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Sport potentiellement dangereux : obligation de sécurité de moyens renforcée de l’entraîneur

L’entraîneur d’un sport potentiellement dangereux est soumis à une obligation contractuelle de sécurité de moyens renforcée à laquelle il manque lorsqu’il n’empêche pas l’action à l’origine du dommage corporel quand il existe entre les adversaires une différence de gabarit et de niveau technique.

par Anaïs Hacenele 20 juin 2018

À hauteur de principe, la dichotomie entre obligation de moyens et obligation de résultat due aux travaux de René Demogue (Traité des obligations en général, Rousseau, t. 5, 1925, n° 1237 et t. 6, 1932, n° 599) est d’une extrême simplicité : le débiteur d’une obligation de moyens est tenu de tous les soins et diligences normalement nécessaires pour atteindre le résultat promis là où le débiteur d’une obligation de résultat est tenu de procurer la satisfaction promise. Avec le temps, le juge a introduit des sous-ensembles d’obligations intermédiaires (obligation de moyens allégée ou renforcée, obligation de résultat atténuée ou renforcée) qui rendent, parfois, la frontière entre les deux déclinaisons plus que ténue. Précisément, cette summa divisio cesse d’être « limpide » (D. Mazeaud, La distinction obligation de résultat-obligation de moyens : le saut dans le vide ?, D. 2017. 198 ) dès l’instant qu’elle s’opère en matière d’obligation de sécurité.

L’arrêt de rejet rendu par la Cour de cassation le 16 mai 2018 en est une parfaite illustration.

En l’espèce, au cours d’un entraînement de lutte libre organisé par une association sportive, lors d’un combat encadré par un entraîneur, un joueur blessé par un autre a subi une luxation entraînant une tétraplégie. La victime directe et les victimes par ricochet assignèrent en responsabilité et en réparation des dommages subis la fédération, l’association et leur assureur. Une cour d’appel fit droit à leur demande. Les assureurs se pourvurent en cassation. En soutenant principalement que les clubs sportifs sont tenus d’une obligation de sécurité de moyens et qu’en mettant à la charge de l’association une obligation de sécurité de moyens renforcée et en ne caractérisant pas l’existence d’une faute de l’entraîneur de nature à engager la responsabilité civile de l’association, les juges du fond avaient violé l’article 1147 du code civil.

La Cour de cassation devait donc s’interroger sur la nature de l’obligation de sécurité qui incombe aux entraîneurs des clubs sportifs : est-ce une simple obligation de moyens ou une obligation de moyens renforcée ? Elle répond en deux temps.

D’une part, elle caractérise l’obligation contractuelle qui incombe à l’entraîneur arbitre. En suivant le raisonnement de la cour d’appel, la Cour de cassation rappelle que la lutte est un sport potentiellement dangereux, qui rend de ce fait la fixation de règles précises nécessaire, telles que l’interdiction d’actions sportives susceptibles de porter atteinte à la sécurité corporelle des lutteurs. En l’espèce, elle relève la différence de gabarit entre les deux adversaires, d’une part, et, d’autre part, la différence de technique entre eux. C’est cette dangerosité potentielle du sport, couplée aux différences entre les adversaires, qui donne naissance à une obligation de sécurité de moyens renforcée à la charge de l’entraîneur sportif.

La solution est classique. La Cour de cassation a déjà décidé, à propos de la responsabilité d’une association d’aéronautique par exemple, que « le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux » (Civ. 1re, 16 oct. 2001, n° 99-18.221, Bull. civ. I, n° 260 ; D. 2002. 2711, et les obs. , obs. A. Lacabarats ; RTD civ. 2002. 107, obs. P. Jourdain ; CCC 2001. Comm. 21, obs. L. Leveneur ; rappr., pour une association sportive qui met à la disposition d’escaladeurs des installations appropriées, Civ. 1re, 15 déc. 2011, n° 10-23.528, D. 2012. 539 , note M. Develay ; ibid. 704, obs. Centre de droit et d’économie du sport ; Just. & cass. 2012. 153, rapp. S. Canas ; RTD civ. 2012. 121, obs. P. Jourdain ; v. égal. Civ. 1re, 5 nov. 1996, n° 94-14.975, Bull. civ. I, n° 380 ; D. 1998. 37 , obs. A. Lacabarats ; RCA 1997. Comm. 30 pour un moniteur de vol de parapente). Dans ces décisions, c’est la dangerosité du sport qui justifie l’intensité de l’obligation de sécurité.

