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Secret professionnel : lorsque le fond remonte à la surface

Des courriels échangés entre les juristes d’une entreprise, dont le contenu se réfère à des données confidentielles communiquées par l’avocat à sa cliente en vue de sa défense, peuvent bénéficier de la protection conférée par le secret professionnel de l’avocat.

Défini au premier alinéa de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, le secret professionnel de l’avocat protège « […] les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention “officielle”, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier […] ».

Le secret professionnel : entre obligation, protection et défiance

Prévalant « en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense », le secret professionnel est un devoir (qui impose à l’avocat une parfaite confidentialité quant aux informations portées à sa connaissance) tout autant qu’il est un droit (qui garantit, outre le secret des correspondances, l’absence d’immixtion de l’autorité publique dans la relation de confiance entre le justiciable et son conseil).

Par principe général et absolu (RIN, art. 2.1, al. 2), il interdit à l’avocat de révéler les informations dont il est dépositaire (C. pén., art. 226-13) sauf dans certaines circonstances exceptionnelles – telles que la révélation d’atteintes ou de mutilations sexuelles infligées à une personne vulnérable (C. pén., art. 226-14, 1°), la divulgation faite par l’avocat pour les stricts besoins de sa défense personnelle devant une juridiction (RIN, art. 2.1, al. 3), la déclaration de soupçon faite dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (C. mon. fin., art. L. 561-2, 13°), ou encore la déclaration de dispositif transfrontalier potentiellement agressif au plan fiscal issue de la directive européenne (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 dite « DAC 6 ».

Si la Constitution ne consacre pas le droit au secret des correspondances des avocats (Cons. const. 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, § 16, Dalloz actualité, 27 janv. 2015, obs. A. Portmann ; AJDA 2015. 1514 ; D. 2015. 1647, et les obs. ; ibid. 2016. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ), l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme lui accorde une protection renforcée dès lors que « les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique » qui ne peut être effective lorsque l’avocat « n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels » (CEDH 16 juin 2016, Versini-Campinchi et Crasnianski c. France, n° 49176/11, § 76, Dalloz actualité, 17 juin 2016, obs. A. Portmann ; D. 2016. 1852 , note E. Raschel ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ).

Dans la pratique, le secret professionnel de l’avocat s’oppose fréquemment aux impératifs probatoires qui gouvernent l’exercice des poursuites pénales. Des garanties procédurales ont donc été spécifiquement aménagées pour protéger ce secret, notamment au cours des perquisitions (C. pr. pén., art. 56-1), des interceptions téléphoniques (C. pr. pén., art. 100-5, al. 3, et 100-7, al. 2), de la mise en œuvre des dispositifs de sonorisation et de fixation d’images (C. pr. pén., art. 706-96-1, al. 3) ou de captations de données informatiques (C. pr. pén., art. 706-102-5, al. 3) – étant précisé que ces dispositions auront vocation à être complétées, à compter du 1er mars 2022, en application de l’article 3 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 (v. not. Dalloz actualité, 2 févr. 2022, obs. J. Bolo-Jolly, B. Agostini-Croce, E. Daoud, A. Gravelin-Rodriguez et A. Quinio).

Souvent source de dissensions au sein de la communauté judiciaire, le secret professionnel de l’avocat est observé avec défiance par ceux qui craignent qu’il puisse se transformer en une forme d’impunité injustifiée. S’il peut logiquement s’effacer lorsque l’avocat est suspecté d’avoir participé à la commission d’une infraction, il n’est garanti que lorsque les « informations sont relatives à l’exercice par ce dernier des droits de la défense de son client » (v. not. Étude d’impact, projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire) – la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation réservant cette protection, de manière controversée, aux seules activités judiciaires et non pas aux simples activités de conseil (v. not. Crim. 22 mars 2016, n° 15-83.205, Dalloz actualité, 24 mars 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 713 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; AJ pénal 2016. 261, obs. P. de Combles de Nayves ).

Une « portabilité » du secret des correspondances de l’avocat à des données confidentielles transmises à son client ?

Au cas de l’espèce, plusieurs entreprises ont été soupçonnées de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, en s’échangeant des informations commerciales privilégiées. En application de l’article L. 450-4 du code de commerce, un juge des libertés et de la détention a autorisé les services de l’Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et de saisie (OVS) dans les locaux de l’une des enseignes concernées. Au cours des investigations, les enquêteurs ont saisi des courriels échangés par des juristes de l’entreprise, dont le contenu se référait à une stratégie de défense élaborée par l’avocat de la société. Ce dernier, apparemment mandaté pour identifier les documents risquant de compromettre sa cliente en cas de contrôle inopiné, semblait avoir rédigé une note juridique à laquelle était annexé l’ensemble des pièces jugées préjudiciables.

