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Souscription implicite d’une assurance pour compte : la Cour de cassation persiste et signe

Il résulte de l’article L. 112-1 du code des assurances que, si elle ne se présume pas, l’assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties.

par Rodolphe Bigotle 27 juillet 2020

Depuis novembre 2000, un père de famille était copropriétaire indivis, avec ses deux enfants, d’une parcelle de terrain constituée d’une ancienne carrière inexploitée. Il avait souscrit auprès d’un assureur (Filia Maif) un contrat d’assurance portant sur cette parcelle de terrain. S’y sont produits des éboulements successifs les 12 janvier 2013 et 14 février 2014. Les propriétaires d’une parcelle voisine, située en contrebas, ont obtenu en référé la désignation d’un expert. Le premier copropriétaire étant décédé le 6 février 2015 et ses enfants ayant renoncé à sa succession, le directeur régional des finances publiques a été désigné en qualité de curateur à succession vacante. L’expert a déposé son rapport. Il a conclu qu’il se produirait d’autres éboulements venant empiéter sur la propriété voisine. Il a donc préconisé d’importants travaux confortatifs. Les voisines ont alors assigné en référé les enfants du de cujus aux fins, notamment, de les voir condamnés à exécuter sous astreinte les travaux préconisés par l’expert. L’un des deux enfants a appelé en garantie l’assureur et attrait dans la cause le directeur régional des finances publiques, ès qualités. L’affaire a été renvoyée pour qu’il soit jugé au fond.

La cour d’appel de Rennes a condamné in solidum les enfants copropriétaires et le directeur régional des finances publiques, ès qualités, à faire réaliser des travaux de confortation tels que préconisés par l’expert et fixés par lui à la somme de 210 000 €. La juridiction du fond a débouté les enfants de leurs demandes tendant à être garantis à ce titre par la société d’assurances (Rennes, 18 sept. 2018). Ils ont alors formé un pourvoi en cassation, dont seul le troisième moyen nous intéresse, au cas présent, quant aux aspects assurantiels.

À ce titre, les demandeurs au pourvoi ont soutenu que, « si elle ne se présume pas, l’assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que Jean S… avait fait assurer l’intégralité du terrain litigieux auprès de la société Filia Maif indépendamment de sa qualité de propriétaire indivis du terrain avec son épouse Denise G… ; qu’en retenant néanmoins, pour débouter Mme Véronique S… et M. Jean-Marie S…, devenu propriétaires indivis du terrain au décès de leur mère Denise G…, que le régime juridique de la propriété du bien n’était pas connu de la société Filia Maif dès la souscription du contrat ni ultérieurement, de sorte que la volonté des deux parties de souscrire une assurance pour le compte des deux autres propriétaires indivis de l’immeuble ne pouvait être établie, la cour d’appel, qui n’a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, a méconnu l’article L. 112-1 du code des assurances ».

Par un arrêt rendu le 25 juin 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a néanmoins rejeté leur pourvoi.

La haute juridiction a tout d’abord rappelé le principe selon lequel « il résulte de l’article L. 112-1 du code des assurances que, si elle ne se présume pas, l’assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties » (décis., pt 17).

Puis elle a jugé que le moyen n’était pas fondé. Elle a ainsi retenu que la cour d’appel a tiré les conséquences légales de ses constatations et a pu déduire que la volonté des deux parties de souscrire une assurance pour le compte des deux autres copropriétaires indivis de l’immeuble n’était pas établie après avoir relevé que, « si la volonté du souscripteur pouvait être recherchée dans les liens familiaux avec les autres propriétaires indivis du bien assuré, il apparaissait cependant que le régime juridique de la propriété du bien n’était pas connu de l’assureur dès la souscription du contrat ni ultérieurement » (décis., pt 18).

Rappelons que l’article L. 112-1 du code des assurances dispose que « l’assurance peut être contractée en vertu d’un mandat général ou spécial ou même sans mandat, pour le compte d’une personne déterminée. Dans ce dernier cas, l’assurance profite à la personne pour le compte de laquelle elle a été conclue, alors même que la ratification n’aurait lieu qu’après le sinistre. / L’assurance peut aussi être contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause. / Le souscripteur d’une assurance contractée pour le compte de qui il appartiendra est seul tenu au paiement de la prime envers l’assureur ; les exceptions que l’assureur pourrait lui opposer sont également opposables au bénéficiaire du contrat, quel qu’il soit ».

Les dispositions de cet article n’ont pas un caractère impératif, de sorte que les parties sont libres de déterminer l’étendue et la portée du contrat d’assurance (Civ. 1re, 1er juin 1999, n° 97-15.298, RCA 1999, n° 345 ; RGDA 2000. 41, note J. Kullmann).

L’assurance pour compte « se fonde sur le mécanisme d’une stipulation pour autrui, opération par laquelle un des contractants, le stipulant, demande à l’autre partie, le promettant, d’exécuter une prestation à l’égard d’un tiers bénéficiaire qui n’est pas partie au contrat. Deux assurances font notamment application de la stipulation pour autrui : l’assurance en cas de décès et l’assurance pour compte » (S. Abravanel-Jolly, Droit des assurances, 3e éd., Ellipses, 2020, n° 94 ; comp. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, n° 699). L’identification d’une assurance pour compte n’est pas toujours évidente, en particulier en présence de mécanismes complexes d’assurances collectives (R. Bigot, La nouvelle assurance collective de dommages à adhésion individuelle, obs. ss Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 18-55.192, bjda.fr 2020, n° 69).

Il est établi en principe qu’elle ne se présume pas, selon une jurisprudence ancienne et unanime (depuis Civ. 25 mai 1943, DC 1994. 25, note A. Besson ; v. H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d’assurance terrestre, préf. G. Durry, LexisNexis, Litec, 2008, n° 1451). En effet, « le souscripteur étant censé stipuler pour lui-même (C. civ., art. 1203 [anc. art. 1119]), la stipulation ne se présume pas. L’article L. 112-1 exige une clause expresse » (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, L’Argus de l’assurance éditions, 35e éd., 2019, sous art. L. 112-1, p. 66).

Néanmoins, « une controverse a pu naître sur le mode d’expression requis de cette volonté. Plus précisément, la question s’est posée de savoir si une volonté exprimée de façon tacite pouvait suffire à faire naître une assurance pour le compte du tiers implicitement désigné comme bénéficiaire. Dans un premier temps, la jurisprudence a paru subordonner l’existence de l’assurance pour compte à une “manifestation expresse” ou “formelle” de la volonté des parties, seule “une clause claire et précise” étant de nature à conférer à un tiers le bénéfice de la qualité d’assuré. Par la suite cependant, la Cour de cassation assouplit sa position » (H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit.).

À ce titre, sans remettre en cause le principe selon lequel l’assurance pour compte ne se présumait pas, la haute juridiction a admis que l’assurance pour compte pouvait être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties (S. Abravanel-Jolly, op. cit., n° 96, in fine ; D. Cocteau-Senn, « L’effet relatif du contrat d’assurance à l’égard des tiers ? », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, 1re éd., préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, à paraître ; L. Perdrix, comm. ss art. L. 112-1, Code des assurances. Code de la mutualité, 26e éd., Dalloz, 2020, p. 20).

Il n’a donc plus été exigé une stipulation expresse – l’existence d’une clause formelle – prouvant la volonté du souscripteur comme par le passé (Civ. 12 mai 1958, RGAT 1958, p. 414). En d’autres termes, depuis 1995, une stipulation pour autrui tacite peut être retenue (Civ. 1re, 10 juill. 1995, n° 92-13.534, Bull. civ. I, n° 307), étant alors considéré que la volonté non équivoque des parties puisse résulter de cette stipulation implicite.

Cette volonté non équivoque peut encore être dégagée de l’interprétation du contrat d’assurance (Civ. 1re, 28 oct. 1991, n° 89-13.204, RDI 1992. 96, obs. G. Leguay et P. Dubois ; RGAT 1992. 131, note J. Bigot ; contra, un arrêt non publié au Bull. néanmoins, Civ. 1re, 23 juin 1998, n° 96-12.079, RGDA 1998. 687, note L. Fonlladosa), autrement dit « de l’économie du contrat ou de l’intention des parties ou d’éléments de fait […]. En l’absence de ces éléments, l’assurance est considérée comme souscrite au seul bénéfice du souscripteur » (J. Bigot [dir.], Code des assurances 2019, op. cit., sous art. L. 112-1, p. 66).

Il est donc possible de se référer à tout élément de fait pour apprécier cette volonté non ambiguë (Civ. 1re, 3 nov. 1993, n° 90-18.876, Bull. civ. I, n° 309 ; RDI 1994. 78, obs. G. Leguay et P. Dubois ; RGAT 1994. 123, note J. Kullmann ; RCA 1994. Comm. 25, obs. H. Groutel).

La doctrine enseigne qu’« afin de rechercher cette commune intention des parties, la jurisprudence se livre à une analyse globale des liens juridiques et économiques existant entre les intéressés. En l’absence de cette volonté « déductible » (appréciation in concreto) de souscrire pour le compte d’autrui, il ne peut y avoir assurance pour compte » (B. Beignier, J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances 2019, 13e éd., LexisNexis, sous art. L. 112-1, p. 24). Il ne s’agit donc pas d’une appréciation in abstracto (N. Dejean de la Bâtie, Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en droit civil français, préf. H. Mazeaud, thèse, LGDJ, 1965) que l’on retrouve sous les traits de standards normatifs et descriptifs (F. Viney, La personne raisonnable, Contribution à l’étude de la distinction des standards normatifs et descriptifs, thèse, Paris I, dir. G. Loiseau, 2013).

De la sorte, la stipulation pour autrui tacite a parfois été écartée (Civ. 3e, 10 févr. 2009, RDI 2009. 303, obs. D. Noguéro ). Ainsi, l’assurance pour compte ne pouvant, dans certains cas, être caractérisée, on reste en présence d’une assurance personnelle (à propos de propriétaires de marchandises ayant confié à une société la mission d’assurer leurs marchandises déposées dans les entrepôts de cette société, v. Civ. 1re, 13 nov. 1997, n° 95-17.358, Bull. civ. I, n° 301 ; RGDA 1998. 54, note J. Vincent).

Vingt ans en arrière, une fissure est toutefois apparue dans cette construction jurisprudentielle. La première chambre civile a pu affirmer, par un arrêt du 15 février 2000, que « la personne qui a souscrit le contrat d’assurance a, sauf stipulation contraire, la qualité d’assuré » (Civ. 1re, 15 févr. 2000, n° 97-20.179, D. 2000. 71 ; RGDA 2000. 504 ; 11 juill. 2001, n° 00-11.362, RGDA 2001. 1027, note L. Fonlladosa). Cela aurait pu marquer un coup d’arrêt à la faculté d’appréciation de la volonté du stipulant reléguée jusque-là aux juridictions du fond, lesquelles n’auraient pu continuer à admettre pareilles stipulations pour autrui tacites (H. Groutel, Les rapports nés d’une assurance de choses analysés par la Cour de cassation, RCA 2000. Chron. 7). Le cas échéant, aucun droit sur l’indemnité d’assurance n’aurait pu persister à être reconnu au propriétaire – d’un bien – non désigné par une clause d’assurance pour compte comme assuré, au titre de l’assurance de choses souscrite par son locataire. Mais dans ces décisions, la Cour de cassation était amenée à se prononcer au visa de l’article L. 121-6 du code des assurances relatif à l’intérêt d’assurance (J. Bigot, « Le déroulement du contrat », in J. Bigot [dir.], Traité de droit des assurances. Tome 3. Le contrat d’assurance, Lextenso, LGDJ, préf. G. Durry, 2014, n° 573, p. 260). La doctrine explique encore, au sujet de l’intérêt d’assurance, que « généralement, la stipulation pour autrui est le mécanisme retenu comme explication technique de cette notion complexe. Les juges « découvrent » parfois une telle assurance pour compte par une interprétation de la volonté des parties (leur volonté tacite), au-delà d’une stipulation expresse, formelle, du contrat. La question débattue est celle de sa reconnaissance par une clause expresse ou de façon tacite. Par comparaison, en ce qui concerne la stipulation pour autrui, l’article 1208 du code civil énonce que « L’acceptation peut émaner du bénéficiaire ou, après son décès, de ses héritiers. Elle peut être expresse ou tacite. Elle peut intervenir même après le décès du stipulant ou du promettant » (D. Noguéro, Droit des assurances et droit de la preuve, bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 1-64, spéc. p. 11).

Dans ce brouillard, il a ainsi été émis que « l’avenir de la clause d’assurance pour compte tacite dépendait de la force qu’entendait donner la Cour de cassation à cette affirmation » délivrée par l’arrêt du 15 février 2000 (B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], op. cit.). À ce titre, deux approches étaient possibles. En premier lieu, la haute juridiction pouvait y voir que seul le souscripteur a la qualité d’assuré dans une assurance de choses sans stipulation d’assurance pour compte expresse. En second lieu, la Cour de cassation pouvait admettre une position plus nuancée, en se bornant à rappeler que « le souscripteur d’une assurance de choses est toujours présumé avoir la qualité d’assuré, conformément à l’article L. 112-1 du code des assurances, sans se prononcer sur la valeur de la stipulation » (ibid. ; comp. J. Bigot, « Le déroulement du contrat », in J. Bigot [dir.], op. cit., n° 572, p. 258).

Cette seconde approche, favorable à l’assurance pour compte implicite, a été retenue à partir de 2003 (Civ. 1re, 24 juin 2003, n° 00-17.213, RCA 2003, n° 307, obs. H. Groutel ; RGDA 2003. 678, note L. Fonlladosa ; Civ. 2e, 15 mai 2008, n° 07-11.574, inédit), avec une brève hésitation cependant (Civ. 2e, 6 mars 2008, n° 07-12.124, RDI 2008. 287, obs. P. Dessuet  ; actuassurance.com 2008, n° 3, act. jurispr., note A. Astegiano-La Rizza).

Puis, par un arrêt du 16 janvier 2014 ayant l’honneur du bulletin, la deuxième chambre civile a consacré cette solution aux termes de laquelle « si elle ne se présume pas, l’assurance pour compte peut être implicite et résulter de la volonté non équivoque des parties » (Civ. 2e, 16 janv. 2014, n° 12-29.647, Dalloz actualité, 4 févr. 2014, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2014. 207 ; actuassurance.com 2014, n° 34, act. jurispr., note P. Casson ; LEDA 2014, n° 3, comm. 37, obs. F. Patris ; RCA 2014. Comm. 132, note H. Groutel ; RGDA 2014, n° 2, p. 97, note J. Kullmann ; RLDA déc. 2014, p. 79, note A. Astegiano-La Rizza ; Gaz. Pal. 27-29 avr. 2014, n° 117-119, p. 25, note X. Leducq).

On retrouve cette même formule dans un arrêt de 2017 (Civ. 2e, 23 mars 2017, n° 16-14.621, RGDA 2017, n° 5, p. 311, note A. Pélissier ; bjda.fr 2017, n° 51, note P. Casson) et encore à l’identique dans l’affaire sous commentaire (décis., pt 17). Dès lors, la Cour de cassation persiste et signe en faveur de l’assurance pour compte implicite.

Sur le terrain de la preuve, il s’agit ainsi d’une volonté des deux parties, à démontrer (D. Noguéro, art. préc., bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 11). Or seule la volonté non équivoque de l’assureur et du souscripteur peut établir l’existence d’une assurance pour compte (Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-21.363, AJ contrat 2020. 29 , obs. M. Tchendjou ; RCA 2020, n° 23, note H. Groutel ; RGDA déc. 2019, p. 19, note L. Mayaux ; bjda.fr n° 66, note P. Casson). Cela signifie que cette volonté, lorsqu’elle est implicite, doit pouvoir être clairement décelée. Par exemple, le seul fait d’assurer les biens d’autrui ne suffit pas à caractériser une assurance pour compte (Civ. 2e, 18 janv. 2018, n° 16-27.250, AJDI 2018. 192 ; bjda.fr 2018, n° 56, note A. Pimbert ; LEDA 2018, n° 3, n° 111b4, p. 3, obs. D. Krajeski ; RGDA 2018, n° 115m1, p. 146, note M. Asselain).

Néanmoins, sur ce même terrain, il n’est pas inutile de rappeler que, « si le contrat d’assurance doit, dans un but probatoire (ad probationem et non ad solemnitatem), être rédigé par écrit, il constitue un contrat consensuel qui est parfait, valable – pour sa formation –, qui existe donc, dès la rencontre des volontés de l’assureur et du preneur. En vertu de l’article 1173 du code civil, « les formes exigées aux fins de preuve ou d’opposabilité sont sans effet sur la validité des contrats » (D. Noguéro, art. préc., bjda.fr 2020, Les Dossiers du FDA, n° 1, p. 11, in fine).