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Terrorisme : l’Assemblée crée un nouveau régime de sûreté

Mercredi, la commission des lois de l’Assemblée a adopté une proposition de loi créant une nouvelle mesure de sûreté visant les sortants de prison condamnés pour terrorisme. Une mesure de sûreté proche d’une peine, nouvelle étape d’un durcissement de la justice antiterroriste.

par Pierre Januelle 19 juin 2020

Au 30 mars 2020, il y avait dans les prisons françaises 534 personnes détenues pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste (TIS). 153 d’entre elles doivent être libérées dans les trois ans qui viennent. Par ailleurs, le renseignement pénitentiaire considérait que 853 détenus de droit commun étaient radicalisés (RAD), dont 327 doivent être libérés avant fin 2022.

Pour Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a rédigé la proposition de loi avec Raphaël Gauvain, il faut apporter une réponse à ces condamnés, qui suscitent l’inquiétude des services de renseignement et de certains magistrats. Le texte propose donc une nouvelle mesure de sûreté, afin de contrôler ces sortants de prison.

Renforcer l’arsenal des mesures de sûreté

En matière terroriste, de nombreuses mesures de sûreté existent déjà, prononcées par les autorités administratives ou judiciaires. Ainsi, les personnes soupçonnées de terrorisme peuvent faire l’objet d’une MICAS, mesure qui a succédé aux assignations à résidence de l’état d’urgence et qui oblige notamment à trois pointages hebdomadaires. Fin mars, une cinquantaine de MICAS étaient en vigueur (près de 80 % concernent des sortants de prison).

Les sortants de prison font également l’objet d’une surveillance par les services de renseignement. Le renseignement pénitentiaire communique à la DGSI des notes de signalement en fin d’incarcération avant la libération des détenus TIS ou RAD. Tous les mois se tient une réunion d’échanges et de coordination permettant de dresser un tableau exhaustif des personnes appelées à être libérées.

Mais les sortants de prison, condamnés par la justice, peuvent aussi faire l’objet de mesures judiciaires. Ils sont d’abord systématiquement inscrits au FIJAIT, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. La personne doit alors déclarer tout changement d’adresse ou déplacement à l’étranger.

La justice peut prononcer des mesures plus contraignantes. Depuis 2016, les personnes peuvent être condamnées à un suivi sociojudiciaire. Mais en vertu de la non-rétroactivité, seules les personnes ayant commis des faits depuis quatre ans peuvent y être soumises.

Enfin, un sortant de prison peut être astreint à une mesure de surveillance judiciaire pendant une période égale aux réductions de peines dont il a bénéficié. Mais les aménagements de peine pour les terroristes ont été pratiquement supprimés, par la loi comme par la pratique.

Un nouveau dispositif

Le suivi sociojudiciaire et la surveillance judiciaire n’étant pas applicables pour de nombreux sortants de prison, pour éviter les sorties sèches, les députés ont cherché une mesure plus contraignante que les MICAS, mais qui ne soit pas considérée comme une peine, afin d’être d’application immédiate. D’où cette nouvelle mesure de sûreté, qui s’inspire de la surveillance de sûreté applicable aux criminels sexuels.

Par un nouvel article du code de procédure pénale, les juridictions régionales de la rétention de sûreté pourront astreindre une personne condamnée pour faits de terrorisme (hors apologie) à des mesures de sûreté. Il faudra qu’à l’issue de sa peine, le condamné présente « une particulière dangerosité caractérisée par une adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » et une « probabilité très élevée » de commettre une infraction terroriste. Les mesures de sûreté prononcées devront être « l’unique moyen judiciaire de prévenir la commission » d’une infraction terroriste. Préalablement à sa libération, le condamné fera l’objet pendant six semaines d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.

Pour une durée d’un an, prolongeable jusqu’à dix ans, la personne devra obtenir l’autorisation préalable d’un juge de l’application des peines pour tout déplacement à l’étranger et tout changement d’emploi ou de résidence. Elle pourra pointer dans un commissariat jusqu’à trois fois par semaine et subir des interdictions de paraître ou d’entrer en relation avec certaines personnes.

Si, pour des raisons constitutionnelles et pratiques, la commission des lois a supprimé le port d’un bracelet électronique mobile, le sortant de prison pourra être astreint à respecter « une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs citoyennes », éventuellement dans un établissement adapté. En cas de non-respect des obligations, la personne pourra être punie de trois ans de prison.

Une justice antiterroriste préventive

Cette proposition de loi montre l’aspect préventif qui est assigné à la justice antiterroriste. Il ne s’agit pas de punir des faits, mais d’empêcher la commission d’un nouvel attentat. D’où le durcissement progressif des mesures de sûreté, qui ressemblent de plus en plus à des peines. Comme l’a relevé le Conseil d’État, « si la distinction entre peine et sûreté est claire en principe, elle l’est moins dans le code pénal de procédure pénale ». Pour fonder le prononcé de ces mesures, il y a la notion de dangerosité. Une dangerosité pourtant difficilement évaluable, surtout quand les autorités visent le risque zéro.

La proposition de loi sera débattue en hémicycle dès lundi. En commission, les débats ont été calmes, seule la France insoumise s’opposant au texte. À noter, le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas avait déposé en mars un texte qui proposait un dispositif semblable.