Le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel a ultérieurement examiné un recours formé contre ces opérations, des suites duquel il décidait d’annuler la saisie des documents susvisés qui, bien que n’émanant pas ou n’étant pas adressés à un avocat, reprenaient une stratégie de défense mise en place par le conseil de la société (Paris, 8 nov. 2017, n° 14/13384, Dalloz actualité, 19 déc. 2017, obs. G. Deharo ; AJ pénal 2018. 49, obs. C. Mayoux ; D. avocats 2018. 74, obs. M. Bénichou ).

Par l’arrêt commenté, la chambre criminelle a donc été invitée à se prononcer sur la régularité de cette décision : entre autres branches, le moyen de cassation soutenait que les courriels ne pouvaient bénéficier de la confidentialité des échanges entre un avocat et son client dès lors qu’il avait été constaté que ces communications n’émanaient pas ou n’étaient pas adressées à un avocat.

Au visa des articles 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et L. 450-4 du code de commerce, la chambre criminelle est venue rappeler, en préalable, un principe fondamental en cette matière, qu’elle avait déjà eu l’occasion d’énoncer par le passé : « le pouvoir reconnu aux agents de l’Autorité de la concurrence par l’article L. 450-4 du code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense » (Crim. 24 avr. 2013, n° 12-80.331 P, Dalloz actualité, 15 mai 2013, art. A. Portmann ; ibid. 17 mai 2013, obs. F. Winckelmuller ; D. 2013. 1124 ; ibid. 2014. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; ibid. 893, obs. D. Ferrier ; JCP E 2013, n° 1453, note Saenko ; RJDA 2013, n° 754 ; LPA 1er juill. 2013, note Dufour ; CCE 2013, n° 105, obs. Chagny ; Gaz. Pal. 2013. 1639, note Piau ; RLC juill.-août 2013, p. 91, note Lavedan ; Dr. pénal 2013, n° 112, obs. J.-H. Robert ; Procédures 2013, n° 222, obs. Chavent-Leclère ; ibid. 2014. Chron. 1, spéc. n° 31, obs. Ruy ; v. égal. Crim. 25 nov. 2020, n° 19-84.304, Dalloz actualité, 23 déc. 2020, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2020. 2340 ).

Puis, la Cour de cassation a donc considéré que le magistrat, par une appréciation relevant de son pouvoir souverain, avait constaté à bon droit que les données confidentielles, couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat, constituaient ici l’objet essentiel des documents saisis. De fait, la chambre criminelle est donc venue confirmer que le contenu pouvait l’emporter sur la qualité des personnes entre lesquelles les informations étaient échangées, validant une analyse in concreto des échanges plutôt qu’une approche exclusivement in personam.

Prospective

Pour ce qui concerne la portée de cette décision, d’aucuns verront peut-être là une interprétation inédite et extensive de l’article 66-5 susvisé, s’apparentant à une sorte de « portabilité » du secret des correspondances de l’avocat à des données confidentiellement transmises à son client.

Notons que le débat juridique se concentre sur le contenu des échanges, tout en se prévalant de la protection conférée aux seules correspondances entre l’avocat et son client. Pourtant, il est intéressant de constater qu’au-delà du cas spécifique des correspondances, les « consultations » de l’avocat sont également protégées par l’article 66-5 susvisé, qu’elles soient adressées directement au client ou qu’elles lui soient simplement destinées. Cette distinction aurait pu impliquer que les conseils de l’avocat étaient ici protégés, à ce titre, pour ce qu’ils étaient, dès lors qu’ils avaient été formulés à destination de sa cliente, sans qu’il soit même utile de s’attacher à la qualité des personnes entre les mains desquelles les informations confidentielles avaient été échangées.

Gageons que l’arrêt commenté constituera une première étape vers la construction d’une nouvelle orientation jurisprudentielle qui protégera le secret professionnel tel qu’il est défini par la loi, en toutes ses dimensions, en ce compris l’activité de conseil (sans être restreint, comme le commande l’état actuel de la jurisprudence de la Cour, à la seule « confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense »).

Comme l’a immédiatement suggéré Vincent Nioré, vice-bâtonnier du barreau de Paris et infatigable défenseur du secret professionnel de l’avocat, nul doute que cette décision inspirera les praticiens qui auront à connaître, à partir du 1er mars prochain, de la nouvelle procédure instituée en matière de contestation des saisies, effectuées chez un particulier, de documents relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil (C. pr. pén., futur art. 56-1-1).

Pour conclure, il est utile de signaler qu’une autre branche de cassation avait cherché à établir, en vain, une différenciation de traitement entre la note juridique de l’avocat et les pièces qui y étaient annexées – étant précisé que la chambre commerciale avait déjà refusé par le passé d’opérer une distinction entre une correspondance d’avocat et les pièces qui s’y trouvaient jointes (Com. 6 déc. 2016, n° 15-14.554, Dalloz actualité, 19 déc. 2016, obs. A. Portmann ; D. 2016. 2575 ; Rev. sociétés 2017. 515, note R. Vabres ; D. avocats 2017. 75, obs. E. Spiridion ; JCP 2017. 660, n° 15, obs. Moret-Bailly ; Gaz. Pal. 6 juin 2017, p. 24, obs. de Belval).