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Signature électronique des décisions juridictionnelles rendues en matière civile : nouvel arrêté

Un arrêté du 20 novembre 2020 relatif à la signature électronique des décisions juridictionnelles rendues en matière civile a été publié au Journal officiel du 22 novembre.

Le 20 novembre 2020, le ministre de la Justice a signé un arrêté (JUST2030158A) relatif à la signature électronique des décisions juridictionnelles rendues en matière civile. Cet arrêt offre le cadre technique de la signature électronique de ces décisions et pourrait préfigurer celui nécessaire au développement du dossier pénal numérique.

Un grand pas pour la justice civile

Le contexte

L’arrêté du 20 novembre 2020 intervient notamment dans le cadre du règlement (UE) 910/2014 du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et de la décision d’exécution (UE) 2015/1506 de la commission du 8 septembre 2015 établissant les spécifications relatives aux formats des signatures électroniques avancées et des cachets électroniques avancés devant être reconnus par les organismes du secteur public visés à l’article 27, § 5, et à l’article 37, § 5, du règlement 910/2014 précité.

Il est par ailleurs pris au visa des articles 1366 et 1367 du code civil qui prévoient notamment que l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier et qui fixe le cadre de l’identification de l’auteur de la signature électronique, de l’article R. 123-5 du code de l’organisation judiciaire relatif à la tenue du registre des délibérations, de l’article 456 du code de procédure civile prévoyant que le jugement peut être établi sur support électronique, ainsi que du décret n° 2010-112 du 2 février 2010 pris pour l’application des articles 9, 10 et 12 de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

Le contenu

Le texte prévoit notamment que tout procédé utilisé pour apposer une signature électronique sur les décisions juridictionnelles mentionnées à l’article 456 du code de procédure civile met en œuvre une signature électronique qualifiée au sens du règlement européen 910/2014 susvisé.

Il s’appuie sur un dispositif de création de signature qualifiée et de certificat qualifié reposant sur l’identification de l’agent sécurisée par la combinaison d’un dispositif d’identification strictement personnel et d’un mot de passe.

Ainsi, la signature électronique contient l’identification du signataire, un jeton d’horodatage garantissant l’intégrité du document et la date de signature et un certificat de signature électronique qualifié et valide, délivré par le ministère de la Justice. Par ailleurs, la signature électronique de la décision juridictionnelle contient la liste des certificats révoqués de l’autorité de certification qui a émis le certificat électronique identifiant le signataire. Cette signature électronique de la décision juridictionnelle garantit que toute modification ultérieure du document est détectable et la signature effectuée sur la base d’un certificat dont la révocation a été demandée est nulle même si la publication de ce certificat sur la liste des certificats révoqués n’est pas encore intervenue.

L’arrêté prévoit que les formats de signature reconnus sont ceux mentionnés en annexe de la décision d’exécution 2015/1506 de la Commission susvisée respectant les exigences des articles 1er et 2 de cette décision.

Enfin, le texte indique que la décision juridictionnelle signée électroniquement est conservée dans un minutier électronique placé sous la responsabilité du directeur du greffe pendant les durées d’utilisation comme archives courantes et de conservation comme archives intermédiaires prévues à l’article R. 212-13 du code du patrimoine. Pendant ces durées, ce minutier garantit l’accessibilité, la lisibilité, l’intégrité, la sécurité et la confidentialité des décisions juridictionnelles signées électroniquement.

