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La soumission de l’hypothèque (pour autrui) à la prescription trentenaire de l’article 2227 du code civil

La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire pour les actions réelles immobilières.

par Jean-Denis Pellierle 16 juin 2021

L’hypothèque pour autrui est-elle soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil ou à la prescription trentenaire de l’article 2227 du même code ? C’est à cette intéressante question qu’a dû répondre la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021. En l’espèce, par un acte du 15 avril 1988, une banque a consenti à une société une ouverture de crédit. Par un acte notarié du 16 février 1993, M. et Mme B. se sont rendus « cautions en garantie de paiement des sommes dues par l’emprunteur à la banque » et ont consenti à cette dernière une garantie hypothécaire sur un ensemble de biens immobiliers leur appartenant, qu’ils ont renouvelée le 27 janvier 1995. Après la mise en redressement judiciaire de la société débitrice, les garants ont, par un acte du 12 novembre 2014, assigné la banque en invoquant « l’extinction des hypothèques ». La cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 18 décembre 2019, a accueilli leur demande, en conséquence de l’extinction, par prescription, de l’engagement des « cautions ». Les magistrats montpellierains, pour déclarer prescrites les hypothèques litigieuses et ordonner leur radiation, relèvent que la banque n’avait entrepris aucune action à l’égard des « cautions » avant le 19 juin 2013, terme du délai pour agir contre elles en conséquence de la survenance de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. La banque se pourvut donc en cassation, à juste raison, puisque l’arrêt est censuré au visa des articles 2011, devenu 2288, 2114, devenu 2393, 2180, devenu 2488, et 2227 du code civil : la Cour régulatrice considère tout d’abord qu’« Il résulte de ces textes que, la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire, prévue par le dernier texte pour les actions réelles immobilières, et non à la prescription quinquennale de droit commun prévue par l’article 2224 du code civil pour les actions personnelles ou mobilières » (pt 4). Elle en conclue qu’« En statuant ainsi, alors qu’ayant relevé que R. et K. B. s’étaient rendus cautions « simplement hypothécaires » de l’emprunteur, de sorte que l’affectation de leurs biens en garantie de la dette d’autrui avait la nature d’une sûreté réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 6).

La solution est tout à fait justifiée : les hauts magistrats n’ont fait que tirer une conséquence de plus de la célèbre affirmation issue de l’arrêt rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation le 2 décembre 2005 (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210 : « Mais attendu qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas, la cour d’appel a exactement retenu que l’article 1415 du code civil n’était pas applicable au nantissement donné par M. X. », D. 2006. 729 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais ). Dès lors que l’hypothèque pour autrui ne renferme aucun engagement personnel du garant (la loi emploie cependant parfois, curieusement, l’expression de « caution hypothécaire » ; v. C. rur., art. L. 322-20 et CCH, art. L. 212-7, L. 213-8 et R. 202-8), il est logique que la sûreté soit soumise à la prescription trentenaire de l’article 2227 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, ce texte disposant que « Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (la solution n’est pas sans rappeler le mécanisme de l’usucapio libertatis, applicable au tiers détenteur en vertu de l’art. 2488, 4°, al. 3 c. civ ; v. à ce sujet, P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, n° 571). La généralité de la formule ne laisse en effet aucun doute quant à l’inclusion, en son sein, des droits réels accessoires (pour une contestation de cette qualification, v. C. Gijsbers, Sûretés réelles et droit des biens, préf. M. Grimaldi, Économica, 2015), qu’ils soient d’ailleurs constitués pour soi-même ou pour autrui (V. Rapport Béteille, n° 83, p. 40). Il est donc heureux que la chambre commerciale l’affirme clairement dans le présent arrêt (comp. Com. 1er juill. 2020, n° 18-24.979, D. 2020. 1457 ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; Rev. prat. rec. 2020. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD com. 2020. 945, obs. A. Martin-Serf ; LEDIU nov. 2020, n° 113s2, p. 6, obs. J.-D. Pellier : « Le créancier, qui n’était pas empêché d’agir contre le garant hypothécaire pendant le cours de la liquidation judiciaire, ne s’est vu privé d’aucun droit par le jugement de clôture pour insuffisance d’actif qui a seulement eu pour effet à son égard, et dès son prononcé, de mettre fin à l’interruption du délai de prescription et de faire courir un nouveau délai de prescription de cinq ans »).

L’imminente réforme du droit des sûretés n’y changera rien puisque la qualification de sûreté réelle pour autrui sera très certainement maintenue en dépit de l’application d’un certain nombre de règles relatives au cautionnement (l’art. 2325 de l’avant-projet d’ordonnance de la Chancellerie, dévoilé le 18 déc. 2020, prévoit en effet que « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2300, 2302 à 2306, 2311 à 2316 et 2319 sont alors applicables »).

La solution vaut d’ailleurs pour les autres sûretés immobilières reposant sur un droit de préférence, c’est-à-dire les privilèges immobiliers (qui seront toutefois bientôt transformés en hypothèques légales à la faveur de l’imminente réforme du droit des suretés), ainsi que le gage immobilier (ex-antichrèse) et peut-être même pour les propriétés-sûretés, à savoir la fiducie-sûreté immobilière et la réserve de propriété immobilière (sur les mérites de cette dernière, v. L. Andreu, Les attraits de la clause de réserve de propriété immobilière, JCP N mars 2016. 1105), encore qu’un doute puisse être nourri à cet égard du fait de l’imprescriptibilité du droit de propriété proclamée par l’article 2227 in limine (mais l’action en revendication n’est peut-être pas, elle, imprescriptible. Sur cette discussion, b. J.-L. Bergel, S. Cimamonti, J.-M. Roux et L. Tranchant, Les biens. Traité de droit civil, dir. J. Ghestin, 3e éd., LGDJ, 2019, n° 105. V. cep., Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-13.120, au sujet de l’action en expulsion : « l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, fondée sur le droit de propriété, constitue une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription ». V. égal. en ce sens, Civ. 3e, 25 mars 2021, n° 20-10.947, D. 2021. 695 ; ibid. 1048, obs. N. Damas ; RDI 2021. 348, obs. J.-L. Bergel ; v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Retour sur la nature de l’expulsion, LPA 4 févr. 2021, p. 12).

Quoi qu’il en soit, l’on observera que l’hypothèse dans laquelle la prescription trentenaire pourrait jouer est probablement d’école et ce, en raison de la vocation de la sûreté réelle à s’éteindre consécutivement à la prescription de la créance garantie du fait de son caractère accessoire (rappr. Rép. civ., Prescription extinctive, par A. Hontebeyrie, n° 88 : « la prescription trentenaire est ici essentiellement théorique car, du fait de leur caractère accessoire, ces droits réels s’éteignent en même temps que les créances qu’ils garantissent (C. civ., art. 2488) »), réserve faite des sûretés rechargeables (Civ. 3e, 12 mai 2021, n° 19-16.514 et 19-16.515, note J.-D. Pellier à paraître au Recueil ; JCP 2021. Doctr. 623, n° 12, obs. G. Loiseau ; M. Mignot, RLDC, à paraître : « la prescription, qu’elle concerne l’obligation principale ou l’action en paiement emporte, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque ou du privilège »). Il y a en effet de fortes chances pour que la créance soit prescrite bien avant l’écoulement du délai de trente ans, surtout eu égard au délai vicennal de l’article 2232 du code civil (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Retour sur le délai butoir de l’article 2232 du code civil, D. 2018. 2148 ), qui n’est toutefois « pas applicable à une situation où le droit est né avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 » (Civ. 3e, 1er oct. 2020, n° 19-16.986, D. 2020. 2157 , note P.-Y. Gautier ; ibid. 2154, avis P. Brun ; ibid. 2021. 186, point de vue L. Andreu ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; JCP 2020. 1168, note J.-D. Pellier) et qui est au demeurant exclu dans un certain nombre de cas (C. civ., art. 2232, al. 2). Cette prescription devrait pouvoir être invoquée par le tiers constituant (ainsi que d’ailleurs que par le tiers détenteur), en vertu de l’article 2253 du code civil, qui dispose que « Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce » (comp. en matière de cautionnement, Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, ob. J.-D. Pellier : la première chambre civile ayant considéré qu’une « cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution » ; D. 2020. 523 , note M. Nicolle ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et U. Schreiber ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers . V. égal., s’agissant du tiers détenteur, Civ. 2e, 19 févr. 2015, n° 13-27.691 : « en application de l’article 2463 du code civil, le tiers détenteur qui ne remplit pas les formalités pour purger sa propriété est tenu, ou de payer, ou de délaisser l’immeuble ; qu’ayant relevé que M. X. était recherché en sa qualité de tiers détenteur du bien immobilier, débiteur du droit de suite, la cour d’appel a retenu à bon droit qu’il n’était pas fondé à se prévaloir de la prescription de la créance principale à l’appui de sa demande de mainlevée du commandement de payer valant saisie », D. 2015. 964 , note P. Théry ; ibid. 1339, obs. A. Leborgne ; ibid. 1810, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2015. 652, obs. W. Dross . V. égal. Civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 11-25.615. Ces solutions seront fort heureusement, cette fois-ci, remises en cause par la réforme du droit des sûretés ; v. art. 2298 et 2454, al. 2, de l’avant-projet d’ordonnance préc.).