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Sociétés d’exercice libéral : première analyse de la réforme

Le projet de réforme de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 a été adressé au Conseil d’État. Première analyse.

Alors que les pouvoirs publics travaillent depuis 18 mois à un projet de réforme de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (v. déjà sur ce projet, P. Touzet, Structures d’exercice des professions libérales : la réforme est prête, Dalloz actualité, 13 avr. 2022), en concertation avec les représentants des professionnels libéraux, et en particulier avec le Conseil national des barreaux dont la commission « Statut professionnel de l’avocat » suit le projet de très près, les derniers arbitrages devaient encore être rendus, car plusieurs sujets posaient problème et avaient fait l’objet, entre la DGE, la DACS et le CNB, d’une longue réunion de travail le 9 septembre 2022. Ce n’est que quelques jours avant Noël que le texte a été adressé aux professions dans sa version finale, telle qu’adressée au Conseil d’État. Première analyse.

Les principes fondateurs

Les principes fondateurs n’ont pas varié tout au long de la concertation de ce texte.

La réforme se voulait tout d’abord à droit constant, mais comme on le verra, un certain nombre de modifications substantielles sont apportées au droit positif.

Il y avait ensuite un objectif d’universalité : ce sera désormais le texte de référence pour toutes les structures professionnelles : sociétés civiles professionnelles, sociétés en participation, sociétés d’exercice libéral, sociétés pluriprofessionnelles d’exercice, société de participations financières de professions libérales. Mais la disparition des sociétés de droit commun n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît. Certaines professions pourront, semble-t-il, continuer d’y accéder. Pour ceux qui ne le pourront plus, comme les avocats par exemple, le délai de mise en conformité, initialement de six mois, est désormais fixé à deux ans, par l’article 137 de l’ordonnance (ajoutons pour être complet, sur l’universalité, que les articles 42 et 43 de l’ordonnance sont respectivement consacrés à la société civile de moyens, et à la société coopérative.)

Enfin, la volonté de clarification juridique était l’un des objectifs majeurs de la réforme, puisque le rapport fondateur de ce texte, celui de Messieurs Lavenir et Scotté, signalait dès l’origine l’inintelligibilité de la loi du 31 décembre 1990. Sur ce point, des efforts importants ont été faits, mais l’objectif n’est pas tout à fait rempli malgré les propositions de la commission SPA du CNB.

La principale innovation : le livre 1er « Dispositions communes »

Cette première partie du texte doit se lire, en quelque sorte, comme l’article 1er « Définitions » d’un contrat. C’est d’ailleurs la méthode que la profession d’avocat avait proposée à la DGE pour alléger le texte parfois affligeant de lourdeur de la loi du 31 décembre 1991, et on ne peut que se féliciter que cette proposition ait été retenue.

Ce court chapitre comporte cinq articles, définissant cinq notions préexistantes mais non définies par la loi : les « professions libérales réglementées » (art. 1er), les « familles » de professions libérales (art. 2), le « professionnel exerçant » (art. 3), le « principe d’indépendance » (art. 4), et la « personne européenne » (art. 5). Ces définitions méritent à ce stade deux commentaires principaux.

Tout d’abord, concernant l’article 2, il n’y a pas d’innovation. Les trois familles précédentes subsistent. Les professions de santé sont définies dans la quatrième partie législative du code de la santé publique, mais les biologistes médicaux y sont expressément ajoutés dans la mesure où ils sont mentionnés non pas dans la quatrième partie relative aux professions de santé mais dans la sixième partie consacrée aux « établissements et services de santé ». Les professions juridiques ou judiciaires seront listées par décret. Enfin, les professions techniques et du cadre de vie sont définies comme « toutes les autres », c’est-à-dire celles ne figurant pas dans les deux autres familles. À ce stade, on ne sait pas, notamment, où se situeront les conseils en propriété intellectuelle, et il faudra attendre le décret.

Ensuite, l’article 3 est à la fois une avancée et une occasion manquée, d’autant plus que sa présence dans le projet final est due à l’initiative de la commission SPA du CNB, qui avait proposé, dès les premiers contacts avec la DGE, la création d’une nouvelle notion légale : celle d’APE, ou associé professionnel exerçant.

L’APE est le chaînon manquant, dans notre droit spécial des sociétés libérales, depuis 1990. Ce texte, en effet, ainsi que la loi Macron de 2015, évoque à de très nombreuses reprises la notion de « membre » de la société d’exercice, notion peu juridique. Le sujet était passé à l’époque un peu inaperçu, mais il est pourtant essentiel : les sociétés des professionnels libéraux réglementés (« PLR ») ont en effet une particularité qui leur est absolument exclusive : dans une société PLR, on peut exercer sa profession, au travers de la société, sans être ni mandataire social ni salarié, alors que dans une société de droit commun, ce sont les deux seules voies possibles.

