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Sept ans d’emprisonnement contre Patrick Balkany

Un réquisitoire à la hauteur des enjeux d’un procès qui a vu M. Balkany contester les accusations de corruption et se poser en victime.

par Pierre-Antoine Souchardle 14 juin 2019

La scène résume à elle seule l’état d’esprit de Patrick Balkany à l’issue des réquisitions. L’audience vient d’être suspendue après le long réquisitoire à deux voix des représentants du parquet national financier. Une peine de sept ans d’emprisonnement assortie d’un mandat de dépôt a été requise contre l’élu de Levallois.

M. Balkany et son avocat passent devant l’estrade des deux magistrats. Ivre de rage et rubicond, l’élu les regarde et lâche : « Avec vous, il vaut mieux tuer quelqu’un ». Deux pas, il se retourne et lance sa dernière pique : « Vous être aussi haineux que médiocres », avant de repartir avec son avocat, Me Éric Dupond-Moretti.

« Quand un homme politique s’arrête, il meurt », a déclaré mardi M. Balkany lors de l’audience consacrée à l’examen de personnalité des prévenus. Avec ce réquisitoire, le maire de Levallois-Perret a entraperçu ce que pourrait être sa fin de parcours, une mort sociale. « S’agissant de M. Patrick Balkany, je vous demande de le déclarer coupable de la plus grave des atteintes à la probité, la corruption. La corruption de cette ampleur, c’est la dénégation de la démocratie locale. C’est une atteinte au lien social. Aucune complaisance n’est possible en la matière », a déclaré le procureur Serge Roques.

« Beaucoup ont fait de cette affaire un symbole, celui de l’impunité des puissants, de l’impuissance et la lenteur de la justice en matière de grande délinquance économique », a renchéri son alter ego, Arnaud de Laguiche. Poursuivi entre autres pour blanchiment de fraude fiscale aggravée, corruption passive et prise illégale d’intérêt, le maire de Levallois encourt jusqu’à dix ans d’emprisonnement.

L’accusation de corruption, la plus grave et la plus infamante, visant M. Balkany, concerne l’opération dite des Tours de Levallois et la villa de Marrakech, Dar Gyucy.

En 2008, un promoteur saoudien, Mohamed Al Jaber, négocie avec la ville de Levallois via sa filiale, la Semarelp, sur cette opération portant sur 243 millions d’euros de droit à construire. L’affaire traîne, le promoteur réclame des délais de paiement. Selon l’accusation, ceux-ci lui ont été accordés par M. Balkany en échange de l’achat d’une villa au Maroc.

Trois sociétés proches de M. Al Jaber ont versé entre juin et novembre 2009 la somme de 2,7 millions d’euros sur le compte d’un notaire marocain. La villa Dar Gyucy est détenue par une société civile immobilière (SCI) éponyme, elle-même détenue par une société panaméenne Hayridge, créée en juin 2009, dont le bénéficiaire est Jean-Pierre Aubry, le directeur général de la Semarelp. Hayridge, de même qu’une autre fiduciaire, Himola, chargée d’un compte bancaire, est administrée par une fiduciaire suisse Getrust.

« Peu importe que le pacte de corruption n’ait pas été explicitement exprimé », a expliqué Serge Roques, « il y a un lien incontestable entre l’acquisition de la villa et l’opération immobilière ». Contre le promoteur Mohamed Al Jaber, quatre ans d’emprisonnement dont deux avec sursis et 150 000 € ont été requis. « Une chose est sûre, le pacte de corruption continue de lier les prévenus. Tout aveu de l’un entraînerait la chute de l’autre. Ils se détestent, Patrick Balkany et Mohamed Al Jaber. Mais ils ont besoin l’un de l’autre », a souligné Arnaud de Laguiche.

