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Sort des actes accomplis au nom de la société en formation : une salutaire évolution de la jurisprudence

Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, lesquels sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société. En présence d’un acte dans lequel il n’est pas expressément mentionné qu’il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas qu’il soit conclu au nom ou pour le compte de la société.

1.- Thémis a peut-être les yeux bandés, mais elle n’est pas sourde. À tout le moins, doit-on relever que la chambre commerciale de la Cour de cassation n’est pas restée insensible aux observations souvent critiques qu’a suscitées sa jurisprudence concernant le régime des actes accomplis au nom ou pour le compte ou encore au nom et pour le compte d’une société en formation.

Quatre arrêts viennent d’être rendus le même jour, qui, selon la belle méthode de la motivation enrichie, explicitent les raisons de cette évolution et en fixent le cadre précis. Le présent commentaire concerne l’arrêt rendu sur le pourvoi n° 22-12.865.

Était en cause un bail conclu alors qu’une société (par actions) Bypa était « en cours d’identification au SIREN ». L’acte avait été signé par les bailleurs et ses deux (seuls) associés, M. M. et une société CDV (cette dernière régulièrement immatriculée) « en leur qualité de représentants de la société Bypa ». Par suite de dissensions entre les associés, une action en nullité du bail a été portée par l’un d’eux, demande à laquelle les bailleurs se sont joints.

2.- Estimant que le bail avait été conclu par la société, et non « au nom de la société en formation », alors que celle-ci n’était pas encore constituée, la cour d’appel avait prononcé la nullité de l’acte pour avoir été conclu par une société dépourvue de toute personnalité morale, cette dernière devenant, après son immatriculation, occupant sans droit ni titre.

C’était là faire une scrupuleuse application de la solution retenue de longue date par la Cour de cassation.

3.- Le pourvoi est porté par l’autre associé et par la société enfin immatriculée.

Au regard de l’amplitude du courant jurisprudentiel contraire (dont fait état l’arrêt commenté) et de la permanence de la solution jusqu’ici retenue, il aurait été aventureux de parier sur le destin de ce pourvoi. Et, pourtant, une cassation va être prononcée par la chambre commerciale pour défaut de base légale.

4.- Le raisonnement conduisant à la censure est construit en deux temps.

D’abord, est mis en avant l’impératif fondamental de sécurité juridique, pour justifier l’abandon de la solution antérieure. Ensuite, explicitant les modalités de mise en œuvre de la nouvelle approche, la Cour de cassation invite les juges du fond à apprécier souverainement si l’intention des parties, celle des « fondateurs » comme celle du cocontractant, était, ou non, que l’acte soit conclu au nom et/ou pour le compte de la société non encore immatriculée.

L’impératif de sécurité juridique

5.- La première partie de l’arrêt est avant tout pédagogique. Il s’agit de rappeler la teneur de la jurisprudence antérieure et d’expliquer en quoi une évolution est souhaitable.

6.- La position de la Cour de cassation étant bien connue, il n’est sans doute pas utile de gloser outre mesure.

Au risque d’une simplification excessive, elle peut être synthétisée de la façon suivante, en deux volets.

En premier lieu, la Cour de cassation estimait que seuls pouvaient être repris par une société après son immatriculation les actes accomplis au nom ou pour le compte, voire au nom et pour le compte d’une société en formation. Toute autre formule, singulièrement celle indiquant que l’acte était conclu par la société en cours d’immatriculation, représentée par tel ou tel de ses associés ou dirigeant, interdisait toute possibilité de reprise. D’une certaine façon, avait été imposé le respect d’une formule sacramentelle à défaut de laquelle la reprise n’était pas admise. Et encore faut-il rappeler qu’il s’agissait là d’une condition nécessaire, mais pas suffisante pour permettre le rattachement de l’acte à la personne morale immatriculée, la reprise ne pouvant être opérée que selon l’une des trois modalités prévues par les textes (C. com., art. R. 210-6 ; Décr. n° 78-704 du 3 juill. 1978, art. 6, al. 4).

En second lieu, malheur à qui n’avait pas respecté cette première exigence formelle. La sanction était terrible et irrémédiable : une nullité absolue, non susceptible de confirmation ou de ratification par des actes d’exécution intervenus postérieurement à l’immatriculation de la société.

7.- Pourtant, c’était bien le souci de sécurité juridique qui guidait l’analyse retenue jusqu’ici. L’arrêt l’explique fort bien. La rigueur exigée visait à assurer la protection tant du cocontractant, qui doit savoir qu’il va peut-être se lier avec une société, que la personne ayant...

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