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Substitution du fondement d’une saisie par la chambre de l’instruction

Statuant sur appel d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) ayant autorisé une saisie conservatoire, la chambre de l’instruction, qui entend y substituer une saisie de patrimoine, doit ordonner elle-même la mesure et pas seulement confirmer l’autorisation de saisir. 

par Hugues Diazle 22 juin 2018

Historiquement « les mécanismes de perquisition et de saisie avaient pour finalité essentielle la recherche et le placement sous main de justice des seuls éléments utiles à la manifestation de la vérité et ne permettaient pas toujours d’appréhender au cours de l’enquête un bien pour lequel la confiscation était pourtant encourue » (Circ. du 22 déc. 2010 relative à la présentation des dispositions résultant de la loi n° 2010-768 du 9 juill. 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale). Or, un système pénal répressif qui consentirait à ce que la personne condamnée puisse s’enrichir en conservant le bénéfice des infractions pour lesquelles elle a été condamnée serait, dans les faits, privé d’une véritable portée dissuasive. Fort de ce constat, le législateur a, depuis une loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, élargi, dès le stade de l’enquête et de l’instruction, les possibilités de saisie patrimoniale afin d’assurer l’effectivité des peines de confiscation susceptibles d’être prononcées par la juridiction de jugement.

Le code de procédure pénale était alors complété par un titre XXIX, intitulé « Des saisies spéciales », lequel s’attache « à garantir l’exécution de la peine de confiscation selon les conditions définies à l’article 131-21 du code pénal, aux saisies réalisées en application du présent code lorsqu’elles portent sur tout ou partie des biens d’une personne [C. pr. pén., art. 706-148 à 706-149], sur un bien immobilier [C. pr. pén., art. 706-150 à 706-152], sur un bien ou un droit mobilier incorporel [C. pr. pén., art. 706-153 à 706-157] ou une créance [C. pr. pén., art. 706-155] ainsi qu’aux saisies qui n’entraînent pas de dépossession du bien [C. pr. pén., art. 706-158] » (C. pr. pén., art. 706-141). Il faut enfin préciser que, depuis une loi n° 2012-409 du 27 mars 2012, la saisie peut également être effectuée en valeur par application de l’article 706-141-1 du code de procédure pénale : il s’agit là d’un mécanisme de compensation par lequel est appréhendée une chose qui correspond au montant confiscable des richesses dont la personne poursuivie a disposé (V. égal., C. pén., art. 131-21, al. 9).

Au cours de l’enquête préliminaire ou de flagrance, l’initiative de la saisie appartient, par principe, au procureur de la République : toutefois, cette mesure ne peut être exécutée qu’à la condition qu’ait été obtenue une décision préalable du juge des libertés et de la détention. Au cours de l’information judiciaire, la décision de saisie est prise par le juge d’instruction : cependant, il est parfois nécessaire que ce magistrat sollicite l’avis du procureur de la République (v. not., C. pr. pén., art. 706-148).

Pour mieux appréhender ces mécanismes procéduraux relativement techniques, il faut toujours garder à l’esprit que les saisies conservatoires sont le pendant procédural de la peine de confiscation : leur mise en œuvre suppose donc de se référer systématiquement à l’article 131-21 du code pénal. Dans la pratique, ces dispositions, largement usitées par les organes de poursuite et qui touchent au patrimoine des personnes poursuivies, font l’objet d’un vaste contentieux : l’arrêt commenté vient précisément expliciter les pouvoirs de la chambre de l’instruction lorsqu’elle statue sur l’appel formé contre une ordonnance de saisie conservatoire.

Une enquête préliminaire était ouverte après une plainte de l’administration fiscale : le mis en cause était soupçonné de fraude fiscale, blanchiment, abus de biens sociaux et travail dissimulé. Selon les enquêteurs, le produit cumulé des infractions qui lui étaient reprochées s’évaluait à un montant total de 1 690 592,40 €. Sur requête du procureur de la République prise au visa des articles 131-21, alinéa 9, du code pénal, 706-141-1, 706-153 et 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention autorisait la saisie pénale en valeur d’une créance figurant sur un contrat d’assurance à concurrence de la somme de 388 516 €. Le mis en cause interjetait appel de cette ordonnance : l’affaire était appelée devant la chambre de l’instruction qui ordonnait le renvoi à une audience ultérieure et invitait les parties à présenter des observations sur l’éventuelle modification d’office du fondement de la saisie en application de l’article 131-21, alinéa 6, du code pénal aux motifs que l’appelant était impliqué dans des faits de blanchiment qui lui faisait encourir, au titre de l’article 324-7, 12°, du code pénal, la confiscation de tout ou partie de son patrimoine. Après avoir substitué une saisie de patrimoine à la saisie en valeur, la chambre de l’instruction confirmait l’ordonnance d’autorisation rendue par le JLD.

