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Le secret des affaires peut être écarté par l’impératif du droit à la preuve

Le secret des affaires (C. com., art L. 151-1 s.) peut être écarté par le droit à la preuve. Le juge doit se livrer à un contrôle de proportionnalité afin d’arbitrer, au cas par cas, lequel des deux impératifs doit primer.

1. Le droit de la preuve continue d’alimenter l’actualité. Après un arrêt d’assemblée facilitant, par un revirement remarqué, l’admission des preuves déloyales (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 et n° 21-11.330, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 291 , note G. Lardeux ; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 296, note T. Pasquier ; ibid. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 613, obs. N. Fricero ; JA 2024, n° 697, p. 39, étude F. Mananga ; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier ; AJ pénal 2024. 40, chron. ; AJCT 2024. 315, obs. A. Balossi ; Dr. soc. 2024. 293, obs. C. Radé ; Légipresse 2024. 11 et les obs. ; ibid. 62, obs. G. Loiseau ; RCJPP 2024. 20, obs. M.-P. Mourre-Schreiber ; RTD civ. 2024. 186, obs. J. Klein ; JCP 2024. 119, rapp. D. Ponsot et H. Fulchiron ; ibid. 120, note G. Vial ; JCP E 2024. 1042, note C. Golhen ; JCP S 2024. 1028, note S. Brissy ; Procédures 2024. 37, note A. Bugada), voilà que la chambre commerciale se penche sur l’articulation entre droit à la preuve et secret des affaires.

2. Sur fond de concurrence déloyale et de réseaux de distribution, l’arrêt mérite assurément que l’on s’y attarde car les décisions portant sur le secret des affaires sont encore rares (infra, § 16). L’enseignement majeur est le suivant : une pièce protégée par le secret des affaires ne peut, en principe, être produite dans le cadre d’une instance civile ; cette interdiction peut toutefois céder face à l’exigence du droit à la preuve. Le juge est donc invité à réaliser un contrôle de proportionnalité, dont le résultat est, par nature, incertain.

3. En l’espèce, un franchisé du réseau Speed Rabbit Pizza reprochait au franchiseur et à la filiale d’un réseau concurrent, le réseau Domino’s Pizza, la commission d’actes de concurrence déloyale, matérialisés par l’octroi de délai de paiement excessifs à ladite filiale. S’estimant victime de ces actes réalisés dans un réseau concurrent, le franchisé sollicitait donc, assez classiquement, l’arrêt de ces pratiques et des dommages-intérêts.

Ce contentieux mérite sans doute quelques explications pour qui n’est pas familier des réseaux de distribution et de la concurrence déloyale. L’action en concurrence déloyale, parmi ses nombreuses déclinaisons, peut être engagée pour non-respect d’une réglementation impérative (encore réc., Com. 27 sept. 2023, n° 21-21.995, D. 2023. 1692 ; Rev. sociétés 2024. 375, note S. Lacroix-de Sousa ; CCC 2023. Comm. 185, obs. H. Aubry ; JCP E 2023. 1374, note L. Bettoni ; Dr. sociétés 2024. Comm. 13, note M. Tirel ; BJS nov. 2023, n° BJS202m1, note T. Favaro ; BJB nov. 2023, n° BJB201o0, note O. Lyon-Lynch et J. Serrier ; LEDICO nov. 2023, n° DDC201w5, note A.-C. Martin). En l’espèce, le franchisé Speed Rabbit Pizza avançait le non-respect des règles de délais de paiement (aujourd’hui, C. com., art. L. 441-10 s.), pratique relativement fréquente dans matière de distribution intégrée. En d’autres termes, le franchisé reprochait la violation d’une règle impérative, ce qui octroyait à la filiale un avantage concurrentiel indu. L’égalité entre deux concurrents (ici, le franchisé Speed Rabbit Pizza et la filiale Domino’s Pizza) serait donc rompue à cause de cette pratique.

De son côté, le franchiseur Domino’s Pizza reproche au franchisé du réseau Speed Rabbit Pizza d’avoir obtenu et produit, dans le cadre de l’instance, des pièces couvertes par le secret professionnel. Plus précisément, le franchiseur reprochait la production d’un document adressé à ses franchisés lequel détaillait son savoir-faire, dont l’une des caractéristiques principales caractéristiques est d’être secret.

4. Sans revenir sur le premier arrêt de cassation (Com. 30 sept. 2020, n° 19-12.145), retenons que la cour d’appel fait droit à cette demande du franchiseur Domino’s Pizza : la pièce était protégée au titre du secret des affaires et divulguée de façon illicite. Le franchisé Speed Rabbit Pizza est conséquemment condamné à 30 000 € de dommages-intérêts (Paris, pôle 5 - ch. 4, 23 nov. 2022, n° 22/08310). Un pourvoi est formé.

5. La censure de l’arrêt d’appel se résume aisément : un contrôle de proportionnalité aurait dû être mené. La cour d’appel aurait dû rechercher si la protection conférée par le secret des affaires, empêchant la production de la pièce, ne devait pas céder devant un autre impératif : le droit à la preuve. La Cour ne hiérarchise toutefois nullement, de façon générale dirions-nous, ces deux impératifs : la cour d’appel de renvoi devra arbitrer lequel de ces impératifs doit, dans cette affaire particulière, l’emporter.

La qualification d’un document relevant du secret des affaires

6. Le premier temps du raisonnement consiste à déterminer si la pièce litigieuse relève, ou non, du secret des affaires. La Cour de cassation reprend...

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