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Le Sénat renforce la lutte contre la fraude

Mardi, le Sénat débattait du projet de loi de lutte contre la fraude. 

par Pierre Januelle 9 juillet 2018

Comme prévu le verrou de Bercy a beaucoup occupé les débats, mais le Sénat ne l’a pas fait sauter (v. Dalloz actualité, 4 avr. 2018, art. P. Januel isset(node/190027) ? node/190027 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190027). Le sujet sera tranché par l’Assemblée. Le Sénat a toutefois renforcé la lutte contre la fraude sur plusieurs volets (fichiers, plateforme, tabac, paradis fiscaux, sanctions).

Déjà étendu par le projet de loi, un amendement du gouvernement, est venu à nouveau élargir l’accès aux fichiers administratifs. Les officiers et agents de police judiciaire ainsi que les agents des douanes et des services fiscaux habilités auront accès à BNDP et PATRIM (données patrimoniales et transactions immobilières), alors que les agents de contrôle de la sécurité sociale pourront accéder aux fichiers FICOVIE (assurances vie), BNDP et PATRIM. Pour lutter contre la fraude à la restitution de TVA les agents de la DGDDI pourront accéder aux fichiers fiscaux, afin de vérifier que les voyageurs remplissent effectivement la condition de non résidence fiscale.

Les obligations des plateformes en ligne ont également été étendues. Le Sénat a notamment prévu que les plateformes devront établir le numéro de TVA des vendeurs établis dans des pays tiers. Il a aussi créé un régime de responsabilité solidaire entre les plateformes établies à l’étranger et les entreprises français qui y auraient recours. D’autres dispositions introduites en commission ont été contestées par le gouvernement. C’est le cas pour l’abattement fiscal de 3 000 € pour les revenus issus de plateformes. Le gouvernement ne souhaite pas non plus des dispositions introduites en commission s’inspirant du système britannique (responsabilité solidaire des plateformes pour le paiement de la TVA, possibilité pour les plateformes de prélever la TVA pour le compte du vendeur par un mécanisme de paiement scindé, interdiction pour les plateformes en ligne d’effectuer des versements sur des cartes prépayées), des travaux étant en cours au niveau européen sur le « paquet Commerce ».

Pour lutter contre la contrebande de tabac, un amendement gouvernemental a inscrit dans la loi les seuils prévus par la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008, permettant de supposer qu’une personne détient du tabac à des fins commerciales (800 cigarettes, 400 cigarillos, 200 cigares ou 1 kg de tabac). Le montant des amendes a été doublé.

Sur les États et territoires non coopératifs (ETNC), le Sénat a souligné la faiblesse de la mesure visant à intégrer la liste européenne dans la liste française. Les États de la liste européenne ne seront soumis qu’à six des  mesures dissuasives prévues par la liste française : au final, seul Palaos serait véritablement touché. Le Sénat a également modifié les critères entraînant l’inscription sur la liste française des paradis fiscaux pour intégrer le critère de « l’échange automatique d’informations », cela contre l’avis du gouvernement.

Le Sénat a réécrit les peines applicables au délit de blanchiment du code des douanes : ce délit, qui prévoit que la peine ne peut être que de deux à dix ans, fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise le 21 juin 2018, en raison de l’impossibilité de prononcer moins de deux ans de prison.

Fraude fiscale : renforcer les sanctions administratives et assouplir le verrou

Le projet de loi prévoyait la publication des sanctions fiscales prononcées contre les personnes morales. Le Sénat a souhaité limiter cela aux sanctions devenues définitives et a renvoyé la décision à la commission des infractions fiscales (CIF) plutôt que de créer une nouvelle commission.

Avec l’accord du gouvernement, le Sénat a également rétabli la possibilité pour l’administration de transiger sur les sanctions fiscales, quelles que soient les suites pénales envisagées. L’interdiction pour l’administration de transiger sur des dossiers « pénalisables » avait été adoptée en 2013, afin d’éviter que la transaction ne se substituée aux poursuites. Cela a conduit à diviser par deux le nombre ces transactions, passées de 6 160 en 2012 à 2 994 en 2016.

Outre les sanctions administratives, le Sénat s’est intéressé aux procédures judiciaires simplifiées. La possibilité pour la justice de recourir à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) pour la fraude fiscale a été confirmée. Le Sénat a également intégré ce délit dans le champ de la convention judiciaire d’intérêt public (CIJP), mais contre l’avis du gouvernement, pour qui « il serait paradoxal que la justice se saisisse d’une affaire pour la traiter comme l’administration et proposer une transaction ». Au nom de la lisibilité du droit, le gouvernement s’est aussi opposé à l’inscription dans la loi de la jurisprudence Talmon qui permet les poursuites judiciaires sur le délit de blanchiment de fraude fiscale même en l’absence de plainte préalable de l’administration.

Par ailleurs, contre l’avis du gouvernement, le Sénat a souhaité créer une possibilité pour le contribuable poursuivi de saisir préalablement le juge administratif, afin d’éviter des conflits entre le juge répressif et le juge de l’impôt. Si la volonté d’éviter les conflits est louable, elle risque d’emboliser un système judiciaire déjà à bout de souffle.

Comme cela été prévisible, le verrou de Bercy (les poursuites pénales pour fraude fiscale ne sont possible que si l’administration porte plainte) a occupé une part importante des débats. Sans le supprimer, le Sénat a proposé un nouveau dispositif, qui a la faveur du gouvernement : la loi prévoirait le dépôt obligatoire par l’administration d’une plainte dès lors que les montants de droits fraudés seraient supérieurs à un seuil fixé par décret et :

  • lorsque le contribuable serait un élu ou un haut fonctionnaire ;
  • en cas de récidive ;
  • lorsque les faits relèveraient de la fraude aggravée.

Toutefois, même si ces critères étaient remplis, l’administration pourrait ne pas saisir la justice, à condition d’informer le parquet qui pourrait alors, de sa propre initiative, engager les poursuites. Au total, le nombre de plaintes pénales devrait passer de 1 000 à environ 1 500.

Pas certain que cet assouplissement suffise à l’Assemblée nationale qui, dans un rapport adopté à l’unanimité, a dénoncé le verrou de Bercy (v. Dalloz actualité, 23 mai 2018, art. P. Januelles plaintes pour fraude fiscale restaient étonnamment stables depuis vingt ans (entre 878 et 1 182), c’était parce que le nombre de dossiers transmis à la CIF était calibré sur le nombre prévisible de réunions annuelles de la CIF. Or celle-ci ne se réunit jamais plus de 70 fois par an, nombre maximal de réunions pouvant faire l’objet d’une rétribution pour ses membres. Le verrou de Bercy suscite de la tension entre les députés et le gouvernement, d’autant que la rapporteure de la mission d’information, Émilie Cariou rapportera aussi le projet de loi, malgré les réticences du gouvernement.