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Successions dans l’Union : compétence pour délivrer un certificat national d’hérédité

L’article 4 du « règlement successions » s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que, bien que le défunt n’eût pas, au moment de son décès, sa résidence habituelle dans cet État, ses juridictions sont compétentes pour la délivrance des certificats successoraux nationaux, dans le cadre d’une succession ayant une incidence transfrontalière, lorsque des biens successoraux sont situés sur le territoire de cet État membre.

par François Mélinle 18 juillet 2018

Le règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen s’applique aux successions des personnes décédées à compter du 17 août 2015 (art. 83). Ce texte prévoit différentes règles de compétence :

  • art. 4 : « sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès » ;
     
  • art. 7 : les juridictions d’un État membre dont la loi avait été choisie par le défunt en sont compétentes pour statuer sur la succession, à certaines conditions ;
     
  • art. 10 : des compétences subsidiaires sont également prévues. C’est ainsi, notamment, que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’est pas située dans un État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès ;
     
  • art. 11 : lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu d’autres dispositions du règlement, les juridictions d’un État membre peuvent, dans des cas exceptionnels, statuer sur la succession si une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite, ou se révèle impossible dans un État tiers avec lequel l’affaire a un lien étroit.

Ces principes sont essentiels car l’État membre dont les juridictions sont compétentes en vertu de ces articles 4, 7, 10 ou 11 délivre le certificat successoral européen (art. 64). Ce certificat est d’une grande importance pratique (v. Rép. internat., Règlement n° 650/2012 sur les successions, par P. Lagarde, nos 222 s. ; H. Péroz et E. Fongaro, Droit international privé patrimonial de la famille, 2e éd., LexisNexis, 2017, n° 894) puisqu’il peut être utilisé, notamment, pour prouver la qualité et/ou les droits de chaque héritier ou l’attribution d’un bien déterminé ou de plusieurs biens déterminés faisant partie de la succession (art. 63). Il produit ses effets dans tous les États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure, et il est présumé attester fidèlement l’existence d’éléments qui ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession (art. 69).

C’est précisément sur la question de la délivrance de ce certificat que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 21 juin 2018 se penche.

Dans cette affaire, un ressortissant français était décédé alors que sa dernière résidence habituelle était située en France et qu’il possédait des biens en France mais également en Allemagne. Un certificat d’héritier fut délivré en France par un tribunal d’instance, manifestement en application du droit local applicable en Alsace et en Moselle (sur ce certificat, v. Rép. civ., Alsace et Moselle, par J.-L. Vallens, n° 104-105). Il indiquait que les deux enfants du défunt étaient héritiers pour moitié. L’un de ces enfants demanda ensuite au juge allemand un certificat d’hérédité limité aux biens situés en Allemagne. L’article 343 de la loi allemande relative à la procédure en matière familiale prévoit en effet que le juge allemand (plus spécialement le tribunal du district de Schöneberg à Berlin) est compétent pour délivrer un tel certificat dès lors que des biens de la succession sont situés en Allemagne, même si la résidence du défunt n’était pas située dans cet État. Le juge saisi se déclara toutefois incompétent, au motif que les dispositions de la loi allemande ne pouvaient pas être appliquées pour déterminer la compétence internationale, sans enfreindre l’article 4 du règlement du 4 juillet 2012, en vertu duquel sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa dernière résidence habituelle.

Il fut dès lors demandé à la CJUE de déterminer si l’article 4 du règlement n° 650/2012 s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit que, bien que le défunt n’eût pas, au moment de son décès, sa résidence habituelle dans cet État membre, les juridictions de ce dernier demeurent compétentes pour la délivrance des certificats successoraux nationaux, dans le cadre d’une succession ayant une incidence transfrontalière, lorsque des biens successoraux sont situés sur le territoire de cet État membre ou si le défunt avait la nationalité du même État membre.

L’arrêt du 21 juin 2018 apporte une réponse positive à cette question, en énonçant que l’article 4 du règlement s’oppose bien à une telle réglementation.

Sa position peut être approuvée. L’article 4 du règlement établit la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès pour statuer sur l’ensemble d’une succession et vise implicitement l’hypothèse d’une succession ayant une incidence transfrontalière (arrêt, pts 34 et 35), puisque le règlement a précisément pour objet d’apporter un cadre juridique adapté aux successions qui ont une dimension transfrontalière. Et, dès lors que cet article 4 donne compétence pour statuer sur l’ensemble d’une succession à ces juridictions, il faut en déduire qu’il s’applique à toutes les procédures en matière successorale qui se déroulent devant les juridictions des États membres (arrêt, pt 37). La CJUE en conclut que l’article 4 du règlement détermine la compétence internationale des juridictions des États membres relative aux procédures visant des mesures portant sur l’ensemble d’une succession, telles que, notamment, la délivrance des certificats successoraux nationaux, indépendamment de la nature contentieuse ou gracieuse de ces procédures (arrêt, pt 44).

Ce faisant, la Cour de justice de l’Union européenne entend limiter le risque de procédures parallèles devant les juridictions des différents États membres et de contradictions qui pourraient en résulter et ainsi favoriser une meilleure administration de la justice, dans l’esprit du considérant n° 7 du préambule du règlement, selon lequel ce texte a pour objectif de supprimer les difficultés pour faire valoir ses droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières.