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Le Sénat se penche sur les soins des personnes détenues

La commission des finances vient de publier le rapport rendu cet été par le sénateur Antoine Lefèvre (LR), sur les dépenses pour la santé des personnes détenues.

par Pierre Januelle 4 octobre 2017

Le rapport rappelle l’état de santé dégradé des personnes détenues (l’incidence de la tuberculose est 10 fois supérieure à la moyenne nationale et le nombre de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé que dans la population générale. Le vieillissement devient une question importante : entre 1991 et 2013, le nombre des personnes écrouées de plus de 50 ans a été multiplié par 3,4.

Face à ces chiffres inquiétants, le rapport souligne l’absence de dispositif régulier de surveillance de la santé en détention. La plupart des études épidémiologiques ont plus de dix ans. Le rapporteur note aussi la perte de qualité statistique sur l’origine sociale des personnes détenues, avec une augmentation importante (à 37 %) de non déclarations. La première recommandation du rapport est donc de diligenter des études épidémiologiques.

Un accès au soin parfois complexe

Les dépenses de santé d’une personne écrouée s’élèvent en moyenne à 5 000 € par an. C’est plus que la moyenne des affiliés au régime général (2 475 €) mais cet écart ne s’explique pas par un recours accru aux soins, mais par les surcoûts des dispositifs de prise en charge.

Les consultations médicales et dentaires sont assurées au sein même des établissements pénitentiaires par des unités hospitalières rattachées à un établissement de santé. Pour le rapporteur, ce premier niveau de soins paraît satisfaisant, même si certains locaux sont dégradés.

En revanche, sur l’hospitalisation complète, le rapporteur critique vivement l’articulation entre les deux dispositifs prévus : une personne détenue peut être hospitalisée, soit dans des chambres sécurisées au sein d’un centre hospitalier, soit dans les huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), situées dans des CHU.

Si le taux global d’occupation des huit UHSI (170 lits) s’améliore, il n’atteint que 66 %, certaines UHSI n’étant occupées qu’à 50 % (Toulouse, Strasbourg). Parmi les explications : les délais importants entre la programmation et l’admission, l’utilisation limitée des chambres doubles et le nombre d’annulations d’hospitalisation à la dernière minute (en raison de la libération ou du refus du patient). En 2016, à l’UHSI de Paris, 22 % des hospitalisations ont été annulées et 9 % ont été reportées.

Concernant les freins sur l’accès aux soins, la désertification médicale n’épargne pas le milieu carcéral. De nombreux établissements, notamment dans le nord de la France, peinent à attirer des spécialistes notamment en ophtalmologie, chirurgie dentaire et kinésithérapie. D’autant que les vacations sont parfois contraignantes. Cette problématique concerne aussi la médecine de prévention des agents pénitentiaires. Une des solutions envisagées par le rapporteur est le déploiement plus large de la télémédecine.

Concernant la suspension médicale de peine pour les personnes en fin de vie, le rapport souligne la difficulté de trouver une structure d’aval acceptant d’accueillir la personne une fois libérée. En effet, les associations et les EHPAD sont réticents à accueillir ces malades. Dans le même temps, le Centre socio-médico-judiciaire de sûreté (CSMJS), situé sur un étage au sein de l’établissement public de santé national de Fresnes et censé accueillir les personnes placées sous le régime de la rétention-sûreté est actuellement totalement vide. Pour l’EPSNF, le centre pourrait être transformé en un « pré-EHPAD » de six places, accueillant les détenus ayant fait une demande de suspension de peine pour raison médicale pendant six mois, le temps de trouver une place à l’extérieur. Mais on voit mal comment cette transformation pourrait être pérenne.

Des besoins importants pour les soins psychiatriques

Concernant les soins psychiatriques, le besoin est très fort. D’après l’administration pénitentiaire, entre 2009 et 2014, le nombre d’hospitalisations en psychiatrie a augmenté de 35 %. L’hospitalisation peut se faire au sein :

  • des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ;
  • des établissements de santé autorisés en psychiatrie chargés d’assurer les soins psychiatriques sans consentement ;
  • des unités pour malades difficiles (UMD).

Hors UHSA, ces hospitalisations se déroulent sans garde statique. De fait, elles sont alors souvent trop courtes (la durée moyenne de séjour des personnes détenues était en 2012 de 18,3 jours contre 37 jours pour la population générale). Par ailleurs, dans les établissements de droit commun, le rapporteur note que « le recours à l’isolement ou à la contention reste parfois utilisé comme une mesure de sécurité, sans que l’évolution de l’état clinique de la personne détenue soit prise en compte ».

Il y a un recours particulièrement fort aux neuf UHSA (440 places), dont le taux d’occupation est de 75 %. Malgré la demande importante, la construction d’une seconde tranche de huit UHSA est actuellement gelée, eu égard au coût particulièrement élevé de la construction (115 millions d’euros, hors coûts de fonctionnement).

Pour le rapporteur, une éventuelle relance des constructions devrait aussi être « précédée d’une réflexion sérieuse sur le sens de la peine d’emprisonnement, associant l’ensemble des acteurs concernés ». En effet, selon certains interlocuteurs rencontrés, l’existence des UHSA « pourrait conduire les magistrats à privilégier un placement en détention, susceptible de garantir une prise en charge psychiatrique ». Ce constat rejoint celui de la commission des affaires sociales du Sénat qui, dans un autre rapport, soulignait que « les magistrats ont tendance à prévoir une incarcération en UHSA pour s’assurer qu’une personne sera soignée ».

Évolution du nombre de patients accueillis par les UHSA entre 2010 et 2014* (en nombre)da_graph_sans.jpg
Source : commission des finances du Sénat d’après les réponses au questionnaire adressé au ministère de la justice

Une sous-budgétisation qui aboutit à une dette envers l’assurance maladie

Alors qu’auparavant elles dépendaient de chaque établissement de santé, depuis 2016, les dépenses de santé sont centralisées par l’assurance maladie qui adresse ensuite au ministère de la justice une facture globale correspondant à la part complémentaire. Mais la sous-budgétisation des dépenses a creusé une dette du ministère de la justice envers les établissements de santé et l’assurance maladie. Cette dette est estimée à 88 millions d’euros, pour une dotation annuelle de 31 millions d’euros. À cela s’ajoute une dette de 17 millions d’euros de cotisation envers l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Pour le rapporteur, « l’État régule sa dépense en la reportant sur l’assurance maladie ».