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La seule violation de l’intérêt social ne livre pas la délibération aux griffes de la nullité

Une délibération de l’assemblée générale octroyant une rémunération exceptionnelle à son dirigeant ne peut être annulée qu’en cas de violation des dispositions impératives du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats, et non au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social, sauf fraude ou abus de droit commis par un ou plusieurs associés pour favoriser ses ou leurs intérêts au détriment de ceux d’un ou plusieurs autres associés.

par Leila Admile 22 février 2021

Les faits de l’espèce illustrent les liaisons dangereuses entre méconnaissance de l’intérêt social et nullité des actes et délibérations. Un gérant majoritaire d’une SARL consent une promesse de cession de l’intégralité des parts qu’il détient au sein de cette société moyennant un prix de 8 000 €. Dans les quelques mois séparant cette promesse de cession et sa réalisation, l’assemblée générale des associés vote le versement de primes exceptionnelles au gérant-cédant, au titre de ses fonctions. Par la suite, le cessionnaire et nouveau gérant oppose un refus pour le versement de ces sommes, estimant qu’elles mettent en péril les intérêts de la société. La société est alors assignée par le cédant (et ancien gérant) en paiement des sommes allouées.

Les juges du fond annulent les délibérations octroyant de telles rémunérations au (seul) motif qu’elles contrarient l’intérêt social. Au terme d’une appréciation casuistique, ils relèvent que ces primes exceptionnelles représentent treize fois le résultat annuel de la société et constituent donc des rémunérations abusives. Le demandeur reproche aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé l’ensemble des critères constitutifs d’un abus de majorité. Seulement les juges ne se plaçaient pas sur ce fondement, mais sur celui de la seule contrariété à l’intérêt social. C’est cette erreur dans le fondement qui justifie la cassation.

En effet, par cet arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 235-1 du code de commerce en retenant qu’une délibération de l’assemblée générale visant à octroyer une rémunération au gérant ne peut être annulée « au seul motif de sa contrariété à l’intérêt social ». En statuant ainsi, ajoute-t-elle, « sur le seul fondement de la contrariété des délibérations litigieuses à l’intérêt social, sans caractériser une violation aux dispositions légales s’imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats ni relever l’existence d’une fraude ou d’un abus de droit commis par un ou plusieurs associés », la cour d’appel n’a pas appliqué le texte visé. En effet, l’article L. 235-1 dans sa rédaction antérieure à la loi Pacte du 22 mai 2019, applicable aux faits de l’espèce, n’envisageait pas la méconnaissance de l’intérêt social parmi les causes de nullité. Désormais, il l’envisage expressément, mais pour l’exclure.

Cette solution n’est ni originale ni inédite. Un tour d’horizon de la place réservée aux nullités dans la vie sociétaire est d’abord essentiel pour comprendre la solution. La récente intervention législative visant à exclure expressément la contrariété à l’intérêt social des causes de nullité mérite ensuite pas d’être évoquée.

Tour d’horizon de la place réservée aux nullités dans la vie sociétaire

Animé par un souci de protection tant des associés que des tiers au pacte sociétaire, de sécurisation des transactions et de célérité des affaires, le législateur n’a pas fait des nullités l’arme dominante de l’arsenal juridique. Elles sont même « chassées » par ce dernier selon l’expression consacrée. L’article L. 235-1 du code de commerce, siège des nullités pour les sociétés commerciales, établit une certaine summa divisio. Il distingue en son sein, d’une part, les causes de nullité de la société et...

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