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Le sort de la portabilité prévoyance en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise

Les anciens salariés d’un employeur placé en liquidation judiciaire bénéficient du droit à la portabilité prévoyance et santé lorsque les conditions de l’article L. 911-8 du code de la sécurité sociale sont respectées. Toutefois, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié.

par Wolfgang Fraissele 22 novembre 2017

La Cour de cassation a été saisie d’une série de cinq demandes d’avis par le tribunal de grande instance de Strasbourg pour répondre à une question formulée en des termes similaires : « Les dispositions de l’article L. 911-8 du code de la sécurité sociale sont-elles applicables aux anciens salariés licenciés d’un employeur en liquidation judiciaire ? ». Cette interrogation est d’importance dans la mesure où elle ne se limite pas aux salariés licenciés postérieurement au placement en liquidation judiciaire de l’employeur mais elle recouvre également les anciens salariés licenciés dont l’employeur a été placé en liquidation judiciaire, quelle que soit l’époque du licenciement. De plus, comme le souligne très justement le rapport de Mme Touati, cette question peut se poser dans de nombreux litiges au regard du nombre des défaillances d’entreprises : 18 370 redressements judiciaires et 43 178 liquidations judiciaires directes enregistrés sur l’année 2015 (Cour de cassation, Rapport Mme Touati, p. 11 citant l’étude Deloitte Altares mentionnée par le Lamy droit commercial 2017 « statistiques », n° 2511).

Ces avis prononcés en formation mixte et voués à la plus large publication permettent de répondre à une question qui n’a jamais été posée en des termes clairs. D’ailleurs, le professeur Patrick Morvan dans son ouvrage Droit de la protection sociale a écrit : « un point n’a pas été réglé : si l’entreprise est en liquidation judiciaire, qui finance la portabilité au profit des salariés licenciés ? Celle-ci survit-elle dès lors que l’entreprise disparaît et que le contrat d’assurance de groupe a été résilié ? » (P. Morvan, Droit de la protection sociale, 8e éd., LexisNexis, p. 939, n° 1101). L’article L. 911-8 du code de la sécurité sociale n’est pas d’un grand secours. Ce texte précise seulement que le bénéfice du maintien des garanties est expressément réservé aux salariés qui ont ouvert des droits chez leur dernier employeur dont la cessation du contrat de travail n’est pas consécutive à une faute lourde et ouvre droit à prise en charge par le régime d’assurance chômage. Conscient de cette carence, le législateur avait prévu que le gouvernement remette au parlement un rapport devant répondre à cette difficulté. Toutefois, ce rapport n’a jamais été établi.

Les juridictions ont dès lors été amenées à se prononcer avec un risque manifeste de divergences interprétatives. C’est ainsi que certaines juridictions du fond ont condamné les organismes assureurs à maintenir leurs garanties aux salariés licenciés (Lyon, 24 janv. 2017, n° 15/06017) alors que d’autres ont au contraire considéré que cette obligation n’était pas applicable (Paris, 13 sept. 2016, n° 15/17810 ; 14 nov. 2016, n° 16/08749). Si l’on s’en tient à la méthode téléologique d’interprétation de la loi développée par le doyen Carbonnier consistant à s’attacher à la formulation littérale dans le prisme du but social poursuivi lors de l’élaboration du texte (Droit civil. Introduction. Théorie générale du droit civil, vol. I, PUF, 2004, nos 154 à 157), rien ne permet d’opérer une distinction entre les salariés des entreprises in bonis et ceux des entreprises placées en liquidation judiciaire. Aussi, selon la méthode exégétique qui consiste à aller au-delà de la simple lecture littérale et grammaticale du texte afin de rechercher la ratio legis telle qu’elle résulte des travaux préparatoires, rien ne permet non plus d’exclure certaines catégories de salariés. Le but social de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ayant institué ce dispositif est d’étendre la protection sociale complémentaire à tous les salariés y compris ceux privés involontairement d’emploi (en ce sens v. not. Dr. soc. 2013. 895, obs. G. Briens ; ibid. 901, obs. V. Roulet ; ibid. 2014. 165, obs. M. Del Sol ; RDSS 2016. 11, obs. M. Borgetto ). Dès lors, cette logique de généralisation assurantielle amène la Cour de cassation à n’opérer aucune distinction entre les salariés d’employeurs in bonis et ceux dont les employeurs font l’objet d’une liquidation judiciaire. Il n’y a en effet, selon la Cour de cassation, aucune exclusion de principe.

Toutefois, elle relève, à l’appui du paragraphe 3 de l’article L. 911-8 du code de la sécurité sociale que les garanties maintenues sont celles en vigueur dans l’entreprise. Par conséquent, le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié. Ainsi, par cette décision, la chambre sociale adopte la même position que la chambre commerciale qui avait considéré au visa de l’article L. 621-28, alinéa 4, du code de commerce que les relations entre une institution de prévoyance et l’entreprise adhérente sont, en cas de procédure collective de celle-ci, soumises au régime général des contrats. Il en résulte que le défaut de paiement des cotisations antérieures au jugement d’ouverture n’a pas pour effet de priver les membres participants de l’entreprise adhérente de tout droit aux garanties collectives complémentaires (Com. 28 juin 2011, Bull. Joly 2011. 1001, obs. Kessler ; RJS 11/2011, n° 904 ; JCP 2011. 1670, obs. Petel ; Rev. proc. coll. 2011. 8, obs. Petit). Dans le même sens, la première chambre civile a jugé que si l’assurance subsiste en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l’assureur conserve le droit de résilier le contrat pendant un délai de trois mois à compter de la date de jugement de redressement ou de liquidation judiciaire (Civ. 1re, 1er avr. 2003, n° 99-21.362, Bull. civ. I, n° 90 ; D. 2003. 1165, obs. A. Lienhard ).

En conclusion, la réponse en deux temps, opérée par la Cour de cassation dans les présents avis permet d’une part, de confirmer le maintien de la prévoyance en cas de procédure collective notamment de liquidation judiciaire puisqu’elle n’entraîne pas nécessairement la disparition de l’entreprise et, d’autre part, de réserver au profit des institutions de prévoyance la possibilité de résilier le contrat pendant un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure.