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Soustraction aux obligations parentales et motivation de la peine correctionnelle

Par cet arrêt, la chambre criminelle complète sa jurisprudence relative à la motivation des peines correctionnelles et, dans le même temps, se prononce sur les conséquences des agissements d’un parent radicalisé sur la santé, la sécurité, la moralité et l’éducation de ses enfants mineurs. 

par Méryl Recotilletle 18 juillet 2018

Utile (E. Dreyer, « Pourquoi motiver les peines », D. 2018. 576 ), la motivation des peines n’en est pas moins délicate et les juges du fond doivent se conformer aux exigences de la Cour de cassation dont ils se rapprochent à tâtons. Si, quelques fois, ils touchent au but (v. par ex. Crim. 1er févr. 2017, n° 15-85.199, P, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini , note C. Saas ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe ; 18 oct. 2017, n° 16-83.108 P, Dalloz actualité, 8 nov. 2017, J. Gallois ; Rev. sociétés 2017. 651, note H. Matsopoulou ; 31 janv. 2018, n° 17-81.876 P, ; Dalloz actualité, 19 févr. 2018, obs. M. Recotillet ; AJCT 2018. 277, obs. J. Lasserre Capdeville ), bien souvent, la justification de la peine qu’ils proposent ne satisfait pas la haute juridiction (v. par ex. Crim. 1er févr. 2017, n° 15-83.984 P, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix , note C. Saas ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire  ; JCP 2017. 277, note J. Leblois-Happe ; 8 mars 2017, n° 15-87.422 P, Dalloz actualité, 3 avr. 2017, obs. C. Fonteix ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RDI 2017. 240, obs. G. Roujou de Boubée  ; Dr. pénal 2017. Comm. 83, obs. E. Bonis-Garçon ; Gaz. Pal. 2017, n° 13, p. 17, note A. Mihman ; 15 mars 2017, n° 16-83.838 P, Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé  ; 27 févr. 2018, n° 17-81.998, Dalloz jurisprudence). L’arrêt du 20 juin 2018 s’analyse en un nouvel exemple du contrôle rigoureux de la Cour de cassation quant à la motivation d’une peine correctionnelle. Avant d’aborder les raisons qui ont poussé la chambre criminelle à invalider la décision de la cour d’appel relative à la peine, il convient de se pencher sur l’infraction à l’origine de la condamnation.

Dans son pourvoi, la prévenue a remis en cause le délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales envers son enfant mineur pour laquelle elle a été condamnée à dix-huit mois d’emprisonnement sans sursis (v. not. A. Bourrat-Guéguen, « Violation des prérogatives familiales », in P. Murrat [dir.], Droit de la famille, Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2016, nos 621.171 et 621.172). D’après la jurisprudence et l’analyse des auteurs, les éléments constitutifs de l’infraction réprimée à l’article 227-17 du code pénal sont appréciés souverainement par les juges du fond (v. par ex. Crim. 17 oct. 2001, n° 01-82.591, Bull. crim. n° 214, D. 2002. 751 , note M. Huyette ; AJ fam. 2002. 27, et les obs.  ; JCP 2001. IV. 2992 ; Dr. pénal 2002. 14, obs. Véron ; v. égal. J-cl. pén., art. 227-17, Soustraction d’un parent à ses obligations légales, par P. Pédron, nos 106 s.). Cela explique la conclusion de la Cour de cassation dans l’arrêt soumis à commentaire, selon laquelle la cour d’appel, qui a souverainement apprécié que la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation des enfants avaient été compromises par l’adhésion de leur mère à une idéologie radicale et sa décision de rejoindre des combattants islamistes en Syrie, a justifié sa décision. Cette affaire peut s’analyser en un nouvel exemple de la position que prennent progressivement les juges répressifs sur la question du comportement de parents adhérant à une idéologie radicale et des possibles conséquences sur leurs enfants (v. par ex. Dalloz actualité, 7 mars 2018, art. J. Mucchielli isset(node/189508) ? node/189508 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189508).

Pour cette infraction, les juges ont condamné la mère de famille à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement sans sursis et décerné un mandat de dépôt en l’absence de garanties de représentation. Pour la prévenue, les juges du second degré ne se sont pas suffisamment expliqués sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ni sur sa situation matérielle, familiale et sociale. Elle a également mis en avant qu’une juridiction de jugement ne peut décerner un mandat de dépôt que par une décision spéciale et motivée quant à l’exigence d’une mesure particulière de sûreté qui doit être distincte de la motivation justifiant le choix d’une peine d’emprisonnement ferme. Pour ordonner une telle mesure, la cour d’appel n’aurait fait que relever l’absence de « garanties de représentation » de la prévenue sans motiver concrètement sa décision de décerner un mandat de dépôt au regard des faits spécifiques de l’espèce et de sa personnalité. La Cour de cassation n’a pas non plus été satisfaite de la motivation de la cour d’appel dont elle a cassé partiellement la décision en rappelant, au visa de l’article 132-19 du code pénal, que le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction.