Or la notion d’associé professionnel exerçant serait venue donner corps à cette situation exceptionnelle. Elle aurait permis de remplacer la notion de « membre » (qui n’est pas un terme usuel en droit des sociétés) dans l’ensemble des dispositions de la loi de 1990 et, accessoirement, d’appuyer solidement, au plan juridique, la distinction faite par le droit fiscal depuis les deux arrêts du Conseil d’État de 2013 et 2017, qui distinguent la rémunération du mandat social de la « rémunération technique », que reçoit un libéral, lorsqu’il exerce sa profession, étant précisé que désormais, depuis le 1er janvier 2023, la doctrine fiscale est conforme à cette jurisprudence, obligeant par conséquent les associés des SEL à procéder à des déclarations BNC, quels que soient leur statut et la forme de la société, à l’exception notable toutefois des gérants majoritaires de SELARL dont les rémunérations restent soumises aux dispositions de l’article 62 du code général des impôts (et qui devraient pouvoir ainsi toujours bénéficier de l’abattement des 10%, tout en étant éligibles à la déductibilité des cotisations dites « Madelin »).

Cette notion d’APE pourrait s’intégrer très harmonieusement dans l’article 7 de la loi du 31 décembre 1971, ce qui donnerait alors le texte suivant : « L’avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit au sein d’une association dont la responsabilité des membres peut être, dans des conditions définies par décret, limitée aux membres de l’association ayant accompli l’acte professionnel en cause, soit en tant qu’associé professionnel exerçant au sein d’entités dotées de la personnalité morale… etc. ». Elle aurait permis également de fonder une réforme de l’article 62 du code général des impôts pour permettre d’y assujettir l’ensemble des rémunérations d’exercice des professionnels libéraux.

Malheureusement, dans le projet d’ordonnance soumis au Conseil d’État, la DGE et la DACS n’ont retenu de la notion que ses deux derniers mots : « professionnel exerçant » et non « associé professionnel exerçant ».

Les explications données par les pouvoirs publics sur ce rejet partiel ne sont pas très claires, au contraire des conséquences négatives  : notamment, les collaborateurs libéraux entrent dans la notion de « professionnel exerçant », ce qui est très problématique, car cette rédaction conduisait à permettre, par exemple, la création d’une société pluriprofessionnelle d’exercice (SPE) exerçant la profession d’avocat, dès lors que cette société dispose – non pas d’un avocat associé – mais d’un simple collaborateur première année !

Le texte a été corrigé, avec la réapparition du mot « membre » comme dans la loi de 1990, alors que cette notion peu juridique avait été supprimée dans tout le texte (v. not. l’art. 45, définissant désormais les sociétés d’exercice libéral, ou l’article 99, définissant les SPE, qui prévoient que « ces sociétés ne peuvent exercer la profession qui constitue leur objet social que par l’intermédiaire d’un membre ayant qualité pour exercer cette profession »).

C’est donc une véritable occasion manquée d’adopter cette notion : l’ordonnance réformant la loi du 31 décembre 1990 est un texte de droit des sociétés, et la notion d’associé (et professionnel exerçant) est centrale, alors que le simple « professionnel exerçant », non associé, ne devrait pas avoir de place dans ce texte, dans lequel il ajoute finalement de la confusion, au lieu de participer à la clarification souhaitée.

À noter encore que le « Professionnel exerçant », au sens de l’article 3, est exclusivement une personne physique, et souffre d’une définition laborieuse : « […] le professionnel exerçant est une personne physique régulièrement inscrite au tableau, en France sur un répertoire ou sur liste [sic] à l’ordre professionnel ou auprès de l’autorité compétente ou de l’organe professionnel compétent pour sa profession, et qui réalise de façon indépendante des actes relevant de sa profession ou de son ministère. La seule réalisation d’actes de gestion ne saurait lui conférer la qualité de professionnel exerçant », cette dernière phrase ayant été ajoutée à la demande de certaines professions de santé, qui subissent des difficultés avec leurs actionnaires non professionnels.

Celle du Conseil national des barreaux était bien meilleure : qu’on en juge : « L’associé professionnel exerçant (APE) est un associé, titulaire ou non d’un mandat social au sein de la société d’exercice libéral ou de droit commun dont il est membre, et qui exerce sa profession, au travers de ladite société d’exercice, de façon indépendante et non subordonnée. »

Les SCP

La société civile professionnelle (SCP) est une structure en fin de vie. Première structure sociétaire d’exercice permise aux avocats, en 1966, elle souffre d’un cadre juridique bien trop rigide, et il n’existe plus, à fin 2022, qu’environ 170 SCP (pour 34 000 avocats) inscrites au tableau du barreau de Paris.

Avec la promulgation de l’ordonnance, la loi du 24 novembre 1966 sera abrogée, et remplacée par les articles 6 à 32 constituant le titre 1er du livre II de l’ordonnance « des sociétés civiles ».

La tentative de rénovation est globalement ratée. La profession d’avocat avait demandé que les personnes morales puissent devenir associées des SCP, pour faciliter les opérations de restructuration. Cette demande n’a pas été prise en compte. Le projet initial permettait la SCP unipersonnelle. L’ordonnance ne le permet plus même si les délais de régularisation ont été allongés, comme si on voulait...

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