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Seul le conseil de discipline peut retirer l’honorariat à un avocat

La Cour de cassation s’est prononcée sur la question de savoir qui, du conseil de l’ordre ou du conseil de discipline, peut retirer l’honorariat à un avocat.

par Daniel Landryle 19 février 2019

La Cour de cassation a rendu un arrêt qui règle, du moins à ses yeux, la question de savoir qui, du conseil de l’ordre ou du conseil de discipline, peut retirer l’honorariat à un avocat, à moins qu’il ne s’agisse des deux en des compétences concurrentes.

Les faits sont les suivants. Un avocat prend sa retraite, sans opter pour le statut du retraité actif. Il sollicite l’honorariat qui lui est attribué. Mais cet avocat honoraire ne se résout pas à cesser son activité et imagine donc de continuer à travailler avec une personne de sa famille exerçant la profession d’avocat. Pour ce faire, il s’intitule : « avocat honoraire consultant » et, dans une publicité conjointe dans les « pages jaunes », cet avocat honoraire et celui en exercice se déclarent prêts à conseiller, assister et défendre les justiciables en une foule de domaines faisant ou non l’objet d’une reconnaissance officielle. Dans le même temps, et avec une réelle ou fausse naïveté, il demande au bâtonnier de bénéficier du « statut d’avocat honoraire consultant », ce que le bâtonnier refuse. À ce stade, on remarquera qu’il se rencontre ici ou là des anciens avocat qui soit ignorent, soit font semblant d’ignorer que, lorsqu’ils ont démissionné du barreau pour prendre leur retraite ou pour tout autre cause, ils ne peuvent pas continuer à exercer sous des prétextes divers, et ce qu’ils aient ou non sollicité et obtenu l’honorariat. Car, s’ils l’ont obtenu, la seule chose admise est qu’ils peuvent exercer ponctuellement la consultation et la rédaction d’actes, à condition d’avoir reçu l’autorisation du bâtonnier, lequel doit s’assurer que ces activités sont couvertes par une police d’assurance (décr. du 12 juill. 2005, art. 21, al. 2 ; RIN, art. 13), et ce sans parler des incidences fiscales. Et le règlement intérieur du barreau de Paris (art. p. 13.0.2) précise que ce travail « est subordonné à une autorisation ponctuelle et exceptionnelle, préalable et écrite, du bâtonnier qui précise à la fois le nom du dossier et la durée limitée pour laquelle elle est donnée » (sur ces questions, v. D. Landry, Quelles sont les activités permises à l’avocat honoraire ?, Gaz. Pal. 23-24 oct. 2015, p. 20 ; L’avocat honoraire, D. avocats 2016. 276 ). Mais revenons à notre espèce. Le bâtonnier, n’ayant donc pu conférer à l’intéressé un statut d’avocat honoraire consultant, qui n’existe pas, et celui-ci ayant continué à s’en prévaloir, va alors saisir le conseil de l’ordre, lequel prononce un retrait de l’honorariat. La cour d’Aix-en-Provence confirme cette décision, considérant qu’en faisant usage de la mention « avocat honoraire consultant », le mis en cause a pris une qualité qui n’était plus la sienne, manquant ainsi à la probité, principe essentiel de la profession.

L’arrêt est cassé et annulé. Car, donc, pour la Cour de cassation, qui vise l’article 22 de la loi du 31 décembre 1971 et l’article 184 du décret du 27 novembre 1991, « le retrait de l’honorariat pour infraction aux règles régissant le statut de l’avocat honoraire constitue une peine disciplinaire que seul le conseil de discipline a le pouvoir de prononcer au terme de la procédure appropriée ». Il convient d’en prendre acte. Néanmoins, il était permis de se demander si, concurremment, le conseil de l’ordre, par nature plus réactif et plus simple à saisir, n’était pas démuni de tout pouvoir. Car, ne serait-ce qu’en vertu de la règle de l’équivalence ou du parallélisme des formes, comment l’organe, qui, certes, à charge d’appel, peut seul accorder ou refuser l’attribution de l’honorariat, ne pourrait-il le retirer si son titulaire n’en remplit plus les conditions, et ce même en dehors de toute idée de sanction ? Ce, d’autant que le RIN, auquel renvoie du reste l’article 109 in fine du décret du 27 novembre 1991, lequel traite du statut de l’avocat honoraire, dit ceci à son article 13.1 :