Dans l’arrêt commenté, la dangerosité est un élément déterminant mais il n’est question que de danger potentiel. Surtout, d’autres éléments sont pris en compte. Les différences physiques et techniques entre les adversaires s’ajoutent pour venir justifier l’accroissement de l’intensité l’obligation de sécurité de l’entraîneur. C’est donc tout un faisceau d’indices qui est utilisé par le juge pour établir la portée de l’obligation contractuelle de sécurité.

D’autre part, la première chambre civile procède à la vérification de l’inexécution de l’obligation de sécurité de moyens renforcée qu’elle met à la charge de l’entraîneur. Il s’agit alors de s’assurer qu’il y a bien eu une mauvaise exécution de cette obligation susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de l’association sportive. Il est soulevé que l’entraîneur ne pouvait pas ignorer, en raison de son expérience de vingt-deux ans, que la prise effectuée par l’adversaire de la victime était porteuse d’un risque majeur de lésions cervicales graves et irréversibles. À cela s’ajoute le caractère néophyte de la victime qui le privait de la capacité d’adopter la réaction appropriée face à l’action de son adversaire. En n’ayant pas empêché l’action du lutteur à l’origine du dommage corporel subi par la victime, l’entraîneur a manqué à son obligation de sécurité, ce qui justifie la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de l’association sportive.

Pour démontrer l’inexécution de l’obligation, la Cour de cassation tient compte d’autres circonstances, en plus de la dangerosité et des différences opposant les participants : l’expérience de l’entraîneur et le caractère néophyte de la victime, circonstances qui auraient du conduire l’entraîneur à redoubler de vigilance. Cette partie-ci de l’attendu rappelle d’ailleurs les solutions retenues en matière de sport hippique, domaine dans lequel l’exigence de sécurité varie au regard de diverses circonstances tenant notamment à la nature de l’activité ou à l’expérience des participants.

En résumé, lorsque non seulement le sport au cours duquel survient le dommage est dangereux mais qu’en plus, l’entraîneur expérimenté n’empêche pas l’action alors qu’il existe une vraie différence physique et technique entre les deux adversaires, c’est en toute logique une obligation de sécurité renforcée qui lui incombe et qu’il n’a pas exécutée.

L’exigence d’une obligation de sécurité en matière sportive se comprend parfaitement en ce que la plupart des activités sportives sont potentiellement dangereuses. Le danger qui se présente étant susceptible de variation, le seuil d’exigence de sécurité l’est tout autant. Moins évidente est néanmoins la détermination de sa portée. La règle jurisprudentielle n’est pas clairement établie.

Le principe voudrait que l’obligation de sécurité ne soit que de moyens parce que les participants créanciers, ont, en principe, un rôle actif dans l’exécution de l’activité sportive. Puisque le débiteur n’est pas seul à maîtriser la pratique de l’activité, son obligation n’est pas de résultat. En revanche et par exception, lorsque les participants jouent un rôle passif et que l’entraîneur contrôle entièrement l’activité pratiquée, son obligation de sécurité croît en intensité pour se transformer tantôt en obligation de résultat ; tantôt en obligation de moyens « appréciée avec plus de rigueur » (Civ. 1re, 16 oct. 2001, n° 99-18.221, Bull. civ. I, n° 260, préc.). La Cour de cassation a affirmé par exemple que « l’organisateur et le moniteur d’un vol en parapente sont tenus d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de leurs clients pendant les vols, au cours desquels ceux-ci n’ont joué aucun rôle actif » (Civ. 1re, 21 oct. 1997, n° 95-18.558, Bull. civ. I, n° 287 ; D. 1998. 271 , note P. Brun ; ibid. 199, obs. P. Jourdain ; ibid. 1999. 85, obs. A. Lacabarats ; RTD civ. 1998. 116, obs. P. Jourdain ; JCP 1998. II. 10103, note V. Varet ; Gaz. Pal. 1999. 1. 236, note J. Mouly). Elle a également reconnu que « le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sports dangereux » (Civ. 1re, 16 oct. 2001, n° 99-18.221, Bull. civ. I, n° 260, préc.).

