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La situation inconfortable de l’époux non-propriétaire de la résidence principale saisie

L’objectif de la dénonciation du commandement valant saisie immobilière, prévue à l’article R. 321-1, alinéa 3, du code des procédures civiles d’exécution, étant uniquement d’informer le conjoint non-propriétaire de la saisie visant la résidence de la famille et celui-ci n’étant pas débiteur dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, il n’a pas qualité pour contester le montant de la créance du poursuivant, la prescription de cette créance ni pour invoquer à son profit le droit au retrait litigieux

C’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la situation procédurale de l’époux non-propriétaire d’un bien constituant la résidence de la famille qui fait l’objet de poursuites de saisie immobilière diligenté à l’encontre de son conjoint débiteur et seul propriétaire et répond à la question suivante : ce dernier a-t-il qualité pour élever des contestations ?

En effet, l’article R. 321-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose en son dernier alinéa que :
« Dans le cas où un immeuble appartenant en propre à l’un des époux constitue la résidence de la famille, le commandement est dénoncé à son conjoint, au plus tard le premier jour ouvrable suivant la signification de l’acte ».

La raison de cette dénonce était donnée dans la circulaire ayant accompagné les textes de la réforme en 2006 :
« Cette information apparait en effet nécessaire pour permettre au conjoint de prendre toute disposition de nature à protéger le logement familial : ainsi il pourra par exemple acquitter la dette sur ses propres deniers ou solliciter l’autorisation du juge compétent aux fins de prendre des décisions rendues nécessaires par la saisie, en application des articles 217, 219 et 1426 du code civil ».

Les exemples illustrant la circulaire laissent dubitatif.

En effet, l’article 217 du code civil permet à un époux de solliciter en justice l’autorisation de passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement serait nécessaire si le refus de ce dernier n’était pas justifié par l’intérêt de la famille, notion qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ. 1re, 30 sept. 2009, n° 08-13.220, D. 2009. 2489, obs. V. Egea ; ibid. 2010. 1243, obs. G. Serra et L. Williatte-Pellitteri ; AJ fam. 2009. 451, obs. S. David ; RTD civ. 2009. 703, obs. J. Hauser ).

L’article 219 du même code offre un champ d’application encore plus réduit puisqu’il concerne le cas de l’époux hors d’état de manifester sa volonté, son conjoint « valide » étant alors fondé à solliciter en justice une habilitation pour le représenter pour des actes limitativement énumérés.

Quant à l’article 1426 du code civil, il est applicable en régime communautaire et reprend en synthèse le contenu des articles 217 et 219 du régime général.

Au surplus, par sa position très contestable, la Cour de cassation, à l’occasion d’un avis rendu à propos d’une procédure de saisie immobilière poursuivie à l’encontre de deux propriétaires indivis, même s’il ne concerne pas directement une application des dispositions de l’article R. 321-1 du code des procédures civiles, son interprétation vient encore réduite le champ des possibles pour l’époux non-propriétaire lorsque les poursuites concernent la résidence de la famille (Civ. 2e, avis, 16 juill. 2021, n° 21-70.008, D. 2022. 1331, obs. A. Leborgne ; Rev. prat. rec. 2021. 59, chron. M. Draillard et O. Salati ; RTD civ. 2021. 935, obs. P. Théry ).

Dans cet avis, la Cour de cassation estime qu’un débiteur, propriétaire indivis d’un bien immobilier saisi, qui a demandé au juge de l’exécution d’autoriser la vente amiable de ce bien en application de l’article R. 322-15 du code des procédures civiles d’exécution, n’est pas recevable à demander à ce juge, sur le fondement de l’article 815-5 du code civil, l’autorisation de conclure seul la vente (v. encore commentaire critique et fondé de C. Brenner, Gaz. Pal. n° 42, 30 nov. 2021, p. 30).

Donc, ce que ne peut pas solliciter devant le juge de l’exécution un propriétaire indivis, en vertu de l’article 815-5 du code civil, lequel permet à un indivisaire de solliciter l’autorisation par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun, le conjoint non-propriétaire le sera encre moins, même en se fondant sur les articles 217, 219 ou 1426 du code civil, le juge de l’exécution lui répondra, s’il suit aveuglément l’avis du 16 juillet 2021, qu’il n’entre pas dans son office d’autoriser la vente amiable du bien…dans ce contexte.

Alors à quoi sert cette dénonce…quels outils offrent-t-elle au conjoint non-propriétaire ?

C’est à cette question que répond l’arrêt commenté.

Mais avant d’aborder son contenu, il n’est pas inutile de se pencher sur l’histoire de cet article R. 321-1 du code des procédures civiles d’exécution.

En effet, l’histoire de cet alinéa est assez curieuse.