« En aucun cas, l’honorariat ne peut être accordé ou maintenu à celui qui porte ou aurait porté atteinte aux principes essentiels de la profession.
L’honorariat ne peut être refusé ou retiré sans que l’avocat ayant demandé l’honorariat ou étant déjà honoraire ait été régulièrement convoqué devant le conseil de l’ordre.
Si le motif de retrait disparait, l’intéressé peut présenter une nouvelle demande au conseil de l’ordre.
 »

Pour les rédacteurs du RIN, il est ainsi évident que le conseil de l’ordre a ici un pouvoir concurrent de celui de conseil de discipline. Et dans un avis (CNB, Comm. RU, avis n° 2006-003, 11 janv. 2006) on lit qu’il appartient au conseil de l’ordre, s’il l’estime opportun, de décider du retrait du titre d’avocat honoraire à un avocat qui n’est pas en conformité avec les principes essentiels de la profession. La même opinion se retrouve en doctrine (v. R. Martin, Déontologie de l’avocat, 11e éd., LexisNexis, 2013, n° 388, p. 187). L’affaire peut parfois se compliquer s’agissant du barreau de Paris, quand on ne prend pas le soin de vérifier en quelle formation, ordinaire ou disciplinaire, le conseil de l’ordre de ce barreau a statué. Et l’on voit parfois les juridictions s’y perdre. Ainsi lit-on ceci dans un arrêt de la cour d’appel de Montpellier (Montpellier, 1re ch. aud. solennelle, 24 oct. 2016, n° 2016/05233) : « le conseil de l’ordre peut aussi décider du retrait de l’honorariat à un avocat qui n’est plus en conformité avec les principes essentiels de la profession ». Et ce alors qu’en y regardant de plus près, cette cour était saisie en matière disciplinaire. Évidemment, le plus clair serait d’adopter sans réserve la voie prise par la Cour de cassation en l’arrêt commenté et ainsi de privilégier la procédure disciplinaire, en éliminant totalement ici toute compétence concurrente du conseil de l’ordre. Pourtant, cette solution ne nous paraît pas la meilleure. En effet, il peut y avoir des retraits de l’honorariat sans aucune connotation disciplinaire, par exemple par le fait d’avoir repris une activité, en elle-même honorable, mais juridiquement inconciliable avec le statut de l’avocat honoraire. Et ils ne seront pas nombreux, les bâtonniers prêts à saisir le conseil de discipline d’une demande de retrait de l’honorariat, alors qu’outre qu’ils sont souvent débordés, ils ont déjà peu d’appétence à mettre en œuvre une procédure disciplinaire vu sa lourdeur pour tenter de faire sanctionner des avocats en exercice défaillants.

En terminant ce commentaire, comment ne pas s’interroger sur la suite procédurale de cet arrêt ? Car la Cour de cassation a donc renvoyé devant une autre cour d’appel. Mais celle-ci sera saisie dans les mêmes termes que l’était la cour d’Aix-en-Provence, soit sur un appel d’une décision du conseil de l’ordre. Si elle suit la direction donnée par la Cour de cassation, soit elle déclare que la saisine par le bâtonnier de conseil de l’ordre était nulle et de nul effet et qu’en tous cas, celui-ci ne pouvait décider du retrait de l’honorariat, soit elle se déclare elle-même incompétente pour statuer au vu d’une procédure inappropriée ; à charge dans les deux cas pour le bâtonnier de saisir, six années après les faits, et s’il en a le loisir, le conseil régional de discipline pour un nouveau marathon judiciaire.