La première remarque concerne le critère de la situation matérielle, familiale et sociale de la prévenue. Il a récemment été soulevé que la prise en compte de la situation matérielle, familiale et sociale ne s’imposait pas lors du prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme supérieure à deux ans en vertu de l’article 132-19 (Crim. 21 mars 2018, n° 16-87.296 P, Dalloz actualité, 11 avr. 2018, obs. L. Priou-Alibert ). Dans la décision du 20 juin 2018, la prévenue a été condamnée à une peine d’emprisonnement sans sursis inférieure à deux ans et la Cour de cassation a infirmé l’arrêt d’appel pour insuffisance de la motivation ce qui paraît confirmer l’idée que, lors du prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme inférieure à deux ans, la prise en compte de la situation matérielle, familiale et sociale de l’intéressé s’impose. La mobilisation de certains critères en fonction de la nature ou du quanta de la peine est donc peut être une piste à explorer pour tenter d’éclairer, voire de fixer, les grandes lignes du contrôle de la motivation des peines correctionnelles par la Cour de cassation.

On note toutefois que ce critère, pourtant exprimé dans le pourvoi de la demanderesse, n’est pas expressément présent dans l’attendu de la Cour de cassation, cette dernière considérant que la cour d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision par rapport aux « éléments de la personnalité ». Comment l’expliquer ? On peut supposer que la Cour de cassation a englobé à la fois le critère de la personnalité et celui de la situation matérielle, familiale et sociale dans l’expression « éléments de la personnalité ». Toutefois, cela ne semble pas être une habitude de la chambre criminelle qui, dans de précédentes décisions, a distingué la personnalité de « la situation personnelle » (v. par ex. Crim. 28 juin 2017, n° 16-87.469 P, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ fam. 2017. 545, obs. A. Sannier  ; 21 mars 2018, n° 16-87.296, préc.). Seules des décisions ultérieures permettront de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse d’un « regroupement » de certains critères.

Une troisième observation porte sur le critère de l’inadéquation de toute autre sanction sur lequel la cour d’appel ne s’est manifestement pas assez expliquée aux yeux de la chambre criminelle. La motivation était essentiellement fondée sur la situation juridique de la prévenue « détenue pour autre cause dans le cadre d’un dossier d’instruction ouvert auprès d’un juge d’instruction du pôle antiterroriste de Paris » et sur son comportement vis-à-vis de la justice, à savoir « son positionnement à l’audience laissant apparaître qu’elle ne reconnaît pas l’extrême danger dans lequel elle a placé ses enfants » et le fait qu’elle se soit « affranchie des décisions de justice rendues, compromettant gravement l’évolution de ses enfants » et on reste perplexe devant la référence à l’existence de trois pères différents dans les motifs. On peut penser que la Cour de cassation attend des juges du fond qu’ils justifient de façon plus directe, sans détour, que l’emprisonnement est la seule sanction adéquate (pour aller plus loin sur la question de l’adéquation de la prison, v. par ex. R. Martinson, What Works ? Questions and Answers About Prison Reform, The Public Interest, New York, vol. 35, spring 1974 : 22). À l’appui de cette supposition, on note que ce type de motivation axé sur le comportement du prévenu vis-à-vis de la justice a déjà été censurée par la chambre criminelle. En effet, dans un arrêt du 28 juin 2017, la Cour de cassation a infirmé l’arrêt d’appel qui, pour abandon de famille, a condamné le prévenu à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et mise en se fondant notamment sur « une attitude persistante dans la méconnaissance de ses obligations fixées par décision de justice » (Crim. 28 juin 2017, n ° 16-87.469 P, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ fam. 2017. 545, obs. A. Sannier ).

Pour conclure, cette décision constitue une nouvelle pierre à l’édifice qu’érige progressivement la Cour de cassation concernant la motivation des peines correctionnelles. La solution adoptée semble satisfaisante puisque le contrôle opéré par la Cour contribue à faire respecter le principe d’individualisation des peines. Mais, l’étude de cet arrêt a révélé quelques interrogations (certains critères s’imposent-ils en fonction de la nature ou du quanta de la peine ? Les critères ont-ils vocation à être regroupés ? Est-ce certains types de motivation sont d’ores et déjà exclus par la haute juridiction ?) qui, on le souhaite, seront éclairées par des décisions futures.