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Taxation d’honoraires et prescription

La décision du bâtonnier ne constitue pas, tant qu’elle n’a pas été rendue exécutoire, un titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution. Elle n’est par conséquent pas soumise au délai de dix ans prévu pour l’exécution des titres exécutoires à l’article L. 111-4 du même code. Il s’en déduit que la demande tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier doit être présentée dans le délai de prescription de la créance.

Un avocat défend les intérêts de ses clients dans une procédure qui s’achève en octobre 1996. Une difficulté apparaît, qui conduit l’avocat à saisir son bâtonnier en taxation d’honoraires. Le 1er août 2002, le bâtonnier rend une ordonnance de taxe fixant à une certaine somme le montant des honoraires à verser. Par ordonnance du 3 décembre 2003, un premier président de cour d’appel déclare irrecevable le recours formé contre cette décision ordinale.

En 2012, l’un des débiteurs décède. Ne décourageant pas – nous sommes déjà plus de 15 ans après la fin de la mission de l’avocat… –, l’avocat, poursuivant désormais le recouvrement de sa créance à l’encontre des ayants droit du défunt, s’oppose à partage auprès du notaire chargé de la succession et fait inscrire une hypothèque judiciaire sur divers immeubles appartenant aux intéressés ou dépendant de la succession.

Le 21 mai 2015, les ayants droit soutiennent que l’avocat ne dispose pas d’un titre exécutoire. Ils l’assignent donc devant un tribunal de grande en instance en vue d’obtenir la mainlevée des inscriptions d’hypothèque et l’annulation de l’opposition à partage.

Parallèlement, l’avocat s’empresse logiquement de saisir le président d’une juridiction civile afin qu’il appose la formule exécutoire sur l’ordonnance de taxe litigieuse. Cette requête est rejetée par une ordonnance du 19 décembre 2017.

Sur recours, une cour d’appel infirme et rend exécutoire l’ordonnance de taxe, par arrêt non contradictoire du 5 avril 2022. Les consorts sollicitent la rétractation de cet arrêt. Ils arguent en particulier que l’avocat était prescrit en sa demande d’apposition de la formule exécutoire. En vain : par un arrêt du 6 décembre 2022, la cour d’appel rejette cette argumentation et la requête en rétractation, motif pris que la demande d’apposition de la formule exécutoire sur une ordonnance de taxe ne serait soumise à aucun délai de prescription. Les consorts se pourvoient en cassation.

Le moyen de cassation tient en deux branches, l’une principale, l’autre subsidiaire, lesquelles sont néanmoins adossées à l’idée commune que la demande d’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance de taxe doit être regardée comme une action tendant au recouvrement de la créance constatée par l’ordonnance.

L’argumentation principale, figurant dans la première branche, expose que le recouvrement d’une créance d’honoraires d’avocat est soumis à la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation, de sorte l’avocat était en l’espèce prescrit en sa demande d’apposition de formule exécutoire sur l’ordonnance de taxe.

L’argumentation subsidiaire, figurant dans la seconde branche, expose qu’à supposer que l’action tendant à rendre exécutoire la décision du bâtonnier relève plutôt de la prescription de droit commun de cinq ans figurant à l’article 2224 du code civil, cette prescription était acquise au plus tard cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2013, de sorte que, là encore, l’avocat serait prescrit en sa demande d’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance de taxe.

Globalement, l’idée est que, si la demande d’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance de taxe est bien prescriptible, l’avocat est nécessairement prescrit, qu’il s’agisse d’une prescription biennale de droit spécial ou quinquennale de droit commun. Il fallait donc surtout convaincre la Cour de cassation du caractère prescriptible de la demande d’apposition de formule exécutoire sur l’ordonnance de taxe.

Le pari est gagné, même si la Cour de cassation ne suit pas les requérants dans le détail de leur argumentaire.

La deuxième chambre civile est à la cassation au visa de quatre textes – les articles 2219 et 2224 du code civil, l’article L. 218-2 du code de la consommation et l’article 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Après en avoir rappelé la teneur, la Cour rappelle celle de sa propre jurisprudence s’agissant de la prescription du droit de créance de l’avocat sur son client : le délai varie selon la nature de la relation existant entre eux. Ainsi, la demande est soumise au délai biennal prévu par l’article L. 218-2 du code de la consommation lorsque la demande est dirigée contre une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins n’entrant pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale – bref, un consommateur (Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-11.599, Dalloz actualité, 30 mars 2015, obs. A. Portmann ; D. 2015. 812 ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle ; ibid. 2016. 101, obs. T. Wickers ; ibid. 449, obs. N. Fricero ). Sinon, le délai quinquennal de droit commun s’applique (Civ. 2e, 7 févr. 2019, n° 18-11.372, Dalloz actualité, 21 févr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 314 ; ibid. 2020. 108, obs. T. Wickers ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2020. 19, chron. O. Salati ).

La Cour ajoute que la décision du bâtonnier, laquelle « ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d’un jugement, fût-elle devenue irrévocable par suite de l’irrecevabilité du recours formé devant le premier président de cour d’appel, ne peut faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée...

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