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Solidarité des colocataires : naissance tardive de la créance

Le colocataire solidaire sortant ne saurait être condamné à verser une somme au bailleur au titre de la remise en état des lieux, dès lors que la créance de celui-ci est née après l’expiration de l’obligation solidaire.

par Yves Rouquetle 16 avril 2021

En dépit des nombreuses retouches qu’il a connues depuis son avènement en 2014, le régime de la colocation énoncé à l’article 8-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 reste perfectible.

C’est le constat qui s’impose à la lecture de l’arrêt de censure rapporté.

On rappellera qu’au sens de la loi de 1989, la colocation s’entend de la location d’un même logement par plusieurs locataires (hors location consentie exclusivement à des époux ou à des partenaires liés par un PACS au moment de la conclusion initiale du contrat), constituant leur résidence principale, et formalisée par la conclusion d’un contrat unique ou de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur.

Quant au régime de la solidarité opposable au colocataire sortant en cours de bail, il dépendra de l’arrivée concomitante ou non d’un nouveau colocataire.

En effet, si le colocataire sortant est remplacé par un nouvel arrivant figurant au bail, c’est à la date du congé régulièrement délivré que le colocataire qui cède sa place sera délié de tout engagement.

À l’inverse, faute de nouveau colocataire, l’ancien occupant va rester solidaire « au plus tard » (entendons par là, à moins d’une clause contractuelle plus avantageuse) à l’expiration d’un délai de six mois après la date d’effet du congé (comp. le régime de la solidarité opposable aux époux ou aux partenaires liés par un PACS, respectivement, des art. 220 et 515-4 C. civ. ; pour des ex. de colocataires restés solidaires des loyers et des charges pour six mois, v. Versailles, 5 oct. 2017, n° 17/00580, Rev. loyers 2017. 424, obs. S. B. ; Colmar, 16 avr. 2018, n° 16/01761, Loyers et copr. 2018, n° 168, obs. B. Vial-Pedroletti ; Paris, 13 sept. 2019, n° 17/06973, Rev. loyers 2019. 400, obs. S. Brena).

Au cas particulier, des copreneurs solidaires d’une maison d’habitation (un couple ni marié ni pacsé) s’étaient désunis en cours de bail et l’un d’entre eux avait délivré congé plus de huit mois avant que le second n’en fasse de même.

Au départ de ce dernier, un état des lieux de sortie avait été dressé laissant apparaître des dégradations.

Éprouvant des difficultés à recouvrer son dû, lequel concernait également un arriéré de loyers et de charges apparu lors de la régularisation, le bailleur a assigné les deux colocataires.

Le colocataire premier sorti réfutait être redevable de quelque somme que ce soit.

Ayant échoué à convaincre les juges du fond, il s’est pourvu en cassation.

Concernant les dégradations et l’arriéré de charges, il faisait valoir « que ne peuvent être mis à la charge du colocataire qui a donné congé la réparation de dégradations dont il n’est pas constaté qu’elles sont survenues avant la fin de la période de solidarité ». En l’occurrence, le délai de solidarité (de six mois à compter de la date d’effet du congé) était expiré au jour de l’état des lieux de sortie.

Si le juge d’appel a condamné le demandeur à payer une certaine somme arrêtée au jour de l’établissement de l’état des lieux, c’est au motif que la somme correspond à un prorata au jour où s’est achevée sa solidarité, du montant total, suffisamment justifié par un tableau récapitulatif de régularisation des charges et des devis des travaux de remise en état.

Cette solution est censurée par le juge du droit, pour lequel « la créance du bailleur au titre de la remise en état des lieux était née après l’expiration de l’obligation solidaire ».

En pratique, la solution tient certainement en une reddition de comptes à la sortie d’un colocataire (se montrant favorable à l’établissement d’un état des lieux intermédiaire, v. égal. A. Fontin, Veille permanente, Éditions Législatives, 15 avr. 2021). Cette solution a toutefois certainement ses limites, notamment concernant la question de la contribution aux charges, conditionnée, dans les immeubles collectifs, à l’arrêté des comptes définitif.

On retiendra également de cet arrêt qu’il précise que le dépôt de garantie a notamment pour objet de garantir le paiement du loyer.

C’est toutefois une évidence, puisqu’aux termes de l’article 22, alinéa 1er, de la loi de 1989, lorsqu’il existe, le dépôt de garantie a pour finalité de « garantir l’exécution de ses obligations locatives par le locataire ». Or la première obligation du locataire est de s’acquitter du loyer dû… Pour autant, bien entendu, l’imputation du montant du dépôt de garantie sur les derniers termes de loyer ne constitue pas, de la part du locataire sortant, une pratique acceptable (en ce sens, v. Civ. 3e, 5 oct. 1999, n° 98-10.162, AJDI 1999. 1164 ).