La chambre criminelle censure cet arrêt au terme d’un raisonnement en deux temps :

  • en premier lieu, elle énonce que selon l’article 706-148, alinéa 1, du code de procédure pénale dans sa version en vigueur issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, si l’enquête porte sur une infraction punie d’au moins cinq ans d’emprisonnement, le juge des libertés et de la détention peut, sur requête du procureur de la République, « ordonner » par décision motivée la saisie des biens dont la confiscation est prévue en application de l’article 131-21, alinéa 5 ou 6, du code pénal lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit prévoit la confiscation des biens du condamné ou lorsque l’origine de ces biens ne peut être établie ;
     
  • en second lieu, elle déduit de ce texte que la chambre de l’instruction, saisie d’un appel formé contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant « autorisé », sur requête du procureur de la République, la saisie en valeur de biens, peut, en raison de l’effet dévolutif de l’appel, et après débat contradictoire, modifier le fondement légal de la saisie de ces biens dès lors que cette mesure a été précédée d’une requête du ministère public, peu important le fondement visé par celle-ci, et doit, s’il s’agit d’une saisie de patrimoine, l’ordonner elle-même.

Pour mieux appréhender la probable portée de cet arrêt, il faut à ce stade préciser que, jusqu’à la loi du 3 juin 2016 susvisée, le JLD pouvait, sur requête du procureur de la République, uniquement « autoriser » par ordonnance motivée les saisies conservatoires : ce n’est qu’une fois muni de cette autorisation que le procureur de la République pouvait ensuite ordonner la mesure de saisie (V. not., Rép. pén., Saisies spéciales, par L. Ascensi, n° 30 ; C. pr. pén., art. 706-148, 706-150, 706-153, 706-154 et 706-158). Néanmoins, pour ce qui concerne spécifiquement la saisie de patrimoine, la réforme est venue modifier la lettre de l’article 706-148, en remplaçant la formulation « autoriser par ordonnance » par l’expression « ordonner par décision ». En d’autres termes, le JLD ne doit plus se contenter « d’autoriser » la saisie de patrimoine, mais il doit « l’ordonner » lui-même par décision motivée. Au cas de l’espèce, la chambre de l’instruction était saisie d’un appel formé contre une ordonnance ayant « autorisé » une saisie en valeur : aussi, la Haute juridiction affirme qu’il appartenait donc à la juridiction d’appel, après substitution de fondement, « d’ordonner » elle-même la saisie de patrimoine et non pas seulement de confirmer « l’autorisation de saisir » délivrée par le JLD.

De manière beaucoup moins nette, mais peut-être tout aussi importante, il faut également relever que par une précédente décision rendue également au visa de l’article 706-148 du code de procédure pénale, la Haute juridiction avait affirmé qu’une chambre de l’instruction, saisie d’un appel formé contre une ordonnance de saisie immobilière en valeur, ne pouvait y substituer une saisie de patrimoine, dans la mesure où les réquisitions préalables du ministère public portaient uniquement sur une saisie en valeur (Crim. 19 mai 2016, n° 16-80.682). Or, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation considère a contrario que le fondement légal de la saisie peut être modifié « dès lors que cette mesure a été précédée d’une requête du ministère public, peu important le fondement visé par celle-ci ». Certes, les deux espèces ne sont pas parfaitement similaires, notamment dans la mesure où l’une concernait une saisie exécutée dans le cadre d’une information judiciaire, alors que l’autre concernait une saisie réalisée à l’occasion d’une enquête préliminaire : néanmoins, potentiellement, l’arrêt commenté – publié au bulletin – peut laisser présager d’une possible évolution jurisprudentielle sur ce point.

Pour conclure, soulignons enfin que la substitution de fondement n’est donc admise devant la chambre de l’instruction qu’à condition, comme ce fût le cas en l’espèce, que les juges d’appel aient préalablement invité les parties à en débattre contradictoirement (Crim. 17 févr. 2016, n° 14-87.845, Dalloz actualité, 16 mars 2016, C. Fonteix ; Dr. pénal 2016. Comm. 69, obs. A. Maron et M. Haas ; 17 mai 2017, n° 16-87.320 ; 26 juill. 2017, n° 17-81.260).