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Titre exécutoire européen : défendeur sans adresse connue et non comparant

En cas d’impossibilité pour une juridiction de se procurer l’adresse du défendeur, le règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 ne permet pas de certifier en tant que titre exécutoire européen une décision judiciaire relative à une créance, rendue à la suite d’une audience à laquelle n’ont comparu ni le défendeur ni le tuteur désigné pour les besoins de la procédure.

par Guillaume Payanle 24 juillet 2019

Dans le domaine de la coopération judiciaire civile (TFUE, art. 81), plusieurs règlements européens peuvent être utilisés pour rendre exécutoire un titre (décision de justice, acte authentique, transaction judiciaire) dans un État membre différent de celui dans lequel il a été obtenu. Les dispositifs de reconnaissance et d’exécution transfrontières diffèrent d’un règlement à l’autre. Si dans certains d’entre eux la procédure d’exequatur est supprimée (par ex., règl. (UE) n° 1215/2012 du 12 déc. 2012 dit « Bruxelles I bis », JOUE n° L 351, 20 déc. 2012, p. 1), dans d’autres cette procédure est simplement « allégée » (par ex., règl. (CE) n° 650/2012 du 4 juill. 2012 dit « Successions transfrontières », JOUE n° L 201, 27 juill. 2012, p. 107). Dans ce paysage, un règlement se singularise : le règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (JOUE n° L 143, 30 avr. 2004, p. 15). Il a la particularité de prévoir un contrôle de la régularité internationale du titre dans l’État membre d’origine et non, comme c’est traditionnellement le cas, dans l’État membre d’exécution.

En application du règlement (CE) n° 805/2004, une décision qui a été certifiée en tant que titre exécutoire européen par la juridiction qui l’a prononcée est reconnue et exécutée, dans les autres États membres (à l’exception du Danemark), sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance (Règl. (CE) n° 805/2004, art. 5).

Assurément, cette certification est soumise à la réunion de plusieurs conditions, lesquelles sont définies à l’article 6 du règlement. À ce titre, la décision à exécuter doit être exécutoire dans l’État membre d’origine et ne doit pas être « incompatible » avec les dispositions ayant trait à la compétence internationale figurant dans les sections 3 (en matière d’assurance) et 6 (compétences exclusives) du règlement (CE) n° 44/2001 dit « Bruxelles I » (référence qu’il convient désormais de faire aux dispositions correspondantes du règlement (UE) n° 1215/2012 « Bruxelles I bis », préc.). De même, il faut que la procédure judiciaire mise en œuvre dans l’État membre d’origine satisfasse aux « normes minimales » visées dans le chapitre III du règlement (CE) n° 805/2004, lorsque l’on est en présence d’une « créance incontestée » au sens de l’article 3, paragraphe 1, point b) ou c) de ce même règlement. Ainsi, en application des dispositions de cet article 3 du règlement (CE) n° 805/2004, une créance est réputée incontestée respectivement si « le débiteur ne s’y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l’État membre d’origine, au cours de la procédure judiciaire » ou si « le débiteur n’a pas comparu ou ne s’est pas fait représenter lors d’une audience relative à cette créance après l’avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire, pour autant que sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l’État membre d’origine ». Ces normes minimales concernent principalement le contenu et les modalités de notification de l’acte introductif d’instance. Elles se rejoignent autour de l’objectif d’assurer que la personne contre qui l’exécution est poursuivie avait bien connaissance de la procédure dirigée à son encontre dans l’État membre d’origine.

En l’espèce, un litige opposait deux individus au sujet d’une dette locative relative à un appartement situé en République tchèque. Le second avait signé une reconnaissance de dette au profit du premier et s’était engagé à payer les sommes dues dans un certain délai, ce qu’il n’a pas fait. Le créancier saisit donc la juridiction tchèque compétente (le tribunal de district de České Budějovice, juridiction de renvoi). Or, malgré ses recherches, cette dernière n’est pas parvenue à identifier l’adresse du débiteur. Ainsi que le permet le code de procédure civile tchèque dans un cas semblable, un « tuteur » a alors été désigné pour le « représenter » dans cette instance. Cependant, ni le débiteur, ni son « tuteur » n’ont comparu à l’audience. Le créancier ayant présenté des éléments de preuve à cette audience, il a été fait droit à sa demande. Le débiteur a été condamné et la décision a été signifiée au – seul – tuteur. Par la suite, le créancier a demandé à ce que cette décision de condamnation soit certifiée en tant que titre exécutoire européen, ce que refusa la juridiction sollicitée. À ce stade de la procédure, cette juridiction tchèque de première instance a en effet estimé que la créance litigieuse ne pouvait être considérée comme « incontestée » au sens du règlement (CE) n° 805/2004.

La procédure ne s’arrête cependant pas là. Par la suite, le créancier a saisi la Cour constitutionnelle tchèque et a obtenu une remise en cause de la décision du juge de première instance. Plus exactement, est jugée « inconstitutionnelle », la démarche ayant consisté à refuser la certification en tant que titre exécutoire européen de la décision de condamnation, sans avoir préalablement interrogé la Cour de justice de l’Union européenne. Par voie de conséquence, les juges du tribunal de district de České Budějovice décident de surseoir à statuer et saisissent la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle.

Si la demande porte sur la notion de créance incontestée, la Cour de justice de l’Union européenne entend raisonner sur le terrain des droits de la défense. Elle reformule donc en conséquence la question posée et dit pour droit que le règlement (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004 « doit être interprété en ce sens que, en cas d’impossibilité pour une juridiction de se procurer l’adresse de la défenderesse, il ne permet pas de certifier en tant que titre exécutoire européen une décision judiciaire relative à une créance, rendue à la suite d’une audience à laquelle n’ont comparu ni la défenderesse ni le tuteur désigné pour les besoins de la procédure ».

On ne peut qu’approuver une telle solution respectueuse des droits de la défense du défendeur non comparant. Pour rappel, la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà jugé qu’un jugement par défaut prononcé à l’encontre d’un défendeur dont l’adresse n’est pas connue ne pouvait être certifié en tant que titre exécutoire européen (CJUE 15 mars 2012, aff. C-292/10, D. 2012. 952 ; ibid. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke ; RTD eur. 2013. 683, obs. F. Benoît-Rohmer ; Europe, avr. 2012. Comm. 173, note L. Idot ; Lexbase Hebdo, édition privée n° 488, 7 juin 2012, note G. Payan). La présente affaire permet donc à la Cour de Luxembourg d’indiquer qu’une telle solution « reste valide en dépit de la désignation d’un tuteur pour les besoins de la procédure » (arrêt sous commentaire, pt 26). Reconnaissons, en effet, que les garanties apportées par la nomination d’un tel « tuteur » – que la Cour de justice prend soin de distinguer d’un « représentant du débiteur », au sens de l’article 15 du règlement (CE) n° 805/2004 – apparaissent bien faibles, d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, il ne se présente pas à l’audience à laquelle il a été convoqué !