La villa marocaine est au cœur de tous les soupçons de corruption. C’est « la villa fantôme, elle n’appartient à personne ». Reconnaître sa propriété, c’est reconnaître sa participation à un pacte de corruption. Les réels bénéficiaires de cette villa sont les époux Balkany, ont insisté les deux représentants du parquet à tour de rôle. Un dessous-de-table de 2,5 millions d’euros a été versé au propriétaire sur un compte au Liban. Il provient d’une commission versée par un homme d’affaires belge à M. Balkany, qui lui avait apporté une affaire en Namibie. Ce que dément M. Balkany. « Comment M. Forrest a-t-il pu deviner les douze chiffres du compte Himola à la Commerz Bank de Singapour », s’est étonné le procureur Laguiche.

Isabelle Balkany a meublé cette maison bien avant l’acquisition officielle par la société offshore panaméenne en janvier 2010. Les deux baux, dont leur fils Alexandre a été titulaire, sont des « baux fictifs » qui ont « contribué à l’opération de dissimulation », a souligné M. Roques.

Deux acteurs ont joué un rôle important dans le complexe montage des sociétés offshore pour l’acquisition de cette villa. Jean-Pierre Aubry, « le prête-nom jusqu’au sacrifice », qui détenait les actions au porteur de Hayridge, a nié être le propriétaire de Dar Gyucy. « Ses explications sont absurdes, voire invraisemblables », a martelé l’accusation. Contre cet homme considéré comme un « rouage essentiel » dont « la fidélité à un homme lui a fait perdre tout repère », le parquet a requis trois ans, dont un avec sursis, et 150 000 € d’amende.

Quant à l’avocat Arnaud Claude, qui a été jusqu’en décembre 2018 l’avocat de la Semarelp, « c’est le poisson-pilote de l’opération ». C’est lui qui va donner les instructions au notaire pour le dessous-de-table, c’est lui qui demande à l’acheteur d’ouvrir un compte au Liban. « Sa participation est essentielle. Il a sérieusement prêté son concours à une opération de corruption en sa qualité d’avocat », a estimé le parquet, avant de requérir quatre ans, dont deux avec sursis.

Le parquet a considéré que le blanchiment de fraude fiscale pratiqué par le couple Balkany était « ancien et systématique », la fraude fiscale « un choix délibéré » passant par des paradis fiscaux et des montages sophistiqués via une fiduciaire suisse, toujours la même jusqu’en 2009, Atlas Finanz Service. « Ils ont été contraints de jongler avec les paradis fiscaux pour échapper à ce qu’il appelle un enfer fiscal », a ironisé le procureur Arnaud de Laguiche. Cette année-là, le gestionnaire de fortune des époux Balkany prend sa retraite. Leurs villas aux Antilles étaient détenues par des sociétés-écrans.

Au chapitre espèces et liquidité, le parquet a ironisé sur leur circulation inexpliquée, comme les 87 000 € de billets d’avion payés en liquide. Patrick Balkany a expliqué que ces liquidités provenaient d’avoirs familiaux placés en Suisse. « Les avoirs à l’étranger ont servi d’excuse pour se victimiser. Les avoirs à l’étranger ne sont pas tous d’origine familiale », a martelé Arnaud de Laguiche.

Pour Isabelle Balkany, une peine de quatre ans d’emprisonnement est requise, pour Patrick Balkany, sept ans, pour le couple, 500 000 € d’amende et la confiscation des avoirs saisis, à savoir la résidence du couple à Giverny, le produit de la vente de la villa Pamplemousse à Saint-Martin aux Antilles et la villa marocaine. Quant à leur fils, poursuivi pour blanchiment, le parquet a choisi « l’indulgence » et requis une peine de 100 000 € d’amende.

L’état, partie civile, a réclamé, par la voix de son avocat, Me Xavier Normand-Bédard, un million d’euros de dommages et intérêts à l’encontre des prévenus, à l’exception de M. Al Jaber qui n’est pas poursuivi pour blanchiment de fraude fiscale.

Plaidoiries de la défense la semaine prochaine.

 

 

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