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Suspension des nouveaux critères de vulnérabilité à la Covid-19 ouvrant droit à l’activité partielle

Le gouvernement ne peut pas, selon le juge des référés, exclure des pathologies ou situations qui présentent un risque équivalent ou supérieur à celles maintenues dans le décret qui permettent toujours de bénéficier de l’activité partielle.

L’insuffisante justification de la cohérence des nouveaux critères choisis justifie la suspension de l’exécution des articles 2, 3 et 4 du décret du 29 août 2020, de sorte que les critères de vulnérabilité du précèdent décret du 5 mai 2020 s’appliquent à nouveau le temps qu’il soit statué sur sa légalité au fond. 

par Loïc Malfettesle 19 octobre 2020

En réponse à l’épidémie de coronavirus, la loi du 25 avril 2020 avait prévu le placement en activité partielle des personnes vulnérables présentant un risque de développer une forme grave de l’infection ainsi que des personnes partageant leur foyer. Un décret daté du 5 mai 2020 avait alors défini 11 situations dans lesquelles une telle vulnérabilité était reconnue. Un nouveau décret du 29 août 2020 est ensuite venu restreindre le champ d’application du dispositif en réduisant à quatre les situations éligibles, tout en supprimant l’extension aux personnes partageant le foyer des sujets jugés vulnérables. Si ce resserrement des conditions d’accès au dispositif d’activité partielle peut aisément s’expliquer au regard de considérations budgétaires, il pouvait susciter des interrogations quant à la cohérence des critères retenus à l’aune d’un contexte épidémique toujours préoccupant. Ces interrogations se sont matérialisées par un recours de plusieurs requérants devant le juge des référés dirigé contre ce dernier décret, dont l’ordonnance du 15 octobre 2020 ci-après commentée constitue la réponse.

Le Conseil d’Etat fut en effet saisi d’une requête en référé aux fins de suspendre l’exécution du décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l’application de l’article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020.

Parmi les griefs formulés par les requérants - dont la ligue nationale contre l’obésité - à l’égard de l’acte réglementaire litigieux, était invoqué le fait qu’il méconnaîtrait l’article 20 de la loi du 25 avril 2020 en ce qu’il limite indûment la liste des personnes vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d’infection à la Covid-19 et serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il ne qualifie pas certaines catégories de personnes comme vulnérables.

Il serait en outre entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il met fin dès le 31 août 2020 au chômage partiel des salariés du secteur privé qui partagent le domicile d’une personne vulnérable.

Il méconnaîtrait encore aux yeux des requérants les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant respectivement l’homicide involontaire et les blessures involontaires graves, ainsi que le principe de sécurité juridique en ce qu’il impose un retour au travail à de nombreux salariés vulnérables ou partageant le domicile de personnes vulnérables dès le 31 août 2020, sans prévoir de délai d’adaptation suffisant.

Le Conseil d’Etat va entendre ces arguments et prononcer la suspension de l’exécution des articles 2, 3 et 4 du décret du 29 août 2020 jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur leur légalité. Il estime dans le même temps que le ministre pouvait légalement décider que les salariés cohabitant avec une personne vulnérable ne bénéficieront plus de l’activité partielle.

Le juge administratif a en effet estimé que bien que les dispositions de l’article 20 de la loi du 25 avril 2020 laissent au Premier ministre un large pouvoir d’appréciation pour définir les critères selon lesquelles une personne doit être regardée comme vulnérable, il lui incombe, dans la mise en œuvre de ce pouvoir réglementaire, de justifier de critères pertinents au regard de l’objet de la mesure et cohérents entre eux.

Reconnaissant qu’il pouvait à ce titre prendre en compte l’évolution de la situation sanitaire et la moindre circulation du virus à la date à laquelle il a pris le décret litigieux, ainsi que le renforcement des mesures de protection des personnes lors de leurs déplacements sur leur lieu de travail, pour retenir une liste de situations et de pathologies plus étroite que celle résultant du décret du 5 mai 2020, la haute juridiction considère toutefois qu’il ne pouvait en exclure des situations ou pathologies exposant - en l’état des connaissances scientifiques - à un risque de développer une forme grave d’infection à la Covid-19 équivalent ou supérieur à celui de situations ou pathologies pour lesquelles il a estimé ne pas devoir mettre fin à la mesure.

En d’autres termes, l’insuffisante justification de la cohérence des nouveaux critères choisis justifie la suspension de l’exécution du décret du 29 août 2020, de sorte que les critères de vulnérabilité du précédent décret du 5 mai 2020 s’appliquent à nouveau le temps qu’il soit statué sur sa légalité au fond.

La solution s’explique en effet à la lumière des arguments avancés par le ministre pour justifier l’ajustement des critères. Ce dernier justifiait sa décision sur la prise en considération de la littérature scientifique et de l’avis du Haut conseil de la santé publique. Rien pourtant dans ces sources ne justifiait de façon claire et unanime une différenciation, notamment dans la population des personnes souffrant d’obésité ou de diabète selon qu’ils ont plus ou moins de 65 ans.

L’on notera encore l’argument peu approprié du ministre évoquant la possibilité pour les cas nouvellement exclus du décret de recourir à un arrêt de travail de droit commun prescrit par leur médecin. Il a en effet été justement relevé par le juge que cette possibilité n’avait fait l’objet d’aucune information ni d’aucun rappel lors et depuis l’entrée en vigueur du décret du 29 août 2020. Au contraire, il avait même été indiqué aux médecins, notamment sur le site ameli.fr, qu’à compter du 1er septembre 2020, parmi les personnes vulnérables plus particulièrement exposées à la covid-19, « seuls les assurés couvrant les 4 situations [prévues par le décret du 29 août 2020] » pouvaient « obtenir un arrêt de travail et être indemnisés ».

Devant ces incohérences, le juge de l’urgence a justement conclu à l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte, justifiant la suspension de ses dispositions jusqu’à ce que soit rendue une décision au fond.

Sans préjuger de ce que sera la décision rendue au fond, l’ordonnance laisse aussi entrevoir une marge importante d’appréciation du gouvernement dès l’instant où il s’assure d’une justification cohérente des ajustements qu’il décrète, en atteste la suppression – non suspendue – du bénéfice de l’activité partielle aux salariés cohabitants avec une personne vulnérable, l’article 1er du décret du 29 août 2020 n’étant pas cité dans le dispositif ordonnant la suspension de l’exécution.