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Article
Sur la concentration des moyens et des demandes indemnitaires devant le juge pénal en cas de relaxe
Sur la concentration des moyens et des demandes indemnitaires devant le juge pénal en cas de relaxe
Lorsque la partie civile sollicite du juge pénal qu’il se prononce selon les règles du droit civil, elle doit présenter l’ensemble des moyens qu’elle estime de nature à fonder ses demandes, de sorte qu’elle ne peut ensuite saisir le juge civil des mêmes demandes, fussent-elles fondées sur d’autres moyens. En revanche, lorsque la partie civile n’a pas usé de la faculté offerte par l’article 470-1 du code de procédure pénale, elle ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes indemnitaires devant le juge civil.
L’autorité de chose jugée est parmi les thèmes les plus complexes du droit judiciaire français. Il faut dire que la notion est obscurcie depuis qu’elle est devenue, avec la jurisprudence Cesareo, le véhicule du fameux devoir de concentration des moyens à la première instance utile. L’affaire tranchée le 14 avril 2023 donne l’occasion à la Cour de cassation d’y revenir en formation d’assemblée plénière et d’apporter d’importantes clarifications, en particulier lorsque le juge pénal est primitivement conduit à statuer sur intérêts civils.
Retraçons le fil de l’affaire, entreprise facilitée par le communiqué associé à l’arrêt. Un sapeur-pompier est au volant de son véhicule de secours routier. Il est percuté par un automobiliste et décède des suites de l’accident. Ses proches se constituent partie civile et demandent réparation civile de leur préjudice.
En première instance, un tribunal correctionnel juge le prévenu coupable d’homicide involontaire et accorde une indemnisation aux parties civiles.
Sur appel, une cour relaxe le prévenu et rejette la demande indemnitaire des parties civiles après avoir constaté que celles-ci ne réclamaient pas le bénéfice de l’article 470-1 du code de procédure pénale, aux termes duquel le juge pénal, qui relaxe un prévenu auquel est reprochée une infraction non intentionnelle, demeure compétent pour se prononcer sur intérêts civils, à la demande de la partie civile.
Ensuite de la relaxe et du débouté, les parties civiles saisissent le juge civil de leurs demandes indemnitaires, lequel déclare leur action irrecevable sur le fondement de l’autorité de chose jugée. Il appartenait, selon lui, aux parties civiles d’invoquer l’article 470-1 du code de procédure pénale devant le juge pénal afin d’obtenir la réparation escomptée. Faute de l’avoir fait, et d’avoir ainsi satisfait au devoir de concentration des moyens à la première instance utile, les parties civiles sont irrecevables à formuler de nouveau les mêmes demandes indemnitaires devant le juge civil, fût-ce au prix d’une modification du fondement juridique de la demande.
Un premier pourvoi est formé, qui conduit à une cassation sèche, au visa de l’article 1351, devenu 1355, du code civil, ensemble l’article 470-1 du code de procédure pénale :
« Le principe de la concentration des moyens ne s’étend pas à la simple faculté que la partie civile tire de l’article 470-1 du code de procédure pénale de présenter au juge pénal une demande visant à obtenir, selon les règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite ; (…) dès lors, la circonstance que la partie n’ait pas usé de cette faculté ne rend pas irrecevables comme méconnaissant l’autorité de la chose jugée les demandes de réparation des mêmes dommages présentées par elle devant le juge civil » (Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-15.738).
L’arrêt est inédit et rendu en formation restreinte, deux circonstances liées qui signent son caractère classique et peu novateur à l’estime de la deuxième chambre civile. De fait, cette solution était déjà acquise en jurisprudence (Civ. 2e, 15 nov. 2018, n° 17-18.656, D. 2018. 2243 ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; 6 déc. 2018, n° 17-27.086). La doctrine ne s’en est d’ailleurs pas émue.
La cour d’appel de renvoi se rebelle et s’oppose à la doctrine exprimée par l’arrêt de cassation, ce qui conduit l’assemblée plénière à statuer sur second pourvoi à la jonction des procédures civile et pénale.
Au fond, elle reprend la solution précédemment adoptée par la deuxième chambre civile, en la clarifiant par l’exposé d’une alternative d’apparence simple :
- lorsque la partie sollicite du juge pénal qu’il se prononce selon les règles du droit civil, elle doit présenter l’ensemble des moyens qu’elle estime de nature à fonder ses prétentions, de sorte qu’elle ne peut postérieurement saisir le juge civil des mêmes demandes, fussent-elles fondées sur d’autres moyens (concentration des moyens) ;
- en revanche, lorsque la partie civile n’a pas usé de la faculté qui lui est ouverte par l’article 470-1 du code de procédure pénale, elle ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes indemnitaires devant le juge civil (aucune concentration des demandes).
La solution appelle quelques observations sur la forme puis sur le fond.
Forme de la solution
L’arrêt rapporté est intéressant sous l’angle rédactionnel.
Tout d’abord, cet arrêt rendu sur second pourvoi permet d’apprécier l’enrichissement de la motivation réalisé, à solution quasiment identique : la deuxième chambre civile avait statué par un paragraphe expéditif en 2019 ; l’assemblée plénière statue en sept paragraphes plus étoffés en 2023. C’est le signe que la Cour de cassation prend la mesure de la rébellion, non seulement sous l’angle de la formation de jugement, mais aussi sous celui de la motivation de sa décision. La motivation initialement adoptée n’a manifestement pas convaincu la cour d’appel de renvoi et l’autorité juridictionnelle de la Cour de cassation n’y a pas suffi. Dès lors, il est temps de faire œuvre rhétorique pour emporter la conviction de la nouvelle cour...
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Auteur(s) : Serge Guinchard; Monique Bandrac; Serge Guinchard; Corinne Bléry; Georges Bolard; Vincent Bolard; Nicolas Cayrol; Didier Cholet; Dominique D Ambra; Carole Fattaccini; Frédérique Ferrand; Natalie Fr