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Terroristes sortant de prison : une censure et un nouveau texte ?

Début août, le Conseil constitutionnel a censuré la quasi-totalité de la proposition de loi qui visait à créer un nouveau régime de mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Mais il a aussi indiqué le chemin pour passer outre cette censure.

par Pierre Januelle 31 août 2020

En votant la proposition de loi visant à instaurer ce nouveau régime de mesures de sûreté, le législateur savait qu’il s’était engagé sur un chemin de crête. Porté par la présidente de la commission des lois Yaël Braun-Pivet, le texte visait à répondre aux problèmes des « sorties sèches » de la plupart des 153 condamnés pour terrorisme qui sortiront de prison d’ici 2022 (v. Dalloz actualité, 19 juin 2020, art. P. Januel). Souvent condamnés à des peines longues, sans aménagement, ils n’ont pas systématiquement été contraints à un suivi sociojudiciaire (la loi de 2016 n’étant pas rétroactive).

Les parlementaires souhaitaient mettre en place un régime plus sévère que les mesures administratives (MICAS), sans toutefois en faire une peine, afin de permettre sa rétroactivité. Selon la proposition de loi, la personne condamnée à une peine privative de liberté d’une durée d’au moins cinq ans, qui présentait, à l’issue de sa peine, une « particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme » pouvait se voir contraindre à un certain nombre de mesures de sûreté. Cela pendant dix ans, avec une révision annuelle. La personne aurait ainsi pu être obligée d’établir sa résidence dans un lieu déterminé (éventuellement un établissement d’accueil), obtenir une autorisation pour changer d’emploi ou de résidence, pointer trois fois par semaine au commissariat, voire être placée sous surveillance électronique mobile (avec son accord).

Après de longs débats internes, le Conseil d’État avait donné un avis favorable au texte, tout en soulignant qu’il était difficile de garantir sa constitutionnalité. Il avait suggéré différentes modifications, toutes reprises par les députés et les sénateurs.

Les raisons d’une censure

Pour le Conseil constitutionnel, l’équilibre n’est pas encore atteint. Sur un point, il donne raison aux parlementaires : ce sont bien des mesures de sûreté et non des peines. Toutefois, elles ne sont constitutionnelles que si aucune autre mesure moins attentatoire aux libertés n’est suffisante et si « ces mesures et leur durée [sont] adaptées et proportionnées ».

La proposition de loi souffre de plusieurs écueils. D’une part, le Conseil souligne la rigueur des mesures et leur durée très longue. Par ailleurs, « les durées maximales s’appliquent en considération de la peine encourue, quel que soit le quantum de la peine prononcée ». Le Conseil regrette aussi que la durée de la peine (cinq ou trois ans) à partir de laquelle les mesures de sûreté peuvent être prononcées ne prenne pas en compte l’éventualité qu’elles aient en partie relevé d’un sursis simple.

Autre point : le Conseil a souligné qu’il n’était pas exigé que la personne ait pu, pendant l’exécution de cette peine, bénéficier de mesures de nature à favoriser sa réinsertion. Enfin, les renouvellements de la mesure pouvaient être décidés sans que la dangerosité de la personne soit corroborée par des éléments nouveaux ou complémentaires. Pour ces raisons, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, le Conseil a censuré l’essentiel de la loi.

Un texte de remplacement ?

Le texte, résultat du contrôle parlementaire, était une proposition de loi des députés, fortement soutenue par le procureur national antiterroriste. Comme pour de nombreux textes à la constitutionnalité douteuse (comme la loi Avia, fake news ou la loi sur les manifestations), le gouvernement a laissé place à l’initiative parlementaire, d’autant que l’ancienne ministre de la justice Nicole Belloubet était réticente.

Au Parlement, seule une poignée de parlementaires s’étaient déclarés opposés au texte, la menace terroriste restant prégnante. Au final, les sénateurs socialistes, les députés de gauche et le président de l’Assemblée nationale avaient saisi le Conseil constitutionnel. Comme si les parlementaires avaient demandé au Conseil de prendre leurs responsabilités.

En indiquant les motifs ayant conduit à juger le texte déséquilibré, le Conseil a lui-même ouvert la porte à un texte de remplacement. Éric Dupond-Moretti a déclaré que le gouvernement travaillait à « l’adaptation et au renforcement de ce dispositif ». À l’heure actuelle, selon nos informations, le texte de remplacement n’est pas arrêté, ni l’éventuel véhicule législatif (proposition parlementaire ou projet gouvernemental).