Avec la solution du 16 mai 2018, la Cour de cassation évoque l’obligation de sécurité dans de nouveaux termes. Cette fois-ci, il s’agit d’une obligation de sécurité de moyens « renforcée ». On peut alors s’interroger sur l’existence d’une différence entre l’obligation de moyens « appréciée avec plus de rigueur » et l’obligation de moyens « renforcée ». On peut aussi se demander quelle différence il y a entre l’obligation de moyens renforcée de l’entraîneur de lutte et l’obligation de résultat qui incombe à l’instructeur pilote d’avion privé ou au moniteur de parapente ?

Il est parfois difficile de s’y retrouver lorsque la règle change selon la nature de l’activité sportive ou de loisir en question pour devenir une obligation de sécurité de résultat ou de moyens appréciée avec plus de rigueur ou de moyens renforcée (v., pour un état des lieux très complet des diverses solutions en la matière, D. Mazeaud, La distinction obligation de résultat-obligation de moyens : le saut dans le vide ?, préc.)

Mais l’essentiel est sans doute ailleurs. Au fond, quelles que soient les appellations qu’elle reçoit, dès lors que l’obligation de sécurité n’est pas une simple obligation de moyens, elle a pour conséquence d’alourdir la responsabilité de celui à qui elle incombe.

Il ressort de cela une ligne directrice selon laquelle lorsque le sport pratiqué est dangereux et susceptible d’entraîner une atteinte à l’intégrité physique des participants, le degré de sécurité attendu est plus élevé. Toutefois, une autre difficulté apparaît en ce qu’il est parfois délicat d’identifier les sports dangereux dans lesquels l’obligation de sécurité doit être renforcée et ceux pour lesquels elle peut être atténuée. Certains auteurs se sont demandé s’il était possible « d’établir une liste de "sports dangereux" étant observé que chaque fédération déniera probablement à "son" sport cette qualification » (D. 2002. 2711, obs. A. Lacabarats ) ? Pour décider de la portée de l’obligation de sécurité et mesurer la dangerosité de l’activité au cours de laquelle survient le dommage, il conviendrait de regarder la sa nature (D. 1998. 199, obs. P. Jourdain ), en se référant, pourquoi pas, « aux statistiques d’accidents, à supposer que de telles statistiques puissent être réalisées de manière suffisamment précise » (A. Lacabarats, préc.).

Une chose est sûre, si la crainte qu’en renforçant l’obligation de sécurité des associations sportives et de loisir, les juges déduisent la faute contractuelle de la simple survenance du dommage comme en matière d’obligation de résultat est apparue (A. Lacabarats, préc.), dans cette affaire, la Cour de cassation montre que, même renforcée, l’obligation de sécurité de moyens impose la preuve d’une mauvaise exécution donc d’une faute contractuelle dont elle veille à la démonstration par les juges du fond.

Pour conclure, rappelons que la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat n’a pas été consacrée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Surtout, l’article 1233-1 du projet de réforme de la responsabilité civile prévoit que « les préjudices résultant d’un dommage corporel sont réparés sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’ils seraient causés à l’occasion de l’exécution du contrat » et signe par là même « l’arrêt de mort de l’obligation contractuelle de sécurité et, dans la foulée, celui de la distinction des obligations de moyens et de résultat en matière contractuelle » (D. Mazeaud, art. préc.). La question de son avenir est plus que jamais d’actualité.