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Streetpress attaqué en diffamation pour une enquête sur l’Azerbaïdjan

Le site d’information Streetpress a été assigné, vendredi 22 février 2019, en référé pour diffamation par le groupement Hovakimian, une association d’interprètes, à la suite d’un article publié en novembre 2018 sur les relations de proximité de trois de ses traductrices avec le régime autoritaire d’Azerbaïdjan.

par Pierre-Antoine Souchardle 26 février 2019

Il réclame 10 000 € de dommages et intérêts ainsi que la suppression de l’article. La décision du juge des référés, juge de l’urgence, a été mise en délibéré au vendredi 15 mars.

L’objet du litige, un article publié le 17 novembre 2018 intitulé Demande d’asile : l’État français fait appel à des traducteurs proches d’une dictature. Cinq passages sont considérés comme diffamatoires par le groupement Hovakimian dont le nom n’apparaît pas dans cette enquête. Celui des traductrices en langue azérie non plus. Seuls leurs prénoms sont donnés. Elles n’ont ni assigné le site ni déposé plainte sur le fond.

Parmi les passages incriminés : « À l’OFPRA et à la CNDA, deux organismes publics français en charge de l’asile, les traductrices azerbaïdjanaises qui accompagnent les demandeurs sont proches du régime que ces réfugiés fuient » ou encore « “C’est une petite communauté, ce n’est pas facile de trouver un traducteur en azéri”, commente une ancienne traductrice à la CNDA, qui explique que les employeurs ne sont pas toujours très regardants quant au profil des traducteurs. Du côté de la structure qui les emploie, on assure que des “vérifications ont été faites” en amont de leur embauche. Difficile à croire, tant leurs CV regorgent de conflits d’intérêts ».

L’article met « en cause le groupement », a relevé à l’audience son avocate, Me Delphine Meillet. Hovakimian est le seul employeur d’interprètes en langue azérie auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), a-t-elle poursuivi. « L’article fait état de faits particulièrement graves. L’une des interprètes est accusée de prévenir les membres du corps diplomatique azerbaïdjanais à chaque demande d’asile. »

« La mise en cause de la probité des interprètes employées par le groupement Hovakimian s’identifie nécessairement comme une faute de ce dernier dans leur recrutement, voire une connivence avec celle-ci », assure Me Meillet dans son assignation.

Associer Hovakimian au régime dictatorial d’Azerbaïdjan lui porte « un préjudice très important en terme de réputation. […] L’article peut tuer le groupement qui existe depuis 2005 », a plaidé l’avocate. Elle a réfuté la bonne foi de l’enquête de Streetpress estimant qu’elle ne répondait pas à aucun des critères retenus par la jurisprudence.

L’Azerbaïdjan est dirigé d’une main de fer par Ilham Aliyev. Les sous-sols de l’ancienne république socialiste, devenue indépendante en 1991, sont gorgés d’hydrocarbures. Les opposants sont réprimés et les médias opposés au régime réduits au silence… Le président Aliyev a nommé sa femme au poste de premier vice-président.

Une première dame avec laquelle s’est affichée l’une des traductrices lors d’un déplacement officiel de Mme Aliyev en France. « Vous imaginez le choc des demandeurs d’asile quand ils la voient en photo dans les bras de la vice-présidente ? », s’est étranglée l’avocate de Steetpress, Me Valentine Rebérioux.

« Ce qui est affirmé, c’est la proximité » des traductrices et du régime, a souligné l’avocate de Streetpress. « Est-ce diffamatoire ? La question est celle du manquement à la déontologie », a-t-elle poursuivi.

Une proximité qui, selon l’article, s’exerce de bien des façons. L’une des traductrices travaille également comme journaliste à l’agence de presse azerbaïdjanaise Report.az, l’un des médias « semi-officiels », selon le témoignage du responsable du bureau de l’Est et Asie centrale de Reporter sans frontières. Une autre donne des récitals à l’ambassade d’Azerbaïdjan en France. Quant à la troisième, elle s’affiche, sur les réseaux sociaux, avec de hauts responsables du régime.

L’avocate de Streetpress a produit des témoignages de réfugiés azerbaïdjanais indiquant que leurs familles avaient subi des représailles après leurs auditions par l’OFPRA ou la CNDA.

Le point 7 de la charte de l’interprétariat de l’OFPRA prévoit que « les interprètes n’entretiennent pas de liens directs ou indirects, ni avec les autorités (notamment gouvernement, police, justice, services de renseignements, haute administration, ambassades) d’un État d’origine de la demande d’asile, ni avec les demandeurs d’asile ou personnes protégées pour lesquels ils sont appelés à traduire, ni avec les agents de l’Office ».