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La soumission de l’action récursoire du vendeur final contre son fournisseur à la Convention de Vienne

L’action récursoire du vendeur final contre un vendeur antérieur relève des dispositions de la convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980.

par Jean-Denis Pellierle 22 février 2021

Si l’on se focalise bien souvent sur la garantie que doit le vendeur professionnel au consommateur, il ne faut pas négliger pour autant les suites de la mise en œuvre de cette garantie. On prêtera donc une certaine attention à l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 3 février 2021. En l’espèce, une société italienne, ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de carrelage, a vendu le 18 avril 2003 des produits à une société française, laquelle les a revendus le 9 mai 2003 en France à un couple. Soutenant que le carrelage présentait des microrayures, les acheteurs ont assigné en indemnisation de leur préjudice leur vendeur, qui a appelé en garantie la société italienne. La cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 13 mars 2018 (rendu sur renvoi après cassation ; v. Com. 2 nov. 2016, n° 14-22.114, D. 2017. 613, obs. C. Witz et B. Köhler ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2017. 404, note O. Boskovic ), a déclaré l’action du vendeur recevable et a condamné le fournisseur à le garantir, en retenant, en premier lieu, que l’action récursoire du vendeur final contre son propre vendeur trouve sa cause non dans le défaut de conformité lui-même mais dans l’action engagée contre ce vendeur final par le consommateur et, en second lieu, que la convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (CVIM) régit les relations contractuelles entre vendeur et acheteur et ne s’applique pas à un tel recours. En conséquence, il n’y avait pas lieu d’appliquer l’article 39 de cette convention prévoyant une déchéance du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité si l’acheteur ne le dénonce pas au plus tard dans le délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises. La société italienne se pourvut donc en cassation, contestant à la fois la recevabilité de l’action du vendeur et l’inapplicabilité des dispositions de la CVIM.

Sur le premier point, la Cour de cassation considère que l’action du vendeur était bel et bien recevable. Pour parvenir à ce résultat, elle rappelle tout d’abord qu’« aux termes de l’article 4 de la directive n° 1999/44/CE du Parlement et du Conseil du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, lorsque la responsabilité du vendeur final est engagée vis-à-vis du consommateur en vertu d’un défaut de conformité qui résulte d’un acte ou d’une omission du producteur, d’un vendeur antérieur placé dans la même chaîne contractuelle ou de tout autre intermédiaire, le vendeur final a le droit de se retourner contre le ou les responsable(s) appartenant à la chaîne contractuelle. Le droit national détermine le ou les responsable(s) contre qui le vendeur final peut se retourner, ainsi que les actions et les conditions d’exercice pertinentes » (pt 5). Elle en conclut qu’« ayant constaté que, par un jugement du 29 septembre 2009, la société B… avait été condamnée à réparer le préjudice subi par M. et Mme L… du fait du défaut de conformité du carrelage qu’elle leur avait vendu, puis retenu que la société CMC était un vendeur antérieur dans la chaîne contractuelle, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action récursoire de la société B…, vendeur final, contre la société CMC, son fournisseur, était recevable » (pt 6).

Le raisonnement est irréprochable en ce qu’il repose sur une application parfaitement orthodoxe des dispositions de la directive du 25 mai 1999 (qui sera bientôt remplacée par la directive 2019/771 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens ; v. à ce sujet C. Aubert de Vincelles, Nouvelle directive sur la conformité dans la vente entre professionnel et consommateur. À propos de la directive 2019/771/UE du 20 mai 2019, JCP 2019. 758 ; S. Bernheim-Desvaux, De nouvelles règles contractuelles en matière de conformité seront applicables à compter du 1er janvier 2022 !, CCC juill. 2019, comm. 130 ; J. Julien, Garantie de conformité : la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 est abrogée et remplacée par la directive 2019/771/UE du 20 mai 2019, RDC n° 2019/3, p. 85). On rappellera que ces dispositions ont été transposées en France par l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur, l’article L. 217-14 du code de la consommation prévoyant à cet égard que « l’action récursoire peut être exercée par le vendeur final à l’encontre des vendeurs ou intermédiaires successifs et du producteur du bien meuble corporel, selon les principes du code civil » (pour une critique de la transposition de cette règle au sein du code de la consommation, dans la mesure où « elle ne concerne en rien le consommateur », v. N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, Les contrats de consommation. Règles communes, 2e éd., LGDJ, coll. « Traité de droit civil », 2018, n° 1028).

Toujours sur le terrain de la recevabilité, la société italienne fait encore grief à l’arrêt attaqué de ne pas s’être référé à la loi désignée par les règles de conflit faute d’avoir recherché si selon la loi italienne, le vendeur professionnel pouvait se retourner contre le fabricant sur le fondement du droit de la consommation italien. Mais l’argument est également évincé par la haute juridiction, considérant à juste titre qu’« ayant écarté l’application des dispositions du code civil italien comme non pertinentes, dès lors qu’était en cause l’action récursoire du vendeur final contre un vendeur antérieur, puis retenu que l’article 131 du code italien de la consommation permettait au vendeur final reconnu responsable vis-à-vis du consommateur en raison d’un défaut de conformité d’exercer un recours contre tout sujet responsable faisant partie de la même chaîne distributive que lui, la cour d’appel a, par là même, effectué la recherche prétendument omise » (pt 9).

Sur le second point, en revanche, les hauts magistrats censurent la décision des juges poitevins au visa de l’article 39 de la CVIM : ils rappellent tout d’abord que, « selon ce texte, l’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au plus tard dans le délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises » (pt 12) et ils en déduisent ensuite qu’en écartant ces dispositions « la cour d’appel a violé, par refus d’application, le texte susvisé » (pt 14). L’action récursoire du vendeur final à l’encontre de son fournisseur est donc soumise aux dispositions de la Convention de Vienne, tel est l’enseignement majeur de l’arrêt sous commentaire. Dès lors que cette Convention avait vocation à s’appliquer, la sanction de la déchéance du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité au bout de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises ont été effectivement remises, aussi drastique soit-elle, était encourue, dans la mesure où la livraison des carrelages litigieux était intervenue le 18 avril 2003 et que le vendeur final avait dénoncé le prétendu défaut de conformité auprès de son fournisseur le 1er mars 2006.

Là encore, le raisonnement ayant conduit à cette solution mérite l’approbation : il est certes traditionnellement admis que l’action récursoire du vendeur final est fondée sur la subrogation, désormais régie, en France, par les articles 1346 et suivants du code civil (v. en ce sens A.-S. Choné-Grimaldi, in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 551.62 ; N. Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, op. cit., n° 1028). Mais celle-ci, aux termes de l’alinéa 1er de l’article 1346-4 du code civil, « transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier » (sur les limites de cet effet translatif, v. P. Delebecque, « Les limites de la subrogation personnelle », in Mélanges en l’honneur de Jacques Mestre, LGDJ, 2019, p. 361). Or on peut considérer que les droits découlant de la qualité de consommateur sont exclusivement attachés à la personne du créancier. Il est donc logique que la CVIM retrouve son empire dans le cadre de l’action récursoire du vendeur final à l’encontre de son fournisseur.