore plus crispées. Dans un silence de cathédrale, les quatre prévenus, collés à la barre, ont écouté la lecture du jugement.

Tendue, Isabelle Balkany, qui assure l’intérim à la mairie de Levallois-Perret, s’est assise, rejointe par son avocat, sur l’épaule duquel elle a posé délicatement sa tête. Tension maximum.

Les zygomatiques de la défense se sont relâchés lorsque le président Benjamin Blanchet a prononcé le mot relaxe sur les faits de corruption concernant l’opération dite des Tours de Levallois visant MM. Balkany, Al-Jaber, Aubry et Claude. Le parquet national financier avait requis sept ans contre M. Balkany

Selon l’accusation, le maire de Levallois-Perret aurait accordé à l’homme d’affaires saoudien des délais de paiement sur cette opération d’un montant de 243 millions de d’euros en échange de l’achat de la villa Dar Gyucy à Marrakech au Maroc.

Selon le tribunal, il ne « peut être à bon droit reproché à M. Balkany, en sa double qualité de maire de Levallois-Perret et de président de la Semarelp (la société d’économie mixte de la ville chargée de l’urbanisme), d’avoir sollicité ou agréé, sans droit (…) des dons, des présents ou des avantages quelconques » pour accorder des délais de paiement et report d’échéances aux entreprises de M. Al-Jaber engluées dans cette affaire immobilière.

Le tribunal a considéré que les trois virements, étalés de juin à novembre 2009 et d’un montant total de 4 593 079,90 dollars, dont l’accusation affirmait qu’ils provenaient de sociétés liées au magnat saoudien, n’ont pas été utilisés « dans le cadre du financement de la villa Dar Gyucy ».

Patrick Balkany a également été relaxé du chef de prise illégale d’intérêt. En cause, un voyage à titre gracieux dans l’aéronef de M. Al-Jaber entre Paris et Saint-Martin en juillet 2009. Cela constitue une gratification mais pas de prise d’intérêt dans l’opération des Tours de Levallois, selon le tribunal.

Le couple Balkany a été condamné pour déclaration incomplète de situation patrimoniale à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV) en omettant de déclarer une partie de leur patrimoine immobilier et les comptes de leurs sociétés offshores.

Reste que le tribunal a reconnu coupable le couple Balkany de blanchiment de fraude fiscale et a condamné l’époux à cinq ans d’emprisonnement, assortis d’un mandat de dépôt et l’épouse à quatre ans, sans toutefois décerner un mandat de dépôt en raison de son état de santé.

Les infractions de blanchiment de fraude fiscale commises par le couple « ont non seulement porté atteinte à l’ordre public économique en ce que leur commission (…) a privé l’État de la perception de sommes très importantes qui lui étaient légalement dues (…) mais également aggravé la déchirure désormais ancienne du pacte républicain et ce quand bien même nul argent public n’a été formellement détourné », indique le jugement.

Concernant M. Balkany, le tribunal a jugé que ce dernier « a joué un rôle prépondérant (…) dans la mise en œuvre d’une entreprise de blanchiment, structurée et performante, d’une fraude fiscale massive afin de léser les intérêts d’une République française dont il se disait, depuis tant d’années, le fidèle serviteur ».

La 32e chambre a considéré que la responsabilité de Mme Balkany ne se situait pas au même niveau que son mari. Toutefois, cette dernière « n’a pas refusé ou tout au moins mis un terme à une situation dont elle n’ignorait rien du caractère fondamentalement illégal ».

M. Aubry, qualifié « d’assistant zélé et déterminé à enfreindre les prohibitions légales dans l’unique objectif de satisfaire les desseins personnels de son protecteur », a écopé de trois ans d’emprisonnement assortis du sursis et de 100 000 € d’amende pour complicité de blanchiment de fraude fiscale en mettant en place, avec l’avocat Arnaud Claude, les structures off-shores détenant la villa marocaine.

M. Claude, reconnu également coupable du même délit a été condamné à trois ans avec sursis et 50 000 € d’amende.

Quant à Alexandre Balkany, qui a agi par « solidarité familiale » en faisant établir à son nom des baux jugés fictifs pour la villa de Marrakech, s’est vu condamné à six mois avec sursis.

Le tribunal a ordonné la confiscation de la villa marocaine, de la résidence de Giverny et du produit de la vente de la villa Pamplemousse à Saint-Martin, estimant que ces propriétés étaient le fruit du délit de blanchiment de fraude fiscale commis par les époux. Il a en outre prononcé à leur égard une peine d’inéligibilité de dix ans.

À l’issue de l’audience, le fétu de paille est redevenu, devant les caméras, la femme de tête. « Je voulais simplement vous dire, comme nous l’avons toujours dit, et comme cela a été confirmé publiquement et officiellement aujourd’hui, il n’y a pas un centime d’argent public, c’est uniquement notre patrimoine familial, et il n’y a pas de corruption. Merci ».

Les avocats du couple ont annoncé avoir fait appel de cette seconde condamnation. Le parquet national financier a dix jours pour décider ou non de faire appel.

Le 22 octobre, la cour d’appel examinera la demande de mise en liberté de M. Balkany dans le dossier de fraude fiscale qui lui a valu sa condamnation à quatre ans.

L’audience sur le fond a été fixée du 11 au 18 décembre. Depuis la loi du 23 mars 2019, l’examen de l’appel, lorsque la personne est détenue, doit se faire dans les quatre mois, selon le parquet général de la cour d’appel de Paris.