En effet, à l’origine, il constitue le dernier alinéa de l’article 13 du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006 relatif aux procédures de saisie immobilière et de distribution du prix d’un immeuble.

Dans le même texte, l’article 12 (devenu aujourd’hui l’art. R. 311-11 c. pr. exéc.) énumère un certain nombre de texte du décret dont le non-respect des délais est sanctionné par la caducité.

L’article 13 – qui deviendra l’article R.321-1 du code des procédures civiles d’exécution – ne figure pas dans cette énumération, si bien qu’entre le 1er janvier 2007, date d’entrée en vigueur de la réforme de la procédure de saisie immobilière, et le 1er mars 2009, le non-respect par le créancier du délai pour dénoncer le commandement à l’époux non-propriétaire était sanctionné par la nullité, avec application du régime des nullités des articles 114 et suivants du code de procédure civile, donc la nécessité de prouver un grief pour celui ou celle qui entendait s’en prévaloir.

Cela n’avait jamais suscité d’émotion.

Pourtant, le décret n° 2009-160 du 12 février 2009 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté et modifiant les procédures de saisie immobilière et de distribution du prix d’un immeuble, est venu bouleverser ce régime dans un article sibyllin, l’article 151 du décret disposant que :

À l’article 12, avant le nombre : « 18 », est inséré le nombre : « 13 ».

Ainsi, à compter du 1er mars 2019, date d’entrée en vigueur des dispositions dudit décret relatif à la saisie immobilière (art. 155, II, du décret), de façon très discrète, le non-respect du délai imposé par le dernier alinéa de l’article 13, devenu R. 321-1 du code des procédures civiles d’exécution allait désormais être sanctionné par la caducité du commandement (art. 12 modifié par le décr. du 12 févr. 2009, devenu l’art. R. 311-11 c. pr. exéc.).

Cette modification a, dans les premiers mois de l’entrée en vigueur du nouveau texte, entraîné quelques caducités…

Au-delà de cette métamorphose du texte, la jurisprudence en a rapidement fixé les contours.

Elle a tout d’abord jugé que cette exigence de dénonce ne s’appliquait qu’aux couples mariés et qu’elle ne s’étendait pas aux concubins (Civ. 2e, 30 avr. 2009, n° 08-12.105, D. 2009. 2255 , note A. Leborgne ; ibid. 2010. 1307, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2009. 258 ; RTD civ. 2009. 701, obs. J. Hauser ).

Ensuite, elle a précisé que cette dénonce ne s’analysait pas en un acte d’exécution forcée et qu’à ce titre elle pouvait être, en toute régularité, signifié par un clerc assermenté (Com. 7 juill. 2016, n° 14-18.766, D. 2016. 1279, obs. A. Leborgne ).

Enfin, elle avait jugé que la délivrance du commandement de payer valant saisie signifié le même jour à l’époux propriétaire et débiteur saisi et à son conjoint, se trouvait accomplie la formalité (dénonce) prévue par l’article R. 321-1 du code des procédures civiles d’exécution (Civ. 2e, 22 mars 2018, n° 17-10.106, AJDI 2018. 373 ).

Depuis lors, cet article n’avait plus fait l’objet d’interrogation jurisprudentielle et doctrinale ce qui rend l’arrêt commenté intéressant.

En effet, la Cour de cassation nous confirme ce que nous pensions déjà : l’époux non-propriétaire qui se voit dénoncer un commandement à l’occasion d’une procédure de saisie immobilière diligentée contre son conjoint propriétaire sur le bien qui constitue la résidence de la famille et est un bien propre de ce conjoint ne dispose que de ces yeux pour pleurer.

Les faits sont les suivants : à l’occasion d’une procédure de saisie immobilière portant sur un bien propre du débiteur et constituant la résidence de la famille, le créancier dénonce le commandement à l’époux non-propriétaire afin de ne pas encourir la redoutable caducité imposée par l’article R. 311-11.

En l’espèce, l’épouse non-propriétaire a élevé des contestations lors de l’audience d’orientation portant sur le montant de la créance du poursuivant, la prescription de cette créance et le droit au retrait litigieux.

Ayant été déclarée irrecevable en ces demandes, tant devant le juge de l’exécution que la cour d’appel, elle a formé un pourvoi.

La Cour de cassation rejette son pourvoi en retenant que l’objectif de la dénonciation du commandement valant saisie immobilière, prévue à l’article R. 321-1, alinéa 3, du code des procédures civiles d’exécution, étant uniquement d’informer le conjoint non-propriétaire de la saisie visant la résidence de la famille et celui-ci n’étant pas débiteur dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, il n’a pas qualité pour contester le montant de la créance du poursuivant, la prescription de cette créance ni pour invoquer à son profit le droit au retrait litigieux.

En résumé, c’est dénonce et tais-toi…