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Terrorisme : retour sur les préjudices de la victime directe

Une indemnisation pleine et entière de la perte de gains professionnels futurs est possible même si la victime était sans emploi au moment du fait dommageable. Les conséquences sociales du dommage sont indemnisables à la fois dans la sphère professionnelle (IP) et dans la sphère personnelle (DFP). L’indemnisation des souffrances endurées comprend celle du préjudice d’angoisse au cours de l’enlèvement lorsque la victime a survécu.

Prise en charge, depuis la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, par la solidarité nationale, la réparation des dommages corporels des victimes d’actes de terrorisme s’inscrit dans le mouvement de « déclin de la responsabilité individuelle » (G. Viney, Le déclin de la responsabilité individuelle, LGDJ, 1963) au profit de mécanismes collectifs d’indemnisation. Aux termes de l’article L. 422-1 du code des assurances, « la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne est assurée par l’intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions » (FGTI), et financée par une contribution nationale de solidarité prélevée sur les contrats d’assurance de biens. Ce mécanisme connaît une forte actualité depuis les attentats perpétrés en France en 2015 et 2016, lesquels ont conduit à s’interroger sur l’efficacité (A. Cayol et A. Coviaux, L’influence du terrorisme sur l’indemnisation du dommage corporel, Gaz. Pal. 29 mai 2018, n° 19, p. 38) et la pérennité du système mis en place (R. Bigot et A. Cayol, L’influence du terrorisme sur le droit des assurances, RGDA déc. 2019, p. 6).

Par une série de cinq arrêts rendus le 27 octobre 2022 (sur lesquels, v. C. Quézel-Ambrunaz, Victimes d’acte de terrorisme : redéfinition des contours de leur indemnisation, Lexbase Hebdo édition privée, nov. 2022), la deuxième chambre civile précise la notion de victime (en excluant les simples témoins, v. Civ. 2e, 27 oct. 2022, n° 21-13.134, Dalloz actualité, 10 nov. 2022, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2022. 1901 ), et apporte d’utiles précisions concernant les préjudices indemnisables des victimes directes (Civ. 2e, 27 oct. 2022, n° 21-12.881, objet du présent commentaire, D. 2022. 1902 ) et des victimes indirectes (Civ. 2e, 27 oct. 2022, nos 21-24.424, 21-24.425 et 21-24.426, Dalloz actualité, à paraître, obs. R. Bigot et A. Cayol ; D. 2022. 1902 ).

Conformément au principe de réparation intégrale, il convient de replacer la victime, autant qu’il est possible, dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable n’avait pas eu lieu. Il ne doit en résulter pour elle ni perte ni profit. Cela suppose de pouvoir, d’une part, établir les préjudices subis et, d’autre part, les quantifier avec précision.

En l’espèce, deux personnes ont été victimes d’un enlèvement par des terroristes. L’une d’elles est exécutée par les ravisseurs. L’autre est finalement libérée au bout de trois ans. Cette victime, ayant refusé l’offre d’indemnisation présentée par le FGTI, l’assigne pour obtenir indemnisation de ses préjudices. Les juges du fond lui octroient 262 918,30 € au titre des pertes de gains professionnels futurs (PGPF), retenant une « perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable » et se référant, pour évaluer le préjudice, à la moyenne des salaires perçus au cours des quatre dernières années précédant l’enlèvement. Une somme de 20 000 € est, en outre, accordée à la victime au titre de l’IP, ainsi que 82 000 € en réparation de son déficit fonctionnel permanent. Enfin, 500 000 € lui sont alloués au titre des souffrances endurées.

Le FGTI forme un pourvoi en cassation. Il invoque, d’abord, une violation de l’article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de réparation intégrale concernant l’évaluation des PGPF. Il souligne, en effet, que la victime « était sans emploi à la date du fait dommageable, de sorte qu’[elle] ne pouvait prétendre, avant comme après la consolidation, qu’à l’indemnisation d’une perte de chance d’exercer une activité professionnelle ». Il soutient, ensuite, que les juges du fond auraient violé les mêmes texte et principe en réparant deux fois le même préjudice. En effet, les répercussions de l’enlèvement sur son « existence sociale », évoquées...

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