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La solidarité ménagère, une loi de police si peu protectrice des créanciers

En mariage, la solidarité ménagère est une loi de police. Si les deux époux résident en France, le juge doit donc l’appliquer, nonobstant la loi étrangère qui pourrait régir le mariage. Mais pour en bénéficier, le bailleur doit pouvoir prouver que le local a servi à l’entretien du ménage…

Un cadeau doux-amer, voilà ce que représente pour les créanciers l’arrêt que la première chambre civile a rendu le 12 juin 2024. Certes, elle y conforte l’autorité de la solidarité ménagère, à laquelle elle reconnaît le caractère de loi de police. Mais elle y exige une preuve si difficile d’accès que bien des créanciers peineront à en profiter – ce qui invite à repenser les fonctions du mécanisme.

S’étant mariés à l’étranger en juillet 1992, deux époux résidaient en France. Sans doute y avait-il de l’orage dans l’air : voilà qu’un jour l’épouse conclut, seule, un contrat de bail. Après plusieurs impayés, le contrat est résilié, puis le divorce est prononcé. La société bailleresse assigne alors la locataire et l’ex-conjoint en paiement des arriérés de loyers.

Celui-ci objecte. Il prétend n’être tenu de rien, d’abord car le mariage serait régi par une loi étrangère, ensuite car son épouse et lui auraient vécu séparés de fait lors des impayés. Rien n’y fait : il est condamné par la Cour d’appel de Fort-de-France le 10 mai 2022. Celle-ci, au motif que l’appelant ne démontre pas que la loi invoquée aboutirait à une solution différente, choisit d’appliquer le droit français. L’époux ne parvenant pas à établir l’antériorité de la séparation, elle répute alors que le bail a été « souscrit pour l’entretien du ménage, à défaut de preuve contraire » ; aussi les époux étaient-ils, selon elle, solidairement tenus des loyers.

L’ex-époux, qui se pourvoit en cassation. rappelle alors que la règle de conflit s’impose au juge, ce qui auraît dû empêcher la cour d’appel de refuser d’identifier la loi applicable. En outre, il affirme qu’un bailleur, pour bénéficier de la solidarité ménagère, doit prouver que le local a effectivement servi à l’entretien du ménage ; les juges auraient donc inversé la charge de la preuve en lui demandant de prouver la séparation de fait.

Après substitution de motifs, le premier moyen est rejeté par la Cour de cassation. Elle rappelle que « les lois de police obligent tous ceux qui habitent le territoire » (C. civ., art. 3), puis elle précise que, sauf convention internationale contraire, les « règles relatives aux devoirs et droits respectifs des époux énoncées par les articles 212 et suivants du code civil sont d’application territoriale ». En l’espèce, les deux époux résidaient en France au moment des impayés ; l’article 220 était donc bien applicable à la cause.

En revanche, le second moyen est accueilli. La Cour vise trois textes dont elle expose la teneur : les époux sont solidairement tenus des dettes contractées pour l’entretien du ménage (C. civ., art. 220, al. 1) ; ils sont cotitulaires du droit au bail du local servant à leur habitation (C. civ., art. 1751, al. 1) ; qui se prétend créancier d’une obligation doit la prouver (C. civ., art. 1353). La troisième de ces règles, en l’espèce, est la plus importante. Puisque la charge de la preuve pesait sur la société bailleresse, la Cour considère que celle-ci devait « établir que le local loué servait effectivement à l’habitation des deux époux ou, pour le moins, que le bail avait été souscrit pour l’entretien du ménage ». Aussi l’époux n’avait-il pas à prouver qu’il vivait ailleurs ; la cassation est prononcée pour inversion de la charge de la preuve.

Deux questions étaient posées, une de droit international privé, l’autre de droit national. Envisageons-les tour à tour.

La solidarité ménagère, une loi de police

Régimes matrimoniaux et droit international privé. En droit international, identifier la loi applicable au régime matrimonial n’est pas toujours aisé. Plusieurs règles de conflit s’étant succédé, la loi applicable dépend de la date de la célébration :

  • si le mariage est antérieur au 1er septembre 1992, il est soumis aux règles autrefois dégagées par la jurisprudence (sauf désignation expresse, le juge doit identifier la loi implicitement choisie par les époux – par principe celle du premier domicile)...

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