Il est prévu que, dans un délai maximum de trois ans à compter de sa signature, la décision juridictionnelle signée électroniquement est transférée automatiquement dans un système d’archivage électronique sécurisé. Celui-ci permet d’étendre la fiabilité des signatures électroniques qualifiées au-delà de la période de validité technologique par les quatre moyens suivants :

• l’identification de chaque décision juridictionnelle signée électroniquement par une empreinte électronique, garantissant que toute modification ultérieure de la pièce à laquelle elle est attachée soit détectable ;

• la traçabilité des opérations de consultation, de versement, de migration, d’effacement et d’extraction ;

• la traçabilité des opérations de migration requises pour assurer la lisibilité dans le temps de la décision juridictionnelle sous format numérique, afin de prouver qu’elles ne constituent pas une altération de son contenu ou de sa forme. Après la migration, le système d’archivage électronique génère une nouvelle empreinte électronique de la décision juridictionnelle sous format numérique ;

• la conservation des empreintes et des traces générées en application des alinéas précédents aussi longtemps que la décision juridictionnelle sous format numérique à laquelle elles se rattachent et dans des conditions ne permettant pas leur modification.

Une étape importante de la digitalisation de la justice

Cet arrêté constitue une étape importante dans la digitalisation de la justice civile. En effet, ce processus de signature électronique permet l’édition de décisions civiles (tribunaux judiciaires, conseils de prud’hommes et cour d’appel, à l’exclusion à l’heure actuelle des tribunaux de commerce, qui disposent d’une autonomie certaine) sans qu’il soit nécessaire de les imprimer, de les signer manuellement puis de les numériser pour notification et archivage.

Il fait écho à l’arrêté du 18 octobre 2013 relatif à la signature électronique des décisions de justice rendues en matière civile par la Cour de cassation (le premier arrêt signé électroniquement date du 13 octobre 2013) et à l’arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce (v. Y. Broussole, Les principales dispositions de l’arrêté du 9 avril 2019 relatif à la signature électronique des décisions rendues par les tribunaux de commerce, LPA 20 sept. 2019, n° 147, p. 12).

Ce processus engendrera donc nécessairement des gains de temps, mais également de lisibilité en regard de la mise en œuvre de l’open data. Il doit également permettre de simplifier les formalités de notification et pour les avocats de gestion du courrier et de leurs archives.

Il s’appuie sur un dispositif d’authentification de la signature électronique normalisé au niveau européen permettant également de favoriser la sécurité et la fiabilité des décisions et leur reconnaissance mutuelle notamment au sein de l’Union européenne en vertu de l’article 81 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Il faut toutefois tenir compte du fait que la mise en œuvre juridictionnelle effective de cet arrêté nécessitera encore un certain temps. En effet, à l’instar de la situation dans les tribunaux de commerce, qui devraient pouvoir appliquer ce dispositif dans le courant du premier semestre 2021, un temps d’adaptation technique et pratique s’avérant nécessaire pour traduire sur le plan opérationnel l’ensemble des mesures arrêtées selon un schéma directeur bien structuré dans son principe. Souhaitons que la mise en œuvre opérationnelle de ce dispositif au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel puisse intervenir à bref délai.

Un horizon pour la justice pénale ?

Ce dispositif peut naturellement préfigurer sa mise en œuvre en matière pénale dans le cadre du dossier pénal numérique tel que prévu par le décret n° 2020-767 du 23 juin 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « dossier pénal numérique ».

Ce décret permet une transition du dossier pénal numérique par voie de dématérialisation, en cours, à une procédure exclusivement numérique permettant l’édition des actes de procédure sous une forme exclusivement numérique.

En effet, ce chantier majeur que nous appelons de nos vœux de longue date (T. Cassuto, La signature électronique en matière pénale : révolution en suspens ou rendez-vous manqué ?,  AJ pénal 2017. 490 ) avance sur un autre rythme compte tenu notamment des contraintes liées à la protection des données personnelles. Ainsi, il peut être souligné que le décret du 23 juin a été pris au visa du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 dit RGPD et de la directive (UE) 2016/680 du 27 avril 2016 qui l’accompagne relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données.

Ce décret, pris après les avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en date du 12 mars 2020 et du comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires en date du 15 mai 2020 instaure donc le cadre général du contenant futur des procédures pénales.

Certains pays se sont déjà dotés de tels outils et il ne saurait être contesté qu’un tel dossier pénal numérique présente de très nombreux intérêts tant pour les professionnels de la justice (T. Cassuto, Objectiver la preuve grâce au numérique, Revue justice actualités n° 21, juin 2019, p. 134) que pour les justiciables.

Il doit permettre d’alléger les tâches de traitement des procédures, notamment de manutention, d’améliorer la qualité des procédures, la conservation de la qualité des preuves, notamment des images recueillies, et par conséquent leur efficacité et leur célérité. En effet, en libérant des énergies et des ressources, il permet d’envisager un traitement accéléré des procédures dans un environnement plus sûr, singulièrement dans le contexte sanitaire que nous connaissons.

Au-delà, il pourrait permettre de favoriser le traitement de situation complexe nécessitant par exemple des recoupements d’informations (meurtres en série, activités d’organisations terroristes protéiformes, délinquance financière et traitement des avoirs criminels, etc.).

Il demeure que l’architecture du dossier pénal numérique doit encore être complétée afin de garantir l’interopérabilité des services, la sécurité des procédures et l’authentification des actes. À cet égard, le recours à un procédé d’authentification et de certification robuste des signatures concourra certainement à renforcer la nécessité de disposer d’un niveau de sécurité des plus élevés outre celle d’une protection de l’intégrité de l’ensemble de la procédure.

Ainsi, les progrès réalisés en matière civile doivent servir d’accélérateur de la modernisation de la procédure pénale numérique qui appelle à être parachevée au plus vite afin d’assurer sa mise en œuvre effective au plus vite.

Vers une accélération de la digitalisation des systèmes et de leur interopérabilité dans le cadre de la coopération judiciaire européenne

L’accélération nécessaire de la modernisation électronique des procédures civiles et pénales pourrait être favorisée par le cadre général européen appelé à se développer notamment sous l’impulsion de la Commission européenne. En effet, le 27 mai 2020, dans sa communication L’heure de l’Europe : réparer les dommages et préparer l’avenir pour la prochaine génération (COM[2020]456 final), la Commission soulignait l’importance de la digitalisation de la justice comme source d’amélioration de l’accès à la justice et le fonctionnement de l’environnement des entreprises.

Sur cette base, le 30 juillet 2020 (Feuille de route – Ares[2020]4029305), la Commission avait arrêté une feuille de route mettant en évidence la problématique de procédure judiciaire essentiellement papier et utilisant des modes de transmission affectant l’accès à la justice au préjudice des citoyens et des entreprises, et ce d’autant plus dans un environnement dégradé du fait de la crise sanitaire (v. The 2020 EU Justice scoreboard). Il est souligné en particulier les réticences au changement. Dans cette feuille de route, il est mis en évidence que la digitalisation de la justice est une condition importante pour améliorer la qualité des systèmes judiciaires en matière civile et pénale, notamment dans un contexte de criminalité transnational, ainsi qu’a pu le constater Europol.

La Commission a ainsi lancé une consultation devant conduire à l’adoption d’une communication sur la digitalisation de la justice qui devrait être présentée le 2 décembre 2020 dont l’objectif annoncé est notamment d’accélérer la digitalisation des systèmes et leur interopérabilité dans le cadre de la coopération judiciaire qui constitue la base juridique de l’action de l’Union européenne.

Il peut être souligné que la Commission saisit l’opportunité de cette démarche pour intégrer les avancées de l’intelligence artificielle (IA) et de la blockchain dont la mise en œuvre raisonnée pourrait apporter des solutions utiles. En effet, il dessine progressivement un consensus sur l’intérêt de l’IA comme outil susceptible de contribuer au fonctionnement de la justice, non certes en vue d’une autonomisation de la prise de décision, mais dans l’assistance à son élaboration (nonobstant sa mise en œuvre effective dans les cabinets d’avocat au moyen d’outils dédiés). Ces évolutions pourront bénéficier de la promotion d’un encadrement juridique de l’IA par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.