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Le procès en appel d’Alexander Vinnik, jugé pour son rôle dans les extorsions opérées par le rançongiciel Locky, a débuté la semaine dernière à Paris. Une nouvelle audience moins sujette à incidents mais toujours hautement inflammable.
par Gabriel Thierryle 26 mai 2021
Depuis une semaine, on allume beaucoup de bougies à la onzième chambre correctionnelle du second pôle de la cour d’appel de Paris, qui juge, sept mois après son premier procès, Alexander Vinnik, un homme longiligne aux cheveux ras. Celui qui conteste toutes les charges, se comparant à un simple guichetier de banque, est accusé d’avoir été l’organisateur d’une extorsion numérique emblématique des nouvelles formes de la criminalité.
— Chaque soir, je brûle un cierge en espérant que vous acceptiez notre demande, lance ainsi Me Frédéric Belot, l’un des deux avocats du prévenu, à destination de la présidente Garnier, faisant sourire la magistrate.
— Chaque jour, nous brûlons un cierge intérieurement pour recevoir toutes vos pièces, réplique, narquois, l’avocat général Jérôme Marilly.
Un échange, sur le ton de l’humour, qui est révélateur. Après un premier procès très dense, marqué par de nombreux incidents, les débats sur l’affaire Vinnik, toujours vifs, sont en effet devenus un peu plus feutrés à la cour d’appel. Pour prévenir un nouvel incendie en appel, le parquet général avait d’ailleurs demandé la présence d’un représentant du barreau. Me Jean-Yves Le Borgne était ainsi présent à l’ouverture de l’audience de ce dossier très sensible qui mêle technologie et géopolitique.
L’appel de ce prévenu très attendu – arrêté en Grèce en 2017, extradé en janvier 2020, il est réclamé par les États-Unis et la Russie – avait surpris. Ce Russe de 42 ans est soupçonné d’avoir été à la manœuvre derrière le rançongiciel Locky, un logiciel chiffrant vos données pour ensuite pour réclamer une rançon qui avait fait de nombreuses victimes en France. Condamné sur le seul blanchiment à cinq ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende, il avait été relaxé sur le reste des poursuites informatiques. Une condamnation initiale synonyme de libération prochaine, au vu de son temps de détention pouvant être comptabilisé à son avantage en France, le prévenu ayant été notifié du mandat d’arrêt européen en juin 2018.
La CEDH en ligne de mire
L’une des raisons de cet appel a été exposée dans la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, soutenue sans succès au premier jour du procès. « Une fois qu’il aura purgé sa peine en France, Alexander Vinnik doit être renvoyé en Grèce pour être extradé aux États-Unis, où il risque plus de cinquante ans de prison », avait détaillé le très russophile Me Belot, avocat d’honneur de la Russie et docteur honoris causa de l’Académie des avocats de Russie. La justice américaine le soupçonne d’avoir blanchi plusieurs milliards de dollars à travers la plateforme d’échanges de cryptomonnaies BTC-e, l’ancienne grande lessiveuse de l’argent sale mondial.
Outre le conseil français, la défense s’appuie sur la bouillante Zoé Konstantopoúlou. L’avocate grecque fait feu de tout bois. Une saturation de l’audience qui flirte avec la défense de rupture. Suggérant une indication claire sur la voie juridique privilégiée : pouvoir invoquer, dans une procédure ultérieure devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la violation du droit à un procès équitable. Et ainsi avoir de nouveaux arguments pour empêcher une extradition outre-Atlantique.
Ce qui explique le jeu d’équilibriste subtil mené par la présidente Garnier. La magistrate tente de garder le contrôle des débats avec souplesse. Tout en conservant en tête le calendrier prévu de l’audience, elle laisse retomber la tension en accordant des petites victoires sur des détails pratiques – comme une reprise d’audience plus tardive dans l’après-midi. Sans toutefois pouvoir empêcher de sévères passes d’armes, marques emblématiques de cette affaire.
— Vous parlez d’une attaque informatique dont je n’ai pas connaissance, tance ainsi par exemple l’avocat général Marilly.
— Cela vous gêne de parler d’un fait établi ?, rétorque Zoé Konstantopoúlou.
— Donnez-moi vos preuves avant de questionner le témoin, répond aussitôt le magistrat. Nous vous avons expliqué hier le principe du contradictoire. Une nouvelle fois, on empiète sur tous les principes du procès pénal. On mélange des torchons et des serviettes et on interroge le témoin sur des choses qui ne le concernent pas.
— Il n’y a pas de leçon à donner à la défense alors que nous demandons depuis le début l’accès à la preuve, s’insurge alors Me Belot.
Nouveaux témoins
Pour appuyer son argumentaire sur ce point, la défense s’est appuyée sur l’audition d’un nouveau témoin, le spécialiste de la sécurité des réseaux Éric Laurent-Ricard. Vendredi après-midi, cet expert est ainsi venu appuyer à la barre la demande de la défense d’une analyse des scellés transmis par les autorités judiciaires américaines. Des éléments qui ont permis de confondre Alexander Vinnik, soupçonné, après analyse de la base de données de la plateforme BTC-e, d’avoir récupéré les trois quarts des rançons payées par les victimes de Locky.
Pour tenter de renverser la balance sur le volet informatique, le parquet général avait lui aussi appelé à un nouveau témoignage. « La particularité de Locky, c’était qu’il s’agissait d’un petit groupe, avec un seul donneur d’ordre », remarque ainsi le commandant de police Aurélien D…, en charge de l’enquête sur le logiciel malveillant. « Ce qui est important c’est le destinataire final, ajoute-t-il. Le seul objectif d’un rançongiciel, c’est l’argent, donc la question c’est qui touche au final l’argent. » Une remarque importante alors que le tribunal correctionnel avait jugé qu’il n’y avait pas d’éléments indiquant qu’Alexander Vinnik ait participé à la conception et la diffusion de Locky.
La défense ne loupe d’ailleurs pas l’occasion de souligner l’absence directe de preuves.
— Avez-vous pu faire un lien entre Alexander Vinnik et les affiliés de ce rançongiciel ?, demande Me Belot.
— Pour la partie de l’enquête consacrée à l’infrastructure, nous n’avons pas identifié Alexander Vinnik, admet Aurélien D….
Me Belot enfonce le clou. « Nous n’avons pas de photos, pas de rencontres dans un café pour organiser le blanchiment. Je ne vois pas comment un opérateur dans une entreprise privée aurait pu être au courant alors que les services de police n’y sont pas arrivés. » Puis, alors que les échanges s’éternisent autour de l’audition du témoin, le prévenu, la voix rocailleuse, prend la parole pour demander à ses conseils de passer à autre chose. « Vous n’êtes pas les avocats de Locky : tout le monde sait que Locky, ce n’est pas moi, assure-t-il. Il n’y a rien ici qui le relie à moi. Nous pouvons peut-être passer à des choses plus intéressantes ? » Le procès doit se terminer ce vendredi.
Sur le procès Alexander Vinnik, Dalloz actualité a également publié :
• Distribution de masques chirurgicaux à l’audience : la défense dénonce une « mise en scène », par P.-A. Souchard, le 29 janvier 2020.
• Rançongiciel Locky : la défense d’exaspération des avocats de l’unique prévenu, par P.-A. Souchard, le 20 octobre 2020.
• Rançongiciel Locky : un cas d’école, selon un enquêteur, un travail bâclé selon le prévenu, par P.-A. Souchard, le 21 octobre 2020.
• Procès Vinnik : incidents, par P.-A. Souchard, le 22 octobre 2020.
• Rançongiciel Locky : « Si j’avais vu que la plateforme servait à blanchir des fonds, je me serais adressé à la police », par P.-A. Souchard, le 23 octobre 2020.
• Dix ans requis contre la « tête pensante » du rançongiciel Locky, par P.-A. Souchard, le 26 octobre 2020.
• Rançongiciel Locky : Vinnik relaxé des faits de cybercriminalité mais condamné pour blanchiment, par P.-A. Souchard, le 8 décembre 2020.
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