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Trafic d’influence : rappel de la nécessité d’une décision favorable obtenue par une administration

La Cour de cassation juge que le fait de se faire remettre par un agent d’une administration publique une information ou un document, même non accessible au public, ne peut constituer l’obtention d’une décision favorable de cette administration au sens de l’article 433-2 du code pénal.

par Julie Galloisle 5 décembre 2017

En l’espèce, le directeur financier et administratif de la société Direction des constructions navales internationale, de juin 1992 à août 2002, a été déclaré coupable, par arrêt du 12 mai 2016 par la cour d’appel de Paris, du chef de trafic d’influence actif. Celui-ci avait à la fois accepté et sollicité, moyennant rémunérations, des propositions commerciales destinées à obtenir, grâce à l’usage de son influence, des fichiers couverts par le secret professionnel auprès d’un agent public habilité à consulter la base de données qui les contenait, cette base de données, non accessible au public, nécessitant une habilitation et un code d’accès.

Condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et 15 000 € d’amende, le prévenu a formé un pourvoi en cassation au moyen que le délit n’était pas caractérisé au regard du résultat obtenu par le trafic d’influence.

Il convient de rappeler que, déjà à l’époque des faits, l’article 433-2 du code pénal incriminait, au titre du trafic d’influence actif commis par un particulier, celui qui propose un avantage à une personne ou cède aux sollicitations de celle-ci afin qu’elle abuse de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable.

Si, à la lecture de cet article, le champ d’application du résultat escompté par l’auteur apparaît particulièrement large, le législateur offre à tout le moins deux précisions quant à la forme que doit prendre ce résultat.

La première réside en sa forme, à savoir, outre l’attribution d’une distinction, d’un emploi ou d’un marché, celle d’une « décision favorable ». Deux critères s’en évincent alors, à savoir l’existence d’une décision qui se doit d’être favorable à l’auteur.

S’agissant, d’une part, du caractère favorable de la décision, celui-ci ne pose pas de difficulté en l’espèce. Il convient en effet de relever qu’en l’absence de toute autre précision, la jurisprudence adopte une acception large de ce caractère favorable, à savoir tout ce qui peut être bénéfique à l’auteur. C’est ainsi que la chambre criminelle a jugé coupable de trafic d’influence d’actif le fait pour un particulier de remettre à un receveur principal des services fiscaux des sommes d’argent, en rémunération de l’influence qu’il lui supposait, afin qu’il « étouffe » une affaire constitutive d’une infraction à la réglementation des changes (Crim. 20 mars 1997, n° 96-82.286, Bull. crim. n° 117 ; RTD com. 1997. 692, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1997. Comm. 95, obs. M. Véron). De même a été déclaré coupable de complicité de trafic d’influence passif l’intermédiaire qui s’était vu remettre des fonds par deux personnes afin qu’il use de son influence pour leur faire obtenir des locations d’appartements municipaux (Crim. 7 févr. 2001, n° 00-83.023, Bull. crim. n° 38 ; D. 2002. 1462 , obs. J. Pradel ; RTD com. 2001. 787, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2001, comm. n° 82, obs. M. Véron). Constitue encore une décision favorable le fait « d’aplanir » toutes difficultés liées à l’exécution d’un contrat (Crim. 19 mars 2008, n° 07-82.124, Bull. crim. n° 71 ; D. 2008. 1063, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2008. 319 , note J. Lelieur ; RTD com. 2008. 878, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2008. Comm. 102, obs. M. Véron). La jurisprudence précise même que la décision favorable n’a pas à être effective. Il faut dire qu’en tant qu’infraction formelle, le trafic d’influence se trouve caractérisé indépendamment de tout résultat. Il importe dès lors peu que « la décision favorable escomptée se soit avérée inutile ou sans objet » dès lors qu’elle était favorable à l’auteur (Crim. 20 mars 1997, n° 96-82.286, préc.). Le fait que l’auteur souhaitait, en l’espèce, obtenir des informations sur son principal adversaire ainsi que la liste des personnes titulaires de comptes auprès de la chambre des compensations luxembourgeoises Clearstream, sur laquelle figurait notamment cet adversaire, suffisait donc à caractériser cette condition.

S’agissant, d’autre part, du critère tenant à l’existence d’une décision, celui-ci se révèle, en revanche, ici davantage problématique. En effet, le prévenu soutenait dans son pourvoi que la décision favorable au sens de l’article 433-2 du code pénal « ne p[ouvai]t s’entendre que d’un acte officiel émanant d’une autorité publique ou d’une administration ». Aussi, les juges du fond ne pouvaient retenir comme caractérisant une décision favorable de simples informations et renseignements émanant d’un fonctionnaire, quand bien même ces derniers n’étaient-ils pas accessibles au public car couverts par le secret professionnel. Tout au mieux, ce comportement était constitutif « d’un acte facilité par la fonction au sens de l’article 433-1 du code pénal », autrement dit d’une corruption active de particulier, comme le précisait, de manière assez étonnante il faut bien le dire, le prévenu dans les deux premières branches de son premier moyen. La chambre criminelle casse ici l’arrêt d’appel au visa de l’article 433-2 précité. Pour autant, elle ne suit pas exactement l’argumentation du demandeur au pourvoi puisqu’elle ne s’attarde pas sur le caractère officiel de l’acte mais simplement sur l’absence de caractère décisionnel des informations communiquées et documents remis. Elle écarte ainsi la motivation retenue par la cour d’appel de Paris qui s’était, pour sa part, fondée sur le caractère non accessible au public des renseignements obtenus pour caractériser l’infraction.

La seconde précision légale tient à la personne devant produire cette décision favorable, à savoir « une administration ou d’une autorité publique ». En l’espèce, cette condition était également contestée par le prévenu qui soutenait, dans la dernière branche de son premier moyen, que le fonctionnaire intervenu, au demeurant non identifié, n’était ni une autorité ni une administration au sens de l’article 433-2 du code pénal. Sur le point, la tournure de la solution prononcée par la Cour de cassation laisse le lecteur plus qu’interrogateur sur le fait de savoir si elle entend accéder ou non à cet argument. Elle juge en effet que « le fait de se faire remettre par un agent d’une administration publique une information ou un document, même non accessible au public, ne peut constituer l’obtention d’une décision favorable de cette administration au sens de l’article [précité] ». Par cette formulation, deux interprétations sont possibles : ou bien elle considère seulement qu’une information ou un document, même non accessible au public, remis(e) par un agent d’une administration publique ne peut constituer l’obtention d’une décision favorable de cette administration ou bien elle considère également qu’un agent d’une administration publique ne peut rendre, lorsqu’il est question d’une décision, une décision favorable de cette administration. Compte tenu de l’infraction, l’on est tenté d’analyser cette solution de manière restrictive. En effet, en l’absence de précision légale, la décision émane de la fonction publique au sens large (en ce sens, v. E. Dreyer, J.-Cl. Pénal Code, art. 4331- et 433-2, Fasc. n° 20 : Corruption active et trafic d’influence commis par des particuliers, 2013 [2008], spéc. n° 29). Par ailleurs, dans ses relations avec l’administration, toute personne traite nécessairement avec un agent, qui est chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne, au point qu’elle a le droit d’en connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives (v. en vigueur à l’époque des faits, art. 4, al. 1er, L. n° 2000-321, 12 avr. 2000, JO 13 avr. ; auj., CRPA, art. L. 111-2). Le doute demeure toutefois permis quant au sens véritable de la solution ; d’autant plus que le chapeau introductif ne se révèle pas davantage utile en ce qu’il ne fait que reprendre la lettre de l’article 433-2 du code pénal.