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Les sommes déductibles du versement par le FGTI

La Cour de cassation précise la portée de l’article R. 422-8 du code des assurances qui dispose que l’offre d’indemnisation des dommages résultant d’une atteinte à la personne faite à la victime d’un acte de terrorisme indique l’évaluation retenue par le FGTI pour chaque chef de préjudice et le montant des indemnités qui reviennent à la victime compte tenu des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice.

par Rodolphe Bigotle 27 mars 2019

En 2010, un préposé a réalisé à l’étranger une mission pour une société qui l’emploie. Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, cet employé a été victime, au Niger, d’un enlèvement et d’une séquestration perpétrés par un groupe terroriste. À sa libération, le 29 octobre 2013, son employeur lui a versé une somme de 200 000 €. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) a été saisi. Après avoir versé à la victime une première provision de 50 000 € à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices subis en tant qu’otage, le FGTI lui a annoncé le règlement d’une provision complémentaire de 500 000 €, dont serait toutefois déduite la somme de 200 000 € versée par son employeur. Recherchant une indemnisation non amputée, sous laquelle se cache l’objectif de réparation intégrale (v. dernièrement D. Noguéro, La réparation intégrale à l’épreuve de l’assurance, BJDA, 2019, n° 61), la victime a contesté cette décision et a, à cette fin, assigné le Fonds de garantie. En effet, « lorsque le montant proposé est contesté par la victime, celle-ci peut former un recours gracieux. Elle peut également porter le contentieux devant le tribunal de grande instance soit du lieu de commission de l’attentat, soit du lieu du siège social du FGTI (Créteil). Selon les données du Fonds, le nombre d’affaires (référés et/ou au fond) pendantes ou terminées devant une juridiction civile est de 36 en 2015, 4 en 2016 et aucune en 2017 (au 30 janvier 2018) » (Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, Communication à la commission des finances du Sénat, déc. 2018, p. 41).

À l’instar d’autres fonds tels que l’ONIAM, le FGTI déduit de l’offre d’indemnisation, primo, les prestations de l’article 29 de la loi Badinter relatif au recours des tiers payeurs, secundo, « les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice » par la victime. Les premières sont indemnitaires par détermination de la loi. Pour les secondes, le caractère indemnitaire doit être démontré.

En premier lieu, dans l’affaire commentée, le tribunal de grande instance a jugé que la somme de 200 000 € versée le 17 décembre 2013 par l’employeur n’avait pas vocation à être déduite de l’indemnisation qui lui est due par le FGTI en application des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances.

En deuxième lieu, la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement entrepris en estimant le caractère déductible de cette somme et en retenant à cette fin qu’elle était de nature « indemnitaire » (Paris, pôle 2, ch. 4, 6 juill. 2017).

En troisième lieu, par suite du pourvoi formé par la victime contre l’arrêt rendu par la cour d’appel, dans le litige l’opposant au FGTI, défendeur à la cassation, la deuxième chambre civile, dans son arrêt du 7 mars 2019, a censuré la décision, au visa des articles L. 126-1, L. 422-1 et R. 422-8 du code des assurances.

D’une part, l’article L. 126-1 du code des assurances, modifié par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006, dispose que « les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3. La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime ».

D’autre part, l’alinéa 1er de l’article L. 422-1 du code des assurances, modifié par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, énonce que, « pour l’application de l’article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne est assurée par l’intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions ». Les alinéas suivants de cet article organisent le financement du fonds par un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens ainsi que les conditions du prélèvement sur les primes ou cotisations de ces contrats d’assurance (v. A. Cayol et R. Bigot, « L’influence du terrorisme sur le droit des assurances », in Terrorisme et droit des assurances. Colloque du 23 mars 2018, UFR Droit & Sciences politiques de Caen, à paraître).

Enfin, l’article R. 422-8 du code des assurances, modifié par le décret n° 2004-176 du 17 février 2004, prévoit que « l’offre d’indemnisation des dommages résultant d’une atteinte à la personne faite à la victime d’un acte de terrorisme indique l’évaluation retenue par le Fonds pour chaque chef de préjudice et le montant des indemnités qui reviennent à la victime compte tenu des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice. Elle est accompagnée, le cas échéant, de la copie des décomptes produits par les personnes ou organismes débiteurs de ces prestations ou indemnités. Elle comporte les mentions prévues par l’article L. 211-16 ».

Ce sont les dispositions de ce dernier texte réglementaire que reprend in extenso la Cour de cassation dans l’attendu liminaire de l’arrêt rendu le 7 mars 2019. Elle y martèle ainsi le principe, dans ce chapeau qui coiffe l’arrêt, selon lequel « l’offre d’indemnisation des dommages résultant d’une atteinte à la personne faite à la victime d’un acte de terrorisme indique l’évaluation retenue par le Fonds pour chaque chef de préjudice et le montant des indemnités qui reviennent à la victime compte tenu des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice ».

À cet effet, le demandeur a invoqué, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation, qui a emporté la conviction des magistrats de la haute juridiction. Avant de casser et annuler, en toutes ses dispositions, l’arrêt du 6 juillet 2017, la Cour de cassation a préalablement relevé que, pour infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la somme de 200 000 € versée par l’employeur à la victime n’avait pas vocation à être déduite de l’indemnisation due par le FGTI, l’arrêt d’appel retient que, dans deux lettres des 17 décembre 2013 et 22 août 2014 qu’il avait adressées respectivement à la victime et au FGTI, l’employeur indiquait que, par un « geste spontané », il avait accordé à son salarié, en sus de ses salaires et indemnités d’expatriation, cette somme « en réparation des conséquences de sa captivité pour lui et sa famille » et que le FGTI est fondé à soutenir qu’elle a été versée par l’employeur en réparation du dommage subi par l’employé du fait de sa rétention par un groupe terroriste pendant 1 139 jours, rétention survenue dans le cadre de son emploi salarié.

Or, selon la Cour de cassation, en se déterminant ainsi, autrement dit en ne précisant pas à quel titre l’employeur, dont l’intention libérale était alléguée, se trouvait tenu de verser la somme litigieuse à son salarié, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Un rapport récent de la Cour des comptes rappelle que « le système français d’indemnisation des personnes victimes d’un acte terroriste repose sur le principe de la réparation intégrale des préjudices subis, pour ce qui concerne les atteintes à la personne. Il s’agit d’indemniser tout le dommage, rien que le dommage » (Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, préc., p. 41). La doctrine précise que « le guide pour l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, assurant la transparence des process, exigée par la contractualisation des missions du Fonds de garantie, reprend la nomenclature Dintilhac » (v. Lamy Droit de la responsabilité,  L’indemnisation des victimes du terrorisme, par C. Quézel-Ambrunaz, n° 384-47).

Dès lors, pour les victimes directes, en d’autres termes celles ayant subi personnellement le dommage et vécu les faits, le FGTI indemnise « les préjudices patrimoniaux, c’est-à-dire à caractère financier, et les préjudices extrapatrimoniaux, c’est-à-dire à caractère non économique. Dans les deux cas, le Fonds distingue, d’une part, les préjudices temporaires, subis entre l’acte terroriste et la date de consolidation de l’état de la victime, et, d’autre part, les préjudices permanents, subis à compter de la date de consolidation. Le Fonds utilise aujourd’hui la nomenclature Dintilhac, qui liste les préjudices qui peuvent avoir été subis. Pour chacun des postes de préjudice, le FGTI détermine une offre en fonction des justificatifs fournis et le cas échéant de l’expertise médicale » (Cour des comptes, rapport préc., p. 44).

Néanmoins, les prestations servies par le Fonds « sont de nature indemnitaire : il est donc exclu qu’elles se cumulent avec d’autres sommes ayant pour but de réparer le même préjudice. Par conséquent, sont déduites les sommes versées par les organismes sociaux » (C. Quézel-Ambrunaz, préc., n° 384-45) de même que les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice. Il convient donc que toute somme versée à la victime par un débiteur autre que le FGTI ait également cette nature indemnitaire pour que le Fonds de garantie puisse la déduire du règlement provisionnel ou définitif. En l’absence de précision, le FGTI ne pourra déduire une somme dépourvue de qualification